ACCAPAREMENTS DES TERRES

Ces trois ou quatre dernières années, les investisseurs privés et les gouvernements se sont montrés de plus en plus intéressés par l’achat ou la location à long terme de vastes superficies de terres arables à l’étranger, principalement dans les pays en développement.
Selon une estimation de l’IFPRI, entre 15 et 20 millions d’hectares de terres agricoles ont fait l’objet de transactions ou de négociations avec des investisseurs étrangers dans les pays en développement depuis 2006.

Ce chiffre, qui représente déjà le total de la superficie cultivable de la France et un cinquième de celle de l’Union européenne, ne prend pas en compte les 10 millions d’hectares de terres agricoles proposés récemment par le Congo à des agriculteurs sud-africains pour cultiver du maïs et du soja, et pour élever de la volaille et des vaches laitières dans le pays.

Les terres les plus recherchées sont celles situées à proximité de ressources en eau qui peuvent donc être irriguées par des infrastructures dont le coût est relativement bas, et celles proches des marchés afin de pouvoir facilement exporter la production. Les pays en développement en général et l’Afrique subsaharienne en particulier sont spécialement concernés en raison de l’opinion largement répandue selon laquelle ils disposent de vastes étendues de terres, d’un climat propice à la production agricole, d’une main d’œuvre bon marché et d’un prix de la terre encore assez intéressant.

En 2003, la FAO a estimé que 120 millions d’hectares supplémentaires de terres arables, soit deux fois la superficie de la France ou un tiers de celle de l’Inde, seront requis pour répondre à la croissance nécessaire de la production alimentaire d’ici à 2030, sans tenir compte des compensations qui s’avéreront nécessaires pour équilibrer les pertes liées à certaines formes de production inadaptées.8 Cette expansion aura lieu surtout dans les pays en développement.

Étant donné que 95% environ des terres arables en Asie sont déjà utilisées, la majeure partie de la demande de terres supplémentaires se concentrera en Amérique Latine et en Afrique. Selon une étude concernant l’Évaluation agro-écologique mondiale, la quasi totalité des réserves mondiales de terres agricoles (jusqu’à 80%) se situent dans ces régions

Les droits des utilisateurs de la terre, et des peuples autochtones en particulier

Dans de nombreux pays en développement, notamment en Afrique subsaharienne, les droits des utilisateurs des terres ne sont pas garantis comme il convient. L’État est le propriétaire officiel d’une grande partie des terres et les utilisateurs locaux ne détiennent pas de titre de propriété sur les terres qu’ils cultivent; dans nombre de cas également, une combinaison complexe de droits de propriété et de droits des utilisateurs aboutit à une situation où les personnes cultivant la terre n’en sont pas propriétaires, qu’elles paient ou non un loyer, en espèces ou en nature, ou qu’elles aient conclu ou non un accord officiel avec le propriétaire en titre. Cette situation donne lieu à une incertitude juridique et implique que les utilisateurs ne peuvent engager un recours en justice et recevoir une compensation adéquate s’ils sont expropriés des terres qu’ils cultivent lorsque l’État, par exemple, autorise des investisseurs étrangers à en prendre possession.

Il est également important de reconnaître d’autres droits sur la terre, tels que le pâturage ou la collecte de bois, car ce sont souvent des sources de subsistance indispensables, spécialement pour les femmes.

Les droits des pasteurs, plus particulièrement, sont souvent passés sous silence dans les débats publics. Les terres arides représentent cependant près de la moitié de la superficie des terres de l’Afrique subsaharienne et le pastoralisme revêt une importance particulière pour le continent: près de la moitié des quelque 120 millions de pasteurs et agro-pasteurs du monde entier vivent en Afrique subsaharienne, les populations les plus nombreuses se trouvant au Soudan et en Somalie (7 millions dans chaque pays), puis en Éthiopie (4 millions).24 Dans ce contexte, il existe donc un risque réel que les terres considérées « vides » ou « improductives » soient vendues ou louées à des investisseurs, y compris à des investisseurs étrangers, sans tenir compte des services qu’elles fournissent à la population locale.

Il est donc impératif de n’entreprendre aucune expulsion qui ne serait pas conforme à l’Observation générale numéro 7 (1997) du Comité des droits économiques, sociaux et culturels sur le droit à un logement suffisant (article 11.1): expulsions forcées (E/1998/22, annexe IV) et aux Principes de base et aux directives concernant les expulsions et les déplacements liés au développement présentés en 1997 par l’ancien Rapporteur spécial sur le droit à un logement suffisant (A/HRC/4/18, annexe I).

Ces directives fournissent un outil pratique aux États et aux organismes publics pour élaborer des politiques, des lois, des procédures et des mesures préventives afin de garantir qu’aucune expulsion forcée n’ait lieu et pour fournir des recours efficaces aux populations dont les droits de l’homme ont été violés, si la prévention échouait. Elles reposent sur le principe que toute expulsion doit être:

a) autorisée par la loi;

b) exécutée dans le respect du droit international des droits de l’homme;

c) entreprise uniquement dans le but de promouvoir l’intérêt commun;

d) raisonnable et proportionnée à son objet;

e) réglementée de manière à assurer une indemnisation et une réadaptation complètes et équitables; et

f) exécutée conformément aux [Directives]’ (para. 21).

Ces directives donnent des indications détaillées aux États et aux organismes publics sur les étapes à suivre avant, pendant et après une expulsion en vue de minimiser les incidences de ce processus sur les droits de l’homme.

Extraits de : Acquisitions et locations de terres à grande échelle: Un ensemble de principes et de mesures clés pour répondre à l’impératif des droits de l’homme M. Olivier De Schutter , Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation , 11 juin 2009

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