PEUPLE DONGRIA KONDH vs INDE


Synthèse

Cette affaire portait sur le déclassement de zone forestière protégée dans le cadre
d’un projet d’extension d’une mine de bauxite et
d’un projet d’extension d’une raffinerie d’alumine dans l’Etat d’Orissa.


Le procès devant la Cour suprême de l’Inde oppose le Ministère de l’Inde chargé de donner ces autorisations à l’Etat d’Orissa, la compagnie détenue par cet Etat et une compagnie privée.

Se fondant sur les droits religieux et culturels des Dongria Kondh, la Cour conclue que la consultation des villages Dongria Kondh affecté par le projet est nécessaire.


1- Pays, régions et peuples concernés

Inde, État d’Orissa 1 , collines de Niyamgiri,habitat d’une faune importante, notamment les éléphants
Dongria Khond , 8 000 membres, vivent sur les collines de Niyamgiri depuis des siècles. Ils sont considérés comme étant « en péril » par le Comité central (CEC) désigné par la Cour suprême indienne


Femmes dongrias kondhs lors d’un rassemblement de protestation dans les Monts Niyamgiri ©Amnesty International

2- Contexte de l'affaire

Contexte juridique 2

→ 15 août 1947 : indépendance de l’Inde 3 .

Constitution de l’Inde adoptée le 26 novembre 1949, entrée en vigueur le 26 janvier 1950 :
-- elle reconnaît les « tribus répertoriées », les « Adivasis », ce qui signifie « les premiers habitants » ;
-- Chapitre 10 « les zones répertoriées et les zones tribales » : articles 244(1) et 244(2). Ces articles renvoient aux annexes V (« Dispositions sur l’administration des zones répertoriées et des zones tribales ») et VI (« Dispositions pour l’intégration des zones tribales dans l’Assam ; le Meghalaya, Tripura et le Mizoram ») : régime spécial des territoires reconnus comme « zones répertoriées » ou « zones tribales ».

Zones répertoriées :

• Le pouvoir exécutif fédéral s’exerce sur ces zones dans les limites des dispositions de l’annexe V pour l’ensemble des Etat sauf ceux désignés dans l’annexe VI
• Les gouverneurs des Etats dans lesquels se trouvent de telles zones doivent annuellement informer le Président de l’Union indienne de l’état de ces zones
• Un Conseil consultatif tribal (« Tribes Advisory Council ») doit être établi dans chaque Etat sur le territoire duquel une telle zone est établie
Le gouverneur de l’Etat peut restreindre l’application des lois du Parlement de l’Union indienne sur le territoire de telles zones. Il peut décider : - la prohibition ou la restriction du transfert de propriété par et/ou entre les membres d’une tribu répertoriée ; - réguler l’allotissement des terres ; - réguler l’exploitation des commerces financés
• Le Gouverneur peut amender une loi du Parlement dans son application à une telle zone / il ne peut qu’après approbation du Président de l’Union / si un Conseil consultatif tribal existe, il doit consulter ce dernier.
• Les zones répertoriées sont définis par le Président de l’Union qui a le pouvoir de modifier leur tracé.

Zones tribales :
• Districts autonomes créés et modifiés par le Gouverneur des Etats de Assam, Meghalaya, Tripura et Mizoram
• Un Conseil de district doit être établi dans chaque district, et un Conseil régional par région
• La Constitution précise la répartition des pouvoirs (le Gouverneur établit des règles pour la constitution des premiers Conseil de district et de région, après consultation des tribus répertoriées concernées
• Les Conseils de districts et de régions exercent un certain nombre de compétences concernant l’attribution et la cession des droits fonciers (pour plus de détails, voir l’article 244(2) de la Constitution de l’Inde
• L’administration de la justice répond à des règles spécifiques
• Le Conseil de districts ou de régions exerce des pouvoirs en matière scolaire et fiscale, et en matière d’exploitation des ressources naturelles (article 9 de l’annexe VI) 4 .

1993 : adoption de la Loi fédérale de Panchayati Raj (forme de gouvernement local): définition du régime juridique des territoires tribaux.

1996 : adoption de la Loi PESA (Loi sur l’élargissement des zones répertoriées du Panchayati Raj (Panchayati Raj Extension of Scheduled Areas Act) : -- elle rappelle le principe d’auto gouvernance posé par la Constitution et tend à le mettre en œuvre en :
• accordant d’importants pouvoirs au « Gramsabha », « parlement des peuples », notamment le « pouvoir de gérer ses propres affaires », et en
• reconnaissant l’existence de la « loi coutumière, des pratiques sociales et religieuses et des pratiques traditionnelles de gestion des ressources communautaires » ;
• interdisant aux gouvernements des États d’adopter des lois contraires à la loi coutumière.

11 juillet 1997 : Cour suprême de l’Inde, Samatha v. State of Andhra Pradesh: toute cession de terres situées sur des zones répertoriées par le gouvernement ou ses services est nulle et inopérante. Seules des compagnies dirigées par des tribaux ou des autorités publiques pour des intérêts publics peuvent signer des accords de coopération industrielle 5 .

1998 : lancement du projet Gestion conjointe des forêts qui repose sur la mise en place d’un partenariat entre les communautés autochtones de la forêt et le gouvernement dans la conservation des forêts.

1999 : création de la Commission nationale pour les affaires répertoriées et du Ministère des affaires tribales.

2006 : adoption de la Loi relative aux droits sur les forêts (Loi sur les tribus répertoriées et autres habitants traditionnels des forêts) :
Prologue : « Les droits forestiers sur les terres ancestrales et leur habitat n’ont pas été adéquatement reconnus par la consolidation des forêts des Etats durant la période coloniale ainsi que dans l’Inde indépendante, ce qui a conduit à une injustice historique envers les tribus répertoriées vivant dans les forêts qui sont indispensables à la survie même et à la viabilité de l’écosystème des forêts » ;
Préambule : le but de la loi est de « réparer l’injustice historique, de reconnaître, rétablir et accorder les droits des Adivasis qui leur ont été injustement enlevés par les lois adoptées par la Couronne Britannique et maintenues par notre gouvernement après le départ des Britanniques » (paragraphe 3) ;
• 4 hectares de terre sont accordés à toute famille cultivant la terre avant 2005 ;
• des droits communautaires sur les ressources de la forêt sont reconnus (droits fonciers familiaux et collectifs dans les aires forestières pour les Tribaux et les groupes vivants dans la forêt) ; obligation pour les autorités de respecter le droit des populations concernant leurs terres forestières et habitats traditionnels, et d’obtenir leur consentement préalable à l’utilisation de ces terres à des fins d’exploitation minière ou autres projets industriels).

→ Ratification de la Convention 107 de l’OIT et signataire de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones en 2007.
→ La Convention 169 de l’OIT n’a pas été ratifiée par l’Inde.

Contexte factuel

→ 2003 – 2004 : présentation d’un projet d’extension de la raffinerie d’alumine (PRA) à Lanjigarh Tehsil dans le district de Kalahandi et d’un projet d’exploitation d’une mine de bauxite par Sterlite Industries India Ltd (Sterlite)6 et par l’entreprise d’État Orissa Mining Corporation Ltd (OMC). Pour rentabiliser le projet de construction de la mine de bauxite de Lanjigarh, les deux entreprises (Sterlite et OMC) auraient besoin d’étendre la raffinerie d’alumine. La mine de bauxite mobiliserait 660 749 hectares de forêt des districts de Kalahandi et de Rayagada dans État Orissa.

7 février 2003 : audition publique sur le projet d’extension de la raffinerie d’alumine dans le district Kalahandi ;


Réunion contre l’extension de la raffinerie (Jagannathpur, région de Lanjigarh) ©Sanjit Das

→17 mars 2003 : audience publique sur le projet dans le district de Rayagada.

19 mars 2003 : Sterlite Industries India Ltd (Sterlite) dépose une demande auprès du Ministre Fédéral de l’Environnement et des Forêts (MOEF) afin d’obtenir l’autorisation environnementale de démarrer le projet d’extension de la raffinerie d’alumine (PRA). Elle met en avant le fait que sur un rayon de 10 km, aucune forêt ne sera touchée.

6 mars 2004 : la société Vedanta ressources (Vedanta) dépose également une demande afin d’obtenir l’autorisation de démarrer un PRA sur 723 343 hectares de terre, incluant 58 943 hectares de zone forestière à Lanjigarh Tehsil dans le district de Kalahandi.

16 août 2004 : compte tenu du fait que des zones forestières étaient comprises dans le projet, l’État d’Orissa soumet une proposition au MOEF visant à déclasser 58 943 hectares de forêt. L’État d’Orissa retira ensuite cette proposition.

22 septembre 2004 : le MOEF donne l’autorisation environnementale pour l’exploitation de 1 million de tonne de bauxite par an à Sterlite avec la possibilité d’utiliser 601 806 hectares de terres forestières.

24 novembre 2004 : l’État d’Orissa informe le MOEF que le Département forestier de l’Etat d’Orissa a signalé, le 5 août 2004 l’empiètement par l’OMC (l’entreprise de l’État d’Orissa) d’environ 4,2 ha de terres forestières.

28 février 2005 : l’Etat d’Orissa demande au MOEF d’autoriser l’exploitation de 660 749 hectares de forêt en faveur de l’OMC dans les districts de Kalahandi et Rayagada

2 mars 2005 : le CEC (Central Empowered Committee)7 adresse une lettre au MOEF lui demandant de ne prendre aucune décision tant que l’examen du projet est pendant devant lui.

Les demandes d’autorisations environnementales et forestières

Dans cette partie sont examinées les demandes d’autorisations environnementales et forestières déposées par les entreprises pour les projets d’extension de la raffinerie et de construction de la mine de bauxite. Ces autorisations sont nécessaires en application de la législation environnementale.

a- 2005-2007 : devant la Cour suprême de l’Inde, à l’initiative de Vedanta

Vedanta saisie la Cour suprême de l’Inde 8. L’entreprise souhaite obtenir de la Cour suprême une injonction adressée au MOEF pour que celui-ci prenne une décision concernant la demande de déforestation du site sur lequel la mine de bauxite doit être exploitée (demande soumise par l’Etat d’Orissa le 28 février 2005 dans le cadre du projet de raffinerie).
Question : Vedanta doit-elle être autorisée à mettre en œuvre le projet de raffinerie, qui inclut la déforestation de 58 943 hectares de terre ?
Position du CEC (Central Empowered Committee) : non, car la raffinerie dépendrait entièrement de la mine de bauxite des collines de Niyamgiri. Hors, ces collines sont l’habitat d’une faune importante, notamment des éléphants, et, de plus, le projet porterait atteinte aux sanctuaires et habitats de tribus, tels que les Dongria Kondh.

3 juin 2006 : la Cour suprême ordonne au MOEF de consulter les experts et organisations et de lui de soumettre un rapport 9.
→ Le ministre nomme l’Institut central de planification et de conception minière (« Central Mining Planning and Design Institute » (CMPDI)) afin qu’il analyse l’impact social des activités de la mine ;
20 octobre 2006 : le CMPDI soumet son rapport. Le ministère désigne le WII (« Wildlife Institute of India ») pour étudier l’impact du projet sur la biodiversité.
→ Le 14 juin 2006 le WII rend son rapport, et le
25 octobre 2006 il rend un rapport complémentaire.
27 octobre 2006 : le Comité consultatif sur les forêts (Forest Advisory Committee, FAC) analyse les rapports rendus par le CMPDI et le WII approuvant l’utilisation par l’OMC de 660 749 hectares de forêt pour l’exploitation d’une mine de bauxite dans les districts de Kalahandi et de Rayagada, dans le respect des conditions posées par le WII.

23 novembre 2007 : la Cour suprême de l’Inde refuse de donner son accord à la réalisation du projet. Elle n’est pas contre le principe du projet, et autorise Sterlite, qui est la filiale de Vedanta en Inde, à présenter une nouvelle demande lorsque Sterlite, l’État d’Orissa et l’OMC auront conjointement accepté de respecter les conditions posées par la Cour suprême dans le « Rehabilitation Package »10 .

23 décembre 2007 : Sterlite signifie à la Cour suprême que Sterlite, l'OMC et Etat d’Orissa donnent leur accord inconditionnel des termes, conditions et modalités posés par la Cour dans le « Rehabilisation Package » 12 .

b - 2007 – 2008 : devant la Cour suprême de l’Inde, à l’initiative des Dongria Kondh

→ Mobilisation de plusieurs peuples autochtones, dont les Dongria Kondh, et de plusieurs ONG (Amnesty International, Survival).
Aviva, Joseph Rowntree charitable trust, Marlborough ethnical fund, Milfield house foundation et l’Eglise d’Angleterre retirent alors leurs capitaux de l’entreprise Vedanta ressources 12.

→ Acteurs de la protestation en faveur des Dongria Kondh :
-- Jitu du Comité de protection de Niyamgiri (« Niyamgiri Protection Committee ») ; -- Siddharth Nayak de l’Organisation de protection de l’environnement Green Kalahandi13 .

→ Représentants des Dongria Kondh devant la Cour suprême de l’Inde, au nom de Sri Siddharth Nayak14 :
-- Biswajit Mohanty, avocat de la Société de la faune (« Wildlife Society ») basé à Cuttack ;
-- Prafulla Samantara ; de l’Alliance nationale du mouvement du peuple (« National Alliance of People’s Movement 15» ) ; -
- - R. Sreedhar ; un géologue basé à Delhi.

Ils contestent la légalité de l’ordonnance de la Cour du 23 novembre 2007. Ils considèrent que, compte tenu du fait que la raffinerie d’alumine avait déjà été construite par Vedanta et la production avait déjà commencé, la question juridique retenue par la Cour dans sa décision de 2007 était erronée. Elle aurait du statuer sur la question de l’impact écologique et culturel de l’exploitation des mines de bauxite sur les collines de Niyamgiri. Ils considèrent que l’autorisation viole les dispositions relatives aux tribus répertoriées et aux droits forestiers tribaux prévus par la Loi de reconnaissance des droits forestiers de 2006.

De plus, ils se fondent sur l’affaire Samatha et mettent en avant le fait que si Sterlite était autorisée à exploiter une mine dans les collines, cela affecterait l’identité, la culture et d’autres droits des Dongria Kondh.

L’Etat d’Orissa considère que l’affaire Samatha n’a pas vocation à s’appliquer en l’espèce car les faits relèvent de l’Etat d’Orissa, alors que l’affaire Samatha concernait l’Etat d’Andhra Pradesh.

7 mai 2008 : la Cour rejette la demande.

c- Obtention de l’autorisation environnementale par l’Etat d’Orissa, l’OMC et Sterlite (« Stage I Clearance »).

8 août 2008 : compte tenu de l’engagement de l’OMC, de l’État d’Orissa et de Sterlite de respecter les modalités du « Rehabilisation Package », la Cour suprême de l’Inde accorde l’autorisation environnementale permettant l’utilisation de 660 749 hectares de zones forestière pour mettre en œuvre le projet d’extraction de mine de bauxite à Lanjigarh. Le MOEF doit à son tour donner son autorisation.

→ Le MOEF considère que l’utilisation de cette zone forestière est conforme à la section 2 de la Loi de conservation de la forêt de 1980. Après analyse de la proposition de l’État indien et les éléments du projet soumis le 27 octobre 2006, il admet le principe du déclassement de la zone forestière, à condition que les entreprises respectent certaines conditions16 .

11 décembre 2008 : le MOEF donne son autorisation à l’État d’Orissa pour l’utilisation de 660 749 hectares de forêt pour l’exploitation d’une mine de bauxite de Lanjigarh par l’OMC, sous réserve du respect des 21 conditions posées, et après avoir obtenue le rapport de l’État indien.

31 décembre 2008 : le MOEF modifie son autorisation, précisant alors qu’il ne devait être procédé à aucun déclassement sans l’autorisation officielle de l’État indien.

28 avril 2009 : le MOEF donne à Sterlite l’autorisation environnementale d’exploiter pendant 25 ans une mine de bauxite dans les collines de Niyamgiri, à diverses conditions17. Sterlite doit notamment obtenir l’autorisation forestière d’exploiter en application de la Loi sur la conservation de la forêt de 1980.

10 août 2009 : l’État indien considère que Sterlite a respecté l’ensemble des conditions auxquelles elle était tenue 18.

d- Obtention de l’autorisation forestière d’exploiter (« Stage II Clearance »).

→ 4 novembre 2009 : le FAC (Comité consultatif sur les forêts) est saisi de la demande d’autorisation forestière soumise par l’Etat d’Orissa. Il recommande que l’autorisation finale d’exploitation ne soit donnée qu’après détermination des droits des groupes tribaux sur la zone forestière et inscription de ces droits dans la Loi sur les droits forestiers (Forest Rights Act). Le FAC décide également de la composition d’un groupe d’experts pour assurer une inspection du site et formuler des recommandations au MOEF (le groupe sera formé de trois experts, dont Dr. Usha Ramanathan).

Janvier à février 2010 : inspection du site par le groupe d’experts constitué par le FAC.

25 février 2010 : chacun des trois experts soumet un rapport individuel au MOEF. Ils ne se prononcent pas contre le projet, mais considèrent qu’un examen approfondi de l’application de la Loi sur les droits forestiers doit être mené.

16 avril 2010 : le FAC analyse les rapports des trois experts et recommande la création d’un comité spécial sous la responsabilité de Ministère des affaires tribales, qui serait chargé de l’examen des violations des droits tribaux et la consolidation des droits forestiers en vertu de la Loi sur les droits forestiers.

29 juin 2010 : le MOEF décide de la création d’un Comité constitué de spécialistes pour examiner les droits des habitants de la forêt et des « groupes tribaux primitifs » dans le cadre de la Loi sur les droits forestiers et l’impact du projet sur la vie animale et la biodiversité dans les zones concernés. Un Comité de 4 membres, avec à sa tête Dr Naresh Saxena, est alors créé pour analyser les conséquences du projet sur les droits et mener une enquête détaillée.

16 août 2010 : le Comité, composé de 4 membres et dirigé par le Dr. Naresh Saxena, rend son rapport. → 17 août 2010 : le Gouvernement fédéral adresse au MOEF une objection écrite au rapport du Comité Saxena.

20 août 2010 : le MOEF transmet tout de même le rapport pour considération au FAC.

23 août 2010 : compte-rendu du FAC. Il considère que :
- les groupes tribaux primitifs n’ont pas été consultés pendant la phase d’élaboration et d’autorisation du projet ;
- certaines dispositions de la Loi sur les droits forestiers, de la Loi sur la conservation de la forêt de 1980 ; de la Loi sur la protection de l’environnement (« Environmental Protection Act ») de 1986 ont été violées ;
- le projet aura un impact sur l’écologie et la biodiversité des collines de Niyamgiri dont les Dongria Kondh et les Kutia Kondh dépendent ;
- le principe de précaution trouve à s’appliquer en l’espèce afin d’éviter des dommages irréparables19.

24 août 2010 : le MOEF examine les recommandations formulées par le FAC et le rapport du Comité Saxena. Il conclue à la violation par le projet des lois relatives à l’environnement et aux forêts, et des droits fondamentaux des Adivasis touchés par le projet, dont les Dongrias Kondhs Le MOEF rejette la demande d’autorisation forestière.

 

3- Le procès

Le procès oppose l’OMC et le MOEF : l’OMC, entreprise de l’État d’Orissa, conteste la décision du MOEF qui ne lui accorde par l’autorisation forestière nécessaire à la construction de la mine de bauxite. L’OMC, l’Etat d’Orissa ne développent pas les mêmes arguments car les responsabilités au titre du projet d’extension de la raffinerie ne sont pas les mêmes que celles au titre du projet d’exploitation de la mine de bauxite.

→ Avril 2011 : l’OMC forme un recours contre le rejet par le MOEF de la demande d’autorisation forestière.
- L’avocat principal d’OMC, Shri K.K. Venugopal, se fonde sur les deux décisions de la Cour suprême des 23 novembre 2007 et 8 août 2008 . L’OMC considère qu’il n’existe aucun obstacle justifiant le refus du MOEF de donner l'autorisation forestière. En effet, le MOEF avait donné son accord pour la délivrance de l’autorisation environnementale (Stage I) et avait validé le rapport attestant du respect par Sterlite, l’OMC et l’Etat d’Orissa des conditions posées par la Cour suprême en 2007. Les deux comités d’experts auraient voulu, selon l’OMC, neutraliser les autorisations délivrées (« Stage I Clearance »).

- L’avocat principal pour l’Etat d’Orissa, Shri C.A. Sundaram considère que la position du MOEF de rejeter l’autorisation forestière (« Stage II clearance ») n’est ni fondée en droit, ni en faits : - le Comité Saxena et le MOEF se seraient fondés sur des faits indépendants du projet d’exploitation de la mine de bauxite pour retenir la violation par l’État d’Orissa de la Loi de protection de l’environnement de 1986. Les dommages environnementaux éventuellement causés seraient attribuables au projet d’extension de la raffinerie, et non au projet d’exploitation de la mine de bauxite. Hors, l’État d’Orissa n’est pas responsable du projet d’extension de la raffinerie. Celui-ci relève de la responsabilité de l’OMC ;
- aucune habitation ne figure sur le périmètre projet, et les droits d’habitation individuels et collectifs sur les ressources forestières ont déjà fait l’objet d’un règlement ; - des plaintes individuelles et collectives en provenance des districts de Rayagada et Kalahandi ont déjà été traitées par le Gram Sabha 22 et des territoires de substitution ont été attribués23 ;
- la Loi sur les droits forestiers prévoit des droits individuels et communautaires des tribus, mais ne prévoit rien en matière de droits de propriété , ni de droits religieux et spirituels qui sont protégés par les articles 25 et 26 de la Constitution de l’Inde;
- l’Etat fédéral est titulaire des droits de propriété sur les ressources minérales, les forêts et ses produits. Ces droits n’ont pas été éteints par la Loi sur les droits forestiers. Ainsi et ni les Gram Sabha, ni les tribus ne peuvent prétendre détenir la propriété de ces ressources.

- l’avocat principal pour Sterlite, Shri C.U. Sing, reprend les arguments développés par l’État d’Orissa, considérant la décision du MOEF arbitraire et illégale, compte tenu de l’indépendance du projet de mines de bauxite par rapport à celui de l’extension de la raffinerie.

→ Juillet 2011 : le Tribunal de première instance de l’État d’Orissa rejette le recours.
→ L’OMC interjette appel de cette décision devant la Haute Cour de l’État d’Orissa. → La Haute Cour rejette l’appel formé par l’OMC. Elle considère en effet que le rejet par le MOEF de la demande d’autorisation forestière (Stage II) était justifié, car l’entreprise Sterlite n’a pas respecté les conditions posées par le MOEF. Une nouvelle évaluation de l’impact environnemental et social du projet et une consultation publique auraient deu êttre organisée.

→ L’OMC se pourvoit en cassation devant la Cour suprême de l’Inde contre la décision de la Haute Cour de l’État d’Orissa.

18 avril 2013 : la Cour suprême de l’Inde déboute l’OMC de sa demande24 .
- Elle reconnaît avoir admis le principe du projet dans les ordonnances précédentes citées par l’OMC, tout en rappelant que ces ordonnances étaient soumises au respect des éléments contenus dans le Rehabilitation package 25.
- Elle note que l’État d’Orissa, Sterlite et l’OMC ont accepté sans réserves les termes, conditions et modalités définis par la Cour dans le Rehabilitation package.
- Elle rappelle l’ensemble des étapes ayant conduit à l’autorisation environnementale (Stage I clearance).
- Elle rappelle quels sont les droits des Adivasis reconnus au niveau national et au niveau international.
- Elle reconnaît les droits religieux et culturels des Dongria Kondh, qui comprennent la liberté de culte, et donc le droit pour ces derniers de vénérer leur montagne sacrée.

En l’espèce, la Cour considère que l’avenir du projet d’exploitation dépend de la volonté de ceux qui seront « les plus affectés » par ce dernier. La montagne étant sacrée pour les Dongria Kondh, la Cour suprême conclut que les assemblées organisées dans les villages à proximité du site en question, les Gram Sabha, doivent se prononcer sur le projet d’exploitation. Ainsi, une procédure de consultation doit être menée.

La Cour suprême ordonne la tenue d’une telle consultation, de manière indépendante, sans que les entreprises intéressées ainsi que les représentants du gouvernement fédéral et de l’État d’Orissa n’exercent une quelconque influence. Les Gram Sabha désignés par le Gouvernement fédéral ont trois mois pour faire part de leur décision au MOEF.

Intérêt de la décision : la Cour suprême ordonne que les peuples autochtones touchés par le projet soient consultés. Limites de la décision : c’est sur le fondement des droits religieux et non pas des droits fonciers que l’obligation de consultation des peuples est reconnue.

 

4 - Les suites

→ Le Gouvernement fédéral a désigné 12 villages qui participeront à ce processus de décision. Le Ministère des Affaires tribales a indiqué que la décision du Gouvernement fédéral de désigner 12 villages n’était conforme ni à l’arrêt de la Cour suprême, ni aux consignes émises par lui en application de la section 12 de la Loi relative au droit forestier (la région compte une centaine de villages).

→ 12 août 2013 : rejet du projet par les 12 villages 26.

5 - Sources

Décision de la Cour suprême de l’Inde Orissa Mining Corporation Ltd. Versus Ministry of Environment and Forest and Others, writ Petition (civil) n. 180 OF 2011 : http://indigenouspeoplesissues.com/attachments/article/17f530/NiyamgiriJudgment.pdf.

Sogip
http://sogip.wordpress.com/2013/04/25/orissa-la-cour-supreme-indienne-donne-raison-aux-dongria-kondh-contre-vedanta/

Amnesty international http://www.amnesty.org/en/library/asset/ASA20/017/2008/en/fbcd1c83-6a0f-11dd-8e5e-43ea85d15a69/asa200172008en.pdf http://www.amnesty.fr/Presse/Communiques-de-presse/Inde-Un-arret-de-la-Cour-supreme-marque-une-victoire-historique-pour-les-droits-des-peuples-indigene-8423

 

 

6 -Notes

1; Ou « Odisha », ou « Utkala ».
2. Voir Claire Levacher, Fiche « Inde », janvier 2012 https://gitpa.org/web/Code%20Minier%20-%20Inde-Relu.pdf ; http://www.sjweb.info/sjs/pjnew/PJShow.cfm?pubTextID=8966 et Gérard Fritz, Jean-Claude Fritz, « Les peuples autochtones en Inde ; les revendications des groupes tribaux », L’Harmattan, 2005, disponible sur le site du GITPA : https://gitpa.org/Autochtone%20GITPA%20300/gitpa300-16-44indeTEXTREFfritz.pdf. 3. Texte de la Constitution de l’Inde disponible sur le site de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (en anglais) : http://www.wipo.int/wipolex/fr/text.jsp?file_id=184878. 4. Licences or leases for the purpose of prospecting for, or extraction of, minerals.—(1) Such share of the royalties accruing each year from licences or leases for the purpose of prospecting for, or the extraction of, minerals granted by 4[the Government of the State] in respect of any area within an autonomous district as may be agreed upon between 4[the Government of the State] and the District Council of such district shall be made over to that District Council. (2) If any dispute arises as to the share of such royalties to be made over to a District Council, it shall be referred to the Governor for determination and the amount determined by the Governor in his discretion shall be deemed to be the amount payable under sub-paragraph (1) of this paragraph to the District Council and the decision of the Governor shall be final.
5. Samatha v. State of Andhra Pradesh, 1997 8 SCC 191 http://www.hindu.com/thehindu/thscrip/print.pl?file=20040924006001200.htm&date=fl2119
/&prd=fline& ; http://www.samataindia.org.in/documents/SAMATA_EDIT1.PDF.
6. Sterlite est une filiale de Vedanta resources, basée à Londres (Vedanta Resources possède 59,9% du capital de Sterlite. Celle-ci détient à 29,5% du capital de la société Vedanta Aluminium Limited, opérateur de la raffinerie de Lanjigarh (société basée à Jharsuguda dans l’État d’Orissa Jharsuguda et présidée par Anil Agarwal), 70,5% étend détenu par la société Vedanta ressources. Accord signé entre Vedanta Aluminium et OMC (détenue par l’Etat d’Orissa) pour que Vedanta exploite 3 millions de tonnes de bauxite par an sur 721 hectares du terre dans les forêts de Niyamgiri dans les districts de Kalahandi et de Rayagada de l’Etat d’Orissa, devenant la plus importante mine de bauxite au monde.
7. Le CEC a été créé par la Cour suprême de l’Inde le 9 mai 2002 pour assurer la gestion durable des ressources naturelles de l’Inde.
8. I.A. No. 1324.
9. Devant la Cour suprême, l’État d’Orissa, détenteur majoritaire de l’OMC, met en avant le manque d’infrastructures sur le territoire autochtone des deux districts, la pauvreté de la population vivant à Lanjigarh Tehsil, dont la population autochtone, ainsi que le manque d’habitations viables, d’hôpitaux, d’écoles, etc.
10. (2008) 2 SCC 222. Pour voir les 16 mesures posées par la Cour, voir p.3 de la décision. 11. I.A. N.2134, 2007.
12. Contre l’extension du projet qui menace d’aggraver la pollution générée par l’exploitation de la raffinerie Lanjigarh, Un mouvement de protestation pacifique est mené par les populations locales. Amnesty International, relayant les propos des Dongriah Kondh, fait état des pressions exercées par les paramilitaires postés dans les collines de Niyamgiri et par les fonctionnaires de Rayagada et de Kalahandi (voir http://www.amnesty.fr/AI-en-action/Lutter-contre-la-pauvrete/Acteurs-economiques/Actualites/Inde-des-autochtones-exclus-d-une-decision-de-projets-miniers-9000). Les résidents de Rengopalli se mobilisent contre la décision de l’État d’Orissa de prendre possession d’une des routes desservant ce village pour permettre la construction d’un second bassin de boues rouges pour la raffinerie.
13. http://www.amnesty.org/en/library/asset/ASA20/017/2008/en/fbcd1c83-6a0f-11dd-8e5e-43ea85d15a69/asa200172008en.pdf.
14. IA No. 2081-2082 in WP © No. 549/2007.
15. Site de l’association : http://napm-india.org/.
16. Paragraphe 10, p.5 à 7 de la décision.
17. Paragraphe 11, p.7 et 8 de la décision.
18. Il cite la décision de la Cour suprême et l’autorisation environnementale du MOEF, et les conditions d’exploitation posées par celui-ci, notamment celle de l’absence d’habitation dans la zone minière, de réinstallation des populations. Il relève la tenue d’auditions publiques tenues en 2003 dans les deux districts concernés.
19. Voir paragraphe 15, p.9 à 13 de la décision.
20. I.A. N 1324 et 1474, Writ Petition (C) N 202 et I.A. N 2081-2082, Writ Petition N 549.
21. (2008) 9 SCC 711.
22. Réunions de plusieurs adultes au niveau du Gram Panchayat, sorte de gouvernements locaux.
23. Pour plus de détails, voir paragraphe 17, p.14 de la décision.
24. Orissa Mining Corporation Ltd. Versus Ministry of Environment and Forest and Others, writ Petition (civil) n. 180 OF 2011, disponible sur: http://indigenouspeoplesissues.com/attachments/article/17530/NiyamgiriJudgment.pdf.
25. Paragraphe 23 à 30, p.15 à 18 de la décision.
26. http://profit.ndtv.com/news/corporates/article-vedantas-50-000-crore-project-in-odisha-rejected-by-all-12-villages-326008


Document réalisé pour le GITPA par
Zoé BOIRIN-FARGUES
Juin 2014

 

 

19