PEUPLE SARAMAKA vs SURINAME

 

Synthèse

L’affaire oppose le peuple Saramaka, peuple noir-marron du Suriname, et l’État du Suriname suite à l’octroi par celui-ci de concessions forestières et minières (or) sur le territoire des Saramakas.


La décision de la Cour interaméricaine des droits de l'homme (Cour IDH) est marquante, car la Cour définit de nouvelles conditions à l’expropriation d’une propriété traditionnelle (l’exploitation des ressources naturelle est considérée comme une expropriation partielle), à savoir:

- la conduite d’une étude d’impact environnemental et social,
- la participation du peuple autochtone (consultation et dans certains cas obtention du consentement du peuple),
- le partage des bénéfices.

La décision de la Cour est par ailleurs intéressante dans la mesure où elle apporte des éléments de définition du droit au consentement préalable, libre et éclairé.



Avant-propos – sur la qualification des Saramaka comme « peuple autochtone »
Le peuple Saramaka, peuple marron est un peuple composé de descendants d’anciens esclaves débarqués sur le territoire d’Amérique du Sud au 17ème siècle où des peuples amérindiens vivent depuis des temps ancestraux. Aucun conflit de territoire n’a opposé les peuples amérindiens aux peuples Marrons, ces derniers se réfugiant dans le sud du Suriname dans des endroits où ne demeurait personne. Leur culture s’est formée durant les 4 derniers siècles en relation avec cette terre. Ils sont reconnus comme « peuples tribaux » et jouissent à cet égard des mêmes droits que les « peuples autochtones » en droit international.

1- Pays, régions et peuples concernés

Suriname. Peuple noirs-marrons, peuple Saramaka.

Depuis 2010, le peuple Saramaka se désigne sous le nom de « Saamaka » . Le peuple Saramaka est l’un des six peuples noirs-marrons du Suriname et de la Guyane. Ils sont les descendants d’esclaves africains déportés vers la colonie néerlandaise du Suriname dans la seconde moitié du 17ème siècle. Ils représentent plus de 120 000 personnes.


2- Contexte de l'affaire

- 17ème siècle : arrivées d’esclaves au Suriname. Guerre entre colons néerlandais et esclaves. Fuite des esclaves à l’intérieur des terres.

- 19 septembre 1782 : accord signé entre les Saramaka et l’État néerlandais → reconnaissance des territoires appartenant aux Saramaka et de leur autonomie gouvernementale.

- 1958 : début du projet de construction du barrage d’Afobaka.

- 1975 : indépendance du Suriname.

- 1980 : coup d’État, prise de pouvoir par les militaires ; proclamation de l’état d’urgence (suspension de la Constitution, dissolution du Parlement, démission des pouvoirs de la police civile, mise en place de « comités du peuple » révolutionnaire, et d’une milice populaire). 8 décembre 1982, « meurtres de décembre », suspension de l’aide néerlandaise de développement. Développement du trafic de drogue.

- 24 décembre 1990 : nouveau coup d’État par les militaires. Pressions internationales. Organisation de nouvelles élections en mai 1991.

- Entre mai 1986 et août 1990 : guerre civile (armée contre la « Jungle Commando »).

- Août 1992 : Accord de paix, fin de la guerre civile.

Contexte juridique

Cour interaméricaine des droits de l’Homme, Aloeboetoe c. Suriname, 10 septembre 19932
Questions litigieuses : l’État surinamien ayant reconnu sa responsabilité pour la violation des droits invoqués, les questions portent sur la réparation qui sera octroyée aux victimes Saramaka. La Cour doit d’abord se prononcer sur l’existence et l’étendue des droits fonciers que détiendraient les Saramaka en vertu de leur autonomie se pose. Hors, cette autonomie découle du Traité du 19 septembre 1782. Ainsi, la question est celle de la validité de celui-ci, qui reconnaissait le contrôle exercé par les noirs-marrons.
Décision de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme3 : -- la Cour précise qu’elle ne peut reconnaître la validité du Traité de 1782, compte tenu des dispositions qu’il contient et qui qualifie les Saramaka d’esclaves (et que l’esclavage a été aboli)4 . Par conséquent, compte tenu de l’absence de dispositions du droit surinamien reconnaissant l’autonomie des Saramaka, ces derniers ne sont titulaires d’aucun droit particulier sur le territoire qu’ils occupent5 ; -- il s’agit en revanche de la première décision dans laquelle la Cour interaméricaine des droits de l’Homme se fonde sur la coutume Saramak pour déterminer les modalités de la réparation des violations subis par le peuple. Elle considère ainsi que le droit surinamien de la famille ne s’applique pas aux membres du peuple marron6 .

Cour interaméricaine des droits de l’Homme, Awas Tingni c. Nicaragua, 2001 : première décision dans laquelle la Cour IDH reconnaît les droits de propriété des peuples autochtones fondés sur leur droit coutumier7 .

Cour interaméricaine des droits de l’Homme, Moiwana c. Suriname, 2005 8
- 29 novembre 1986 : 40 personnes sont tuées par les forces armées surinamiennes à Moiwana, village Ndyuka, à l’est du Suriname. Les victimes demandent au gouvernement surinamien d’ouvrir une enquête. Ce dernier refuse.
- 12 novembre 1987 : l’État du Suriname ratifie la Convention américaine des droits de l’Homme.
- 1992 : promulgation de la loi d’amnistie, loi d’application rétroactive.
- 1996 : les victimes, assistées par l’organisation Moiwana’86, présente une pétition à de la Commission interaméricaine des droits de l’Homme (la Commission).
- 1997 : la Commission admet la recevabilité de la pétition.
- Décembre 2002 : après enquête, la Commission décide de renvoyer l’affaire à la Cour IDH. - 4 septembre 2004 : audience devant la Cour interaméricaine des droits de l’Homme (la Cour). La question posée devant la Cour est relative au dénie de justice, et non à l’événement du 29 novembre 1986 à Moiwana compte tenu de la date de ce dernier. En effet, celui-ci est antérieur à la ratification par l’État du Suriname de la Convention américaine des droits de l’Homme (la Convention) par laquelle l’État acceptait également la compétence de la Cour.
- 15 juin 2005 : décision de la Cour. Celle-ci reconnait d’abord la violation du droit à l’intégrité de la personne (article 5 de la Convention) ; concernant la violation des droits collectifs des Ndyuka à leurs terres (article 21 de la Convention) : ces derniers ne sont pas autochtones, mais la Cour relève leur lien particulier à leurs terres depuis la fin du 19ème siècle qui justifie qu’elle leur applique sa jurisprudence relative aux peuples autochtones. Elle reconnaît donc les Ndyuka comme collectivement propriétaires des terres litigieuses. Elle conclut à la violation de la Convention par l’État du Suriname qui n’a pas procédé à une enquête sur les évènements du 29 novembre 1986. Elle condamne l’État du Suriname à verser diverses réparations dans un délai défini.
- Février 2006 : le gouvernement demande des précisions quant à la décision de la Cour. Nouvel arrêt de la Cour : celle-ci affirme que le gouvernement doit procéder au tracé des frontières des territoires traditionnels des populations en consultation avec ces dernières.

→ 2007 : adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, soutenue par l’État du Suriname.

Contexte factuel

A partir de 1997 : octroi de concessions par le gouvernement pour des activités de déforestation à différentes filiales de l’entreprise chinoise China International Marine Containers Ltd. (CMIC)9 sur les terres des Saramaka . 3 des 13 millions d’hectares de forêt du Suriname se trouve en territoire des Saramaka10.

1996/1997 : face à la dégradation de leur environnement, à la destruction de leurs sites sacrés, à la privation de l’accès à leur territoire traditionnel, au vol de gibier et de leurs récoltes, à l’arrivée en masse de populations extérieures, et de l’armée protégeant les employés chinois 11, un groupe composé de chefs saramaka forme l’Association des autorités saramaka (VSG), ce qui marque le début de la mobilisation saramaka 12.

24 octobre 1999 : l’organisation envoie une lettre au Président du Suriname, dans laquelle ils font part de la menace à leurs droits et à leur survie que présentent les concessions octroyées par le gouvernement. Ils précisent ne pas être opposés à l’exploitation de la forêt à certains endroits, mais exigent d’être consultés avant toute activité d’exploitation. Ils demandent par ailleurs l’annulation des concessions d’exploitations forestières et minières. Deux autres lettres sont envoyées dans les 12 mois qui suivent au gouvernement de Paramaribo, sans succès.


Wazen Eduards et Hugo Jabini

3- Le procès

a- Procédure devant la Commission interaméricaine des droits de l’Homme
( 09/2000 - 06/2006)

→ 30 septembre 2000 : la VSG et 12 capitaines de village (les Saramaka), représentant chacun les principaux clans matrilinéaires, déposent une pétition auprès de la Commission interaméricaine des droits de l’Homme (la Commission).
Deux points sont soulevés :
1- l’absence de reconnaissance par le gouvernement surinamien des droits des Saramaka sur la terre et les ressources naturelles ;
2- la violation de leurs droits de propriété et de leur intégrité culturelle par l’octroi de concessions sans consultation de ces derniers. Ils demandent à la Commission d’adopter des mesures de précaution en suspendant les activités forestières et minières ayant cours ou étant planifiées sur leur territoire. Celles-ci seront selon eux à l’origine de dommages permanents et irréparables pour leur sécurité culturelle et physique.
Ils demandent à la Commission de demander à la Cour d’adopter des mesures provisoires au cas où l’État du Suriname ne respecterait pas les mesures de précautions.
Ils précisent recherche un règlement a l’amiable et demande à la Commission d’organiser une visite au Suriname pour enquêter sur la situation des peuples autochtones et marrons au Suriname.

→ 21 novembre 2000 : la Commission transmet la pétition reçue à l’État et lui donne un délai de 90 jours pour présenter ses observations.
6 juin 2001 : les requérants transmettent d’autres informations à la Commission, et renouvelle leur souhait de trouver un règlement à l’amiable. En application de l’article 39 de la Convention, compte tenu de l’absence de réponse de l’État du Suriname (l’État), ils demandent que la Commission reconnaisse les faits décrits dans leur pétition comme vrais.
12 juin 2001 : la Commission transmet les informations données par les requérants à l’État, en lui laissant 45 jours pour y répondre.
2 août 2001 : l’État demande une période additionnelle pour répondre à la pétition et aux communications du 6 juin.
8 août 2001 : la Commission accorde un délai de 30 jours à l’État.
22 mars 2002 : la Commission informe les parties de sa décision d’admettre la recevabilité de la pétition et leur demande de lui transmettre leurs arguments sur le fond dans un délai de deux mois.
8 mai 2002 : l’État demande à la Commission une période supplémentaire de deux mois. → 15 mai 2002 : les requérants ajoutent des arguments sur le fond, et renouvellent leur demande portant sur les mesures de précaution.
12 juin 2002 : la Commission informe l’État des observations additionnelles transmises par les requérants, et demande à l’État de lui transmettre toute information utile dans un délai de deux mois.
22 juillet 2002 : les requérants transmettent à la Cour des informations additionnelles sur la recevabilité de leur pétition et sur leurs arguments au fond, et lui adresse une nouvelle demande de mesures de précautions
.

8 août 2002 : la Commission adopte des mesures de précaution : - elle demande à l’État de suspendre l’ensemble des concessions existantes, y compris les permis et concessions pour les activités forestières, minières, et d’exploitation des ressources naturelles sur les terres utilisées et occupées par les 12 clans Saramaka, jusqu’à ce qu’une enquête ait été menée sur les allégations formulées par les requérants dans leur pétition ; - elle demande à l’État de prendre les mesures nécessaires pour protéger la sécurité physique des 12 clans Saramaka.

20 août 2002 : l’État communique à la Commission son intention de transmettre un « rapport exhaustif et détaillé sur la question de l’admissibilité de la pétition et sur le fond » , et demande un délai de deux mois pour le faire.

15 octobre 2002 : concernant les mesures de précaution, l’État informe la Commission que :
1- le 27 juin 2002, il a mis en place la « Commission des experts juridiques en droits de l’Homme » (« Commission of Legal Experts in Human Rights ») ;
2- compte tenu des mesures de précaution prise par l’État, il est surpris de la décision de la Commission de lui accorder un délai supplémentaire pour répondre aux allégations des requérants en la matière ;
3- la décision d’accorder aux requérants des mesures de précaution est une preuve que la Commission prend une décision sur le fond de l’affaire, même si elle affirme le contraire.

27 décembre 2002 : l’État adresse à la Commission sa réponse. Il considère que la pétition n’est pas admissible, car les voies de recours internes n’ont pas été épuisées, et qu’en tout état de cause, l’État n’a pas violer les droits du peuple Saramaka.

23 janvier 2003 : les requérants transmettent de nouvelles informations à la Commission et lui demande de réitérer les mesures de précaution.
12 février 2003 : la Commission accuse réception de la réponse de l’État et transmet l’ensemble des informations fournies par les requérants à l’État. Elle transmet également la réponse de l’État aux requérants.
18 mars 2003 : les requérants transmettent leurs observations sur la réponse fournie par l’État. 20 mars 2003 : la Commission transmet ses informations à l’État en lui laissant un délai de 30 jours pour y répondre.
23 mai 2003 : l’État transmet ses observations sur les pièces transmises par les requérants.

27 juin 2003 : la Commission informe les parties qu’elle se tient à leur disposition pour un règlement amiable du litige. Elle leur demande de répondre dans les 30 jours.
15 juillet 2003 : les requérants informent la Commission qu’ils acceptent la procédure de règlement amiable (et lui demande de réitérer les mesures de précaution) ; l’État informe la Commission qu’il accepte la procédure de règlement amiable.

11 août 2003 : afin d’examiner la demande de réitération des mesures de précaution formulée par les requérants, la Commission transmet les parties pertinentes des observations des requérants à l’État, en lui demandant de fournir de plus amples informations dans un délai de 10 jours concernant : 1- la situation actuelle concernant les concessions forestières accordées et en vigueur sur les terres utilisées et occupées par les Saramaka ; 2- la situation actuelle concernant l’ensemble des concessions minières accordées et en vigueur sur les terres utilisées et occupées par les communautés Saramaka, y compris l’ensemble des opérations supposées être aux mains des chercheurs d’or brésiliens ; 3-la situation actuelle concernant toute proposition ou projet d’étendre la Réserve naturelle du Suriname central ; 4- la situation actuelle concernant toute proposition ou projet d’augmenter le niveau d’eau du réservoir de Blommestein (réservoir construit entre 1961 et 1964 à l’occasion de la construction d’un barrage hydroélectrique).
12 août 2003 : l’État renouvelle sa volonté d’engager une procédure de règlement amiable et informe la Commission de l’invitation qu’il a adressé aux Saramaka pour une rencontre prévue le 30 juillet 2003 et déplacée finalement au 12 août 2003.
20 août 2003 : l’État accuse réception de la note de la Commission du 11 août et lui demande de lui laisser jusqu’au 14 septembre pour répondre à la demande d’information demandée.
22 août 2003 : les requérants informent la Commission que la rencontre avec l’État a eu lieu le 15 août 2003. Ils formulent de nouvelles observations, dont les éléments principaux sont transmis par la Commission à l’État le 29 août. Ils font état de leur doute quant à l’utilité de la procédure de règlement amiable, notamment parce que l’État a refusé d’envisager toute réforme judiciaire ou administrative permettant de reconnaître les droits de propriété du peuple Saramaka. La Commission accorde un délai de 20 jours supplémentaires à l’État pour fournir les informations demandées le 11 août.
9 septembre 2003 : l’État transmet les informations demandées par la Commission concernant les mesures de précaution.
22 septembre 2003 : l’État accuse réception de la note de la Commission du 29 août. Il informe la Commission du fait que le Procureur général et la Commission des experts légaux sur les droits de l’Homme ont rencontré le Président afin de discuter des plaintes formuler par les requérants. 30 septembre 2003 : la Commission transmet les parties pertinentes de la notification de l’État aux requérants. 14 octobre 2003 : la Commission accorde un délai supplémentaire de deux mois pour répondre à la demande des requérants.

15 octobre 2003 : les requérants prient la Commission de demander à la Cour interaméricaine des droits de l’Homme (la Cour) de prescrire des mesures provisoires visant à suspendre l’ensemble des activités de déforestation et d’exploitation des ressources naturelles sur les terres détenues et occupées par les clans Saramaka.

23 octobre 2003 : la Commission transmet à l’État les parties pertinentes de la notification du 15 octobre. L’État adresse à la Commission de nouvelles observations, dont les parties pertinentes sont transmises par la Commission aux requérants. Il confirme la rencontre avec les requérants et précise que : - il est peu probable que le gouvernement accorde des droits de propriété collectifs au peuple Saramaka ou à tout autre groupe, et peu probable qu’il modifie la loi pour ce faire ; - le Suriname, à l’instar d’autres pays, prévoit que l’État détient toutes les terres et ne reconnaît pas le droit des peuples autochtones et tribaux à détenir la terre.
4 décembre 2003 : concernant les mesures de précaution, l’État informe la Commission que les Départements de la justice et du travail du Suriname ont étudié la question de l’illégalité des activités minières. L’État affirme que : « des Brésiliens et autres parties tiers ont signé un contrat avec des peuples autochtones marrons afin d’engager des activités forestières et minières » (§52). Il confirme sa volonté de trouver un règlement amiable, et conteste les allégations des requérants concernant le non-respect par l’État des mesures de précaution. Ainsi, il n’aurait accordé aucune nouvelle concession depuis août 2002.
10 décembre 2003 : l’État soumet ses observations sur la notification des requérants du 23 août 2003 (les parties pertinentes sont transmises par la Commission aux requérants). 15 octobre 2003 : les requérants formulent leurs observations, transmises par la Commission à l’État qui a un mois pour formuler de nouvelles observations.
7 janvier 2004 : les requérants formulent leurs observations sur la notification de l’État du 10 décembre 2003. 28 janvier 2004 : l’État demande un délai supplémentaire jusqu’au 27 février 2004 pour répondre aux observations formulées par les requérants le 15 octobre 2003. Cette demande est accordée par la Commission le 4 février 2004.

5 février 2004 : la Commission convoque les parties à une audience le 5 mars 2004 lors de sa 119ème session.

11 février 2004 : l’État demande le report de l’audience, considérant que le délai de un mois est insuffisant pour permettre aux parties de se préparer. 18 février 2004 : la Commission rejette la demande de l’État. 2 mars 2004 : l’État fait part de son mécontentement suite à la décision de la Commission.
8 avril 2004 : l’État soumet ses observations sur la notification des requérants du 15 octobre 2003. 13 avril 2004 : la Commission informe l’État de sa décision de réitérer les mesures de précaution adoptées le 8 août 2002. 23 avril 2004 : la Commission fait suivre aux requérants les parties pertinentes de la communication de l’État du 8 avril.
3 mai 2004 : les requérants transmettent des informations complémentaires concernant l’épuisement des voies de recours internes et les commentaires fait sur le Suriname par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, par le Comité des droits de l’Homme et par l’Organisation des Nations Unies.
4 mai 2004 : les requérants formulent leurs observations sur les arguments avancés par l’État le 8 avril 2004.
27 mai 2004 : la Commission réitère sa disponibilité et sa volonté de faciliter une procédure de règlement amiable, et demandent aux parties de lui répondre dans les 15 jours. 25 juin 2004 : l’État accepte l’offre de la Commission.
6 juillet 2004 : les requérants transmettent une proposition concernant les conditions de la négociation et demandent à l’État de transmettre la sienne avant le 26 juillet 2004.
26 juillet 2004 : l’État informe les requérants qu’il ne sera pas en mesure de commencer les négociations avant la période du 4 octobre au 17 décembre 2004, considérant que le délai fixé par les requérants ne pouvait être respecté.

3 août 2004 : les requérants déclarent ne plus être intéressés par la procédure de règlement amiable, considérant qu’aux termes de la proposition de l’État en la matière, la probabilité de trouver un règlement amiable était faible.

2 novembre 2005 : l’État informe la Commission qu’il est toujours intéressé par la procédure de règlement amiable.

22 septembre 2004 : l’État demande une audience devant la Commission pour sa 121ème session ordinaire. 23 septembre 2004 : la Commission accepte.
27 octobre 2004 : audience devant la Commission. Le 29 octobre l’État transmet la version écrite de son intervention au cours de l’audience. Les 7 novembre et 7 décembre les requérants font de même.

 

 

Parallèlement, devant des organes de traité de
l’Organisation des Nations Unies


Octobre 2002 : rapport du Comité des Droits de l’homme sur la situation au Suriname.
18 décembre 2002 : un groupe d’organisations non-gouvernementales (ONG) : la VSG, l’Association des chefs autochtones des villages au Suriname (« Association of Indigenous Village Leaders in Suriname »), Stichting Sanomaro Esa , ainsi que le Forest Peoples Programme, transmet un rapport au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (Comité). Ils mettent en avant l’absence de reconnaissance au niveau national des droits des peuples autochtones sur la terre et les ressources, ainsi que la gravité, la continuité et l’irréversibilité des préjudices subis par les peuples autochtones, notamment du fait de l’absence de consultation de ces derniers lors de la mise en œuvre de projets d’exploitation forestière et minière.
21 mars 2003 : le Comité se fonde sur sa Recommandation générale XXIII (51) du 18 août 1997 sur les droits des populations autochtones pour demander à l’État de lui transmettre un rapport sur le sujet avant le 30 jun 200315 .
24 février 2004 : le Comité examine le rapport transmis par le gouvernement du Suriname. Celui-ci met en avant le principe d’égalité et de non-discrimination consacrés par la Constitution du Suriname, ainsi que les « privilèges » dont jouissent les populations autochtones 16.
12 Mars 2004 : le Comité reconnaît la violation par l’État du Suriname des droits des peuples autochtones et marrons17 .

2 mars 2006 : 124ème session de la Commission. Celle-ci adopte le rapport 09/06 dans lequel elle admet la recevabilité de l’affaire.

Elle conclut à :
1- la violation du droit de propriété du peuple Saramaka (article 21 de la Convention) par l’État du Suriname en raison de l’absence de reconnaissance effective du droit communautaire de propriété sur le territoire qu’ils ont traditionnellement occupé et utilisé, sans préjudice des autres tribus ou communautés autochtones ;
2- la violation du droit à une protection judiciaire (article 25 de la Convention) du peuple Saramaka par l’État du Suriname, en ne fournissant pas un accès effectif à la justice pour la protection de leurs droits fondamentaux ;
3- la violation des articles 1 et 2 de la Convention en ne reconnaissant ni ne donnant un effet aux droits collectifs du peuple Saramaka sur leurs terres et territoires.

Elle recommande à l’État de : 1- lever les obstacles juridiques qui entrave la protection du droit de propriété du peuple Saramaka et d’adopter dans sa législation, après consultation informée et effective du peuple Saramaka des mesures législatives, administratives et autres nécessaire à la protection, à travers des mécanismes spéciaux, du territoire sur lequel le peuple Saramaka exerce son droit à la propriété collective, conformément à ses pratiques foncières coutumières, sans préjudice des autres tribus ou communautés autochtones ; 2- s’abstenir de toute acte qui pourrait affecter le droit de propriété ou l’intégrité du territoire du peuple Saramaka, que cet acte soit l’œuvre d’un agent de l’État ou d’une tiers partie agissant avec l’acquiescement ou l’accord tacite de l’État ; 3- de réparer le dommage environnemental causée par les concessions forestières accordées par l’État sur le territoire traditionnel du peuple Saramaka, et accorder la réparation et la juste compensation au peuple Saramaka pour le préjudice subi du fait des violations de leurs droits ; 4-prendre les mesures adéquates pour adopter, conformément aux procédures constitutionnelles surinamiennes et aux dispositions de la Convention américaine les mesures législatives et autres nécessaires à la protection judiciaire et à l’effectivité des droits individuels et collectifs du peuple Saramaka sur leurs territoires traditionnels.

22 mars 2006 : la Commission transmet son rapport à l’État auquel elle donne deux mois pour soumettre un rapport sur les mesures adoptées par lui conformément aux recommandations formulées. Elle transmet le rapport aux requérants.
3 avril 2006 : les requérants informent la Commission que l’État les excluent de toutes discussions sur l’affaire et lui demandent d’adopter des mesures provisoires.
26 avril 2006 : les requérants informent la Commission des réunions organisées entre plusieurs autorités traditionnelles Saramaka, et de l’unanimité de leur position : en cas de non respect par l’État du Suriname des recommandations de la Commission, le seul moyen d’assurer le respect effectif de leurs droits réside dans la saisine de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme.

→ 22 mai 2006 : l’État informe la Commission qu’il a pris les mesures suivantes :
1-l’Assemblée nationale a été saisie afin d’initier les procédures législatives nécessaires ;
2- une loi sur l’occupation irrégulière sera proposée à l’Assemblée nationale prochainement ;
3- en février 2006, une Commission nationale sur les droits fonciers a été mise en place, avec pour mission d’identifier les problématiques liées aux droits fonciers et de formuler des recommandations au Président de la République ;
4- l’État a formulé des instructions à l’intention des organes et institutions concernés de n’accorder aucune concession forestière ou minière sur le territoire de la population Saramaka, ni sur le territoire d’autres peuples tribaux ;
5-le Ministère du travail, du développement technologique et de l’environnement a été chargé d’identifier et de répertorier le territoire traditionnellement habité et utilisé par le peuple Saramaka où un dommage environnemental a été commis, de déterminer l’ampleur de celui-ci. L’État s’engage à rétablir la zone affectée dans son état d’origine.

15 juin 2006 : la Commission ayant accordé un délai de trois mois à l’État pour qu’il puisse présenter les mesures adoptées conformément aux recommandations, celui-ci informe la Commission d’avoir publié l’annonce de la vacance du Chargé de projet sur les droits fonciers, et de s’être conformé aux recommandations de la Commission.

19 juin 2006 : la Commission considère que les propositions de l’État du Suriname sont insuffisantes.
Elle relève notamment que : 1-l’État a accordé des concessions minières et forestières sur le territoire des Saramaka sans consulter les populations affectées par les activités en découlant, ni n’obtenir d’eux leur consentement libre et informée ; 2- les concessions forestières accordées incluent des parties vitales de l’environnement naturel dont le peuple Saramaka dépend pour sa subsistance ; 3- des concessions forestières ont été accordées à des entreprises privées après que la pétition ait été adressée à la Commission et continuent à être appliquées ; 4- certains membres de la communauté Saramaka ont obtenu des concessions forestières de la part du gouvernement ; 5- des activités minières sont menées en dehors de toute autorisation étatique, et le déversement de mercure du fait de l’exploitation illégale de mine d’or contaminent les poissons consommés par les populations ; 6- le dommage environnemental causé pas ces activités forestières et minières ; 7- l’absence de consécration des droits des peuples autochtones et marrons sur leurs terres, ressources, identité culturelle dans la Constitution de 1987, et l’absence de réponse du Président suite à la demande formulée par les Saramaka.

23 juin 2006 : décision de la Commission de transmettre l’affaire à la Cour18Elle considère que l’État du Suriname a violé certains droits du peuple Saramaka et de ses membres.
En effet :
1- l’État n’aurait pas adopter les mesures effectives pour reconnaître le droit collectif de propriété sur leurs terres traditionnelles (violation de l’article 21 de la Convention) 2- il aurait violé le droit à une protection judiciaire du peuple en ne prévoyant pas un accès effectif à la justice pour la protection de leurs droits fondamentaux (violation de l’article 25) ;
3- il n’aurait pas respecté ses obligations d’adopter des dispositions en droit internes et de respecter les droits reconnus par la Convention prévues par les articles 1(1) et 2 de la Convention.
Elle demande à la Cour de reconnaître la responsabilité internationale de l’État du Suriname19 .

b- Procédure devant la Cour interaméricaine des droits de l’Homme

9 et 10 mai 2007 : audiences devant la Cour IDH. Documents présentés par l’Etat du Suriname, par les représentants des Saramaka, et par la Commission.
Les Saramaka20 reprennent la substance du rapport de la Commission, mais : - ils mettent l’accent sur l’importance du Traité de 1762, texte consacrant leur autonomie; - ils demandent la reconnaissance de leur identité en temps que peuple par l’État du Suriname21
Le gouvernement surinamien nie les faits de violation, remet en question la capacité des pétitionnaires et la crédibilité de certaines personnes (experts et chefs notamment).22

28 Novembre 2007 : décision de la Cour IDH23

- Elle conclue d’abord à l’absence de violation du droit de propriété contenu dans l’article 21 de la Convention IDH concernant le barrage d’Afobaka et ses effets persistants. Elle se fonde sur le rapport de la Commission qui n’a pas pris en compte cet élément de la pétition..

- La cour rejette les arguments de l’État surinamien concernant sa prétendue incompétence. Elle prend par ailleurs en compte les éléments de preuve apportés dans l’affaire Aloeboetoe c. Suriname et par les experts, tel que Richard Price, malgré les objections de l’État surinamien.

Questions au litige : la Cour choisit d’examiner en huit points la question de la violation : - de l’article 2 de la Convention (obligation de l’État d’adopter des mesures internes pour rendre effectifs les droits reconnus par la Convention) ; - de l’article 3 (droit à la reconnaissance de la personnalité juridique) ; - de l’article 25 (droit à la protection judiciaire), l’ensemble examiné en lien avec l’article 1 de la Convention (obligation des États de respecter les droits reconnus par ce texte).

Les huit points développés sont les suivants :

1- Le peuple Saramaka constitue-t-il une communauté tribale distincte de la société nationale devant être sujette à des mesures spéciales pour assurer le plein exercice de ses droits ? Oui24 .
Premièrement, la Cour se fonde sur différents rapports d’experts, dont l’opinion de Richard Price, pour qualifier le peuple Saramaka de « communauté tribale, distincte des autres segments de la société nationale de part leurs caractéristiques sociales, culturelles et économiques ». Elle se fonde notamment sur l’affaire The Mayagna (Sumo) Awas Tingni Community25 .
Deuxièmement, la Cour reconnaît que des mesures spéciales de protection doivent être adoptées au bénéfice des membres de la communauté tribale pour leur garantir le plein exercice de leurs droits. Pour cela, elle se fonde sur : - sa jurisprudence qui reconnaît qu’en vertu de l’article 1 de la Convention, des mesures spéciales de protection doivent être adopter pour garantir aux membres de communautés autochtones et tribales le plein exercice de leurs droits, particulièrement leur droits de propriété, afin de préserver leur survie physique et culturelle26 ; - d’autres instruments internationaux ; - de manière plus significative, elle se fonde sur sa décision Moiwana28. Pour rappel dans cette affaire, la Cour avait reconnu comme communauté tribale un peuple noir-marron. Elle avait relevé la relation profonde entretenue par ce peuple avec ses terres ancestrales depuis leur arrivée au Suriname au 17ème et 18ème siècle, relation centrée sur le collectif et non l’individu, et le concept collectif de la propriété entretenu par le peuple. Ainsi, la Cour avait appliqué à ce peuple noir-marron sa jurisprudence relative aux peuples autochtones et à leur droit de propriété collective protégée par l’article 21.
La Cour applique la jurisprudence Moiwana à la présente affaire, et conclue que le peuple Saramaka est une communauté tribale à laquelle s’applique sa jurisprudence relative aux peuples autochtones.

2- L’article 21 de la Convention IDH protège-t-il le droit des membres du peuple Saramaka à l’utilisation et à la jouissance de la propriété collective29 ? Oui.

La Cour rappelle que l’article 21 de la Convention protège les liens étroits que les communautés autochtones ont avec leurs terres traditionnelles et leurs ressources naturelles associés à leur culture, ainsi que les éléments incorporels qui en dérivent.
Dans sa jurisprudence Mayagna, elle avait considéré que « l’article 21 protège le droit de propriété, qui inclut, entre autres, les droits des membres des communautés autochtones dans le cadre de la propriété collective ». Dans sa jurisprudence Sawhoyaxa, elle avait considéré que « les communautés autochtones peuvent avoir une compréhension collective des concepts de propriété et de possession, dans le sens que la propriété de la terre « n’est pas centrée sur l’individu, mais plutôt sur le groupe et sa communauté » . Plus explicitement, dans l’affaire Yakye Axa, la Cour avait reconnu que «tant le droit de propriété des individus que la propriété collective des membres des communautés autochtones sont protégés par l’article 21 de la Convention31 » .

Dans la présence décision, la Cour rappelle que ses décisions sont fondées sur « la relation spéciale entretenue par les membres des peuples autochtones et tribaux avec leur territoire, et le besoin de protéger leur droit sur ce territoire pour garantir la survie physique et culturelle de ces peuples ». Cette relation fonde leurs « cultures, leur vie spirituelle, leur intégrité, leur survie économique »32 .

L’État a ainsi l’obligation de respecter cette relation spéciale des membres des peuples autochtones et tribaux avec leur territoire, pour garantir leur survie sociale, culturelle et économique. Conjugué avec les articles 1(1) et 2, l’article 21 de la Convention pose donc l’obligation pour l’État « d’adopter des mesures spéciales afin de reconnaître, respecter, protéger et garantie le droit à la propriété communale des membres de la communauté Saramaka au dit territoire33 » .

En l’espèce : - la Cour a l’obligation d’interpréter une disposition de la Convention d’une manière qui ne fournisse pas un niveau inférieur de protection du droit consacré par cette disposition par rapport à ce qui a été consacré dans le droit d’un autre État parti à la Convention ou par un autre texte international auquel est parti l’État faisant l’objet de l’affaire en cours. Si le Suriname ne reconnaît pas le droit à la propriété collective des membres des communautés tribales, ni n’est parti à la Convention 169 de l’OIT, il est parti à la Charte des droits de l’Homme des Nations Unies comprenant le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Hors, le Comité d’application de ce pacte, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a reconnu l’applicabilité de l’article 1 commun aux deux pactes aux peuples autochtones. Ainsi, selon le Comité, ces derniers jouissent du droit à l’autodétermination et ont le droit de librement poursuivre leur développement économique, social et culturel, et peuvent librement disposer de leur ressources et richesse naturelles, et ne peuvent être privés de leurs propres moyens de subsistence34 » . Ainsi, en l’espèce, la Cour ne peut interpréter l’article 21 de la Convention américaine de manière restrictive par rapport au niveau de protection apporté par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels.

La Cour affirme alors que l’article 21 de la Convention doit être interprété à la lumière des décisions des Comités d’application des deux Pactes internationaux (relatifs aux droits civils et politiques, et aux droits économiques, sociaux et culturels), et reconnaît le droit de la communauté Saramaka de jouir de sa propriété conformément à sa tradition communautaire. Elle conclue que les membres du peuple Saramaka forment une communauté tribale protégé par les normes internationales de droits de l’Homme qui protègent le droit de propriété collective sur les territoires qu’ils utilisent et occupent traditionnellement, droits fondés sur l’utilisation et l’occupation ancestrales de leur terre et des ressources nécessaires à leur survie physique et culturel.

En vertu de l’article 21 de la Convention américaine, l’État a ainsi l’obligation de reconnaître, respecter, protéger et garantir le droit 35 de propriété collectif des membres de la communauté Saramaka sur le territoire en question.

3- L’État surinamien a-t-il reconnu le droit de propriété des membres du peuple Saramaka dérivant de leur système de propriété collective ?Non.

La Cour se fonde sur un ensemble de rapports rendus par des instances onusiennes36

L’État reconnaît qu’il ne reconnaît pas le droit de propriété collectif. Selon lui : -- le système foncier du peuple Saramaka, notamment la question de savoir « qui » détient la terre, n’est pas suffisamment clair pour permettre la reconnaissance par l’État du droit de propriété collectif ; -- de plus, la complexité et la sensibilité des questions relatives à la propriété collective ne permettent pas une reconnaissance légale de celle-ci ; -- la consécration « traitement spécial » des groupes autochtones et tribaux soulèverait la question de la souveraineté de l’État et de la discrimination subie par le reste de la population ; -- si la Cour interaméricaine pose la question de cette reconnaissance, le peuple Saramaka n’en a pas fait mention devant les tribunaux surinamiens ; --enfin, le droit surinamien reconnaît un « intérêt » à la propriété des membres du peuple Saramaka.
La Cour rejette les arguments avancés par l’État, notamment concernant l’absence de clarté du système foncier traditionnel ou encore concernant la discrimination qui serait subie par le reste de la population . Elle relève que le système surinamien reconnaît aux membres du peuple Saramaka le privilège d’utiliser la terre, ce qui ne permet pas de garantir le droit de contrôler effectivement leur territoire sans interférence extérieur. Hors, l’État a l’obligation d’octroyer aux peuples autochtones et tribaux des titres fonciers leur garantissant l’utilisation et la jouissance de leur terre de manière permanente. Pour cela, les territoires traditionnels doivent être délimités en consultation avec les peuples concernés et les peuples voisins.

Si l’État a fait part d’efforts en ce sens, la Cour conclue à la violation par l’État de son obligation d’adopter des mesures internes effectives pour protéger les droits de propriété des membres du peuple Saramaka prévus par l’article 21 de la Convention (obligation prévue par l’article 2 de la Convention).

4- Le peuple saramaka est-il titulaire de droits sur les ressources naturelles présentes sur et contenues sur le territoire revendiqué ? Si oui, dans quelles mesures ?

Oui, le droit sur les ressources naturelles du peuple existe. La Cour précise cependant que ce droit ne porte que sur les ressources naturelles « traditionnellement utilisées et nécessaires à la survie, au développement et à la poursuite du mode de vie » du peuple Saramaka. La preuve d’un usage traditionnel de ces ressources est donc requise pour que s’applique le droit de l’article 21 de la Convention.
En l’espèce, une telle preuve est établie concernant les ressources forestières et celles du fleuve qui sont donc reconnues comme propriété du peuple Saramaka.

5- L’État a t-il le droit d’accorder des concessions d’exploration et d’extraction des ressources naturelles sur le territoire revendiqué par les Saramaka ?
Si oui, dans quelles mesures ?
La Cour considère que l’État doit :
a
- assurer la « participation effective des membres du peuple Saramaka, conformément à leurs coutumes et leurs traditions, dans tout projet de développement, d’investissement, d’exploration ou d’exploitation » sur leur territoire b- garantir qu’ils recevront un « bénéfice raisonnable » découlant des activités d’exploitation des ressources naturelles de leurs terres ; c- que des « entités indépendantes et techniquement compétentes, sous la supervision de l’État, procèdent à une évaluation préalable des incidences environnementales et sociales ».

L’État a par ailleurs l’obligation « de s’entretenir avec les Saramaka et d’obtenir leur accord libre, préalable et informé, selon leurs coutumes et traditions ». Elle précise les conditions de réalisation de cette obligation qui dépend notamment de la mesure de l’impact du projet sur l’intégrité des territoires autochtones et tribaux.

6- Les concessions déjà accordées par l’État respectent-elles les standards prévus par le droit international ? Non.

La Cour relève que ces concessions ont été accordées en violation des articles 21 et 1 de la Convention tels qu’interprété précédemment. La Cour condamne ainsi l’État surinamien à verser 675 000 dollars de dommages matériels à un fonds de développement pour le peuple Saramaka.

7- L’absence de reconnaissance de la personnalité juridique38 du peuple Saramaka justifie-elle que le peuple Saramaka n’ait pas reçu en droit national de titre collectif de propriété comme communauté tribale et n’ait pas eu un accès égal à la protection judiciaire de leurs droits de propriété ?

La Cour relève que chaque membre du peuple Saramaka jouit de la personnalité juridique. Ainsi, une affaire portée par un individu peut avoir des retombées positives sur le peuple dans son ensemble. La question en litige est cependant différente. Elle porte sur la reconnaissance de la personnalité juridique au peuple Saramaka. Cette reconnaissance permettrait à un membre du peuple de représenter l’ensemble de celui-ci, et ce conformément aux traditions des Saramaka. Elle rappelle que l’État avait remis en cause la crédibilité des 12 chefs des clans Saramaka, ce qui est une conséquence directe de l’absence de reconnaissance de la personnalité juridique du peuple. Si celle-ci existait, l’État ne pourrait remettre en cause le choix du peuple concernant ses représentants. Pour la Cour, le droit du peuple à la reconnaissance de sa personnalité juridique est une des mesures spéciales permettant de garantir au peuple l’utilisation et la jouissance de leur terre selon leurs traditions.

En l’espèce, l’État surinamien ne reconnaît pas une telle personnalité. Le peuple Saramaka est dans une position de vulnérabilité dans la mesure où des droits individuels de propriété peuvent s’appliquer au préjudice de leurs droits de propriété collective.

Ainsi, l’État a violé l’article 3 de la Convention (droit à la reconnaissance de la personnalité juridique), en lien avec les articles 21 et 25 de la Convention (droit à la propriété et droit à la protection juridique, qui n’ont pu être exercés compte tenu de l’absence de reconnaissance du peuple Saramaka de sa personnalité juridique). L’État doit procéder à une telle reconnaissance.

8- Existe-t-il des mécanismes légaux adéquats et effectifs permettant au peuple Saramaka de protéger leur droit d’utiliser et de jouir de leur propriété collective contre ? Non.

La Cour rappelle que les États doivent fournir une protection effective des membres des peuples autochtones qui prend en compte « leurs spécificités, leurs caractéristiques économiques et sociales, ainsi que leur situation particulière de vulnérabilité, leur droit coutumier, leurs valeurs et coutumes ». En ce qui concerne leur droit de propriété collective, les États doivent établir des procédures garantissant la possibilités de revendiquer la propriété de leurs territoires traditionnels39 ».

En l’espèce, après analyse du Code civil surinamien, du Décret minier de 1986 (« The mining Decree of 1986 »), de la Loi sur la gestion forestière de 1992 (« The Forest Management Act of 1992 »), la Cour conclue à l’absence de telles procédures, et donc à la violation par l’État du Suriname de l’article 25 de la Convention.

La Cour ordonne à l’État de d’adopter dix mesures, dont :
1- attribution d’un titre collectif au peuple Saramaka entre le 19 mars 2008 et le 19 décembre 2010 (en accord avec leurs lois et après consultation).
2- Reconnaissance de la capacité juridique collective ;
3- Reconnaissance dans un délai de 3 ans des droits nécessaires à la jouissance du titre collectif (droit d’utilisation, etc.) ;
4- Concernant les projets de développement : obligation de mise en place des mesures nécessaires pour que le peuple soit effectivement consulté, reconnaissance du droit de donner ou refuser son accord, obligation de partager raisonnablement les bénéfices engendrés par ces projets ;
5- Obligation de verser les montants définis par la Cour en compensation des dommages subis par le peuple saramaka.

4 - Les suites

→ Deux mois après la décision, le gouvernement demande des précisions quant à la décision de la Cour, qui rend un arrêt interprétatif en août 2008, réitérant les solutions données en 2007.

6 mars 2009 : le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale rend un rapport dans lequel il fait état des discriminations continues et massives subis par les peuples autochtones et marrons 40.

Décembre 2010 : date limite pour l’accomplissement de certaines obligations de l’État posées par la décision de la Cour IDH. Le Suriname n’a finalement fait que payer les frais occasionnés pour les pétitionnaires par la préparation du dossier. Aucune action du gouvernement concernant la reconnaissance dans le droit surinamien du titre collectif saramaka. Arguments du gouvernement : cela nécessite une approche intégrale du problème, puisqu’il faudrait procéder à la consultation de l’ensemble des peuples composant le Suriname pour procéder au tracé du dit territoire.

Intérêt de la décision Saramaka c. Suriname :
-- reconnaissance de l’obligation de l’État de garantir la participation effective des peuples tribaux et d’obtenir leur consentement concernant les projets de développement sur leurs territoires conformément à leurs coutumes et traditions ;
-- référence à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones41 , à d’autres décisions rendues par la Cour américaine, et à des décisions d’autres instances onusiennes (construction d’une jurisprudence internationale des droits de l’Homme et des droits des peuples autochtones et tribaux) -- développement concernant le droit à l’autodétermination.

 

5 - Sources

- Richard Price, Peuple saramaka contre État du Suriname Combat pour la forêt et les droits de l’Homme, Esclavages, IRD –Karthala – CIRESC, 2012.

- Inter-American Commission on Human Rights, Application to the Inter-American Court of Human Rights in the case of 12 Saramaka Clans (Case 12.338) against the Republic of Suriname, 23 juin 2006, https://www.cidh.oas.org/demandas/12.338%20Saramaka%20Clans%20Suriname%
2023%20junio%202006%20ENG.pdf
- Inter-American Court of Human Rights,
Case of the Saramaka People v. Suriname, Judgment of November 28, 2007 (Preliminary Objections, Merits, Reparations, and Costs), http://www.corteidh.or.cr/docs/casos/articulos/seriec_172_ing.pdf.

 

6 - Notes

1.Le nom de “Saramaka” employé dans la décision faisant l’objet de la présente fiche sera conserve pour celle-ci. Ils ont fait disparaître le « r », pour refléter leur prononciation du mot. 2. Pour une description des faits, voir : Pinto Monica. La réparation dans le système interaméricain des droits de l'homme. A propos de l'arrêt Aloeboetoe. In: Annuaire français de droit international, volume 42, 1996. pp. 733-747.
3. Case of Aloeboetoe et al v Suriname, Aloeboetoe and ors v Suriname, Reparations and costs, IACHR Series C no 15, [1993] IACHR 2, IHRL 1396 (IACHR 1993), 10th September 1993, Inter-American Court of Human Rights [IACtHR] http://www.corteidh.or.cr/docs/casos/articulos/seriec_15_ing.pdf.
4. Paragraphe 57 de la décision.
5. Paragraphe 84 de la décision.
6. Paragraphe 58 de la décision. Voir également : Laurence Burgorgue-Larsen, « Les nouvelles tendances dans la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme», Cursos de Derecho Internacional y Relaciones y Internacionales de Vitoria- Gasteiz 2008, Universidad del Pais Vasco, Bilbao, 2009, pp.149-180, p.14.
7. Court H.R., Case of the Mayahna (Sumo) Awas Tingni Community v. Nicaragua, Merits, Reparations and Costs Judgment of August 31, 2001, Series C No 79.
8. Court H.R., Case of the Moiwana Community v. Suriname, Preliminary Objections, Merits, Reparations and Costs, Judgment of June 15, 2005, Series C No. 124, http://www.corteidh.or.cr/docs/casos/articulos/seriec_124_ing.pdf
9. Car la Loi sur la Gestion des Forêts de 1992 limitait les concessions à une même compagnie à 150 000 hectares.
10. Ces activités participent de l’industrie de la palette de bois, 50% du bois dur servant à garnir les sols des conteneurs. Les entreprises bénéficiaient d’exonérations fiscales, et les revenus étaient concentrés dans les mains des membres du gouvernement et de leurs proches. 11. Selon Richard Price, l’armée permet d’empêcher les Saramaka de s’introduire sur les terres exploitées, mais sa présence serait également justifiée par le fait que les ouvriers chinois seraient des prisonniers envoyés au Suriname pour purger leurs peines.
12. Ils obtiennent avec l’aide d’une ONG les plans des concessions forestières et minières attribuées par le gouvernement à des entreprises, qui englobe déjà la plupart des villages saramaka en amont du lac. Ils font ensuite appel à Fergus MacKay, avocat, qui leur demande de lui fournir une cartographie autochtone, mobilisant alors Peter Poole, spécialiste dans le domaine.
13. Paragraphe 20 décision de transmission de la Commission.
14. Fondation autochtone créée en 1989 et qui a pour objectif de défendre les droits et le bien-être des femmes et enfants autochtones. CERD, « Prévention de la discrimination raciale, y compris mesures d’alerte rapide et procédure d’action urgente : Suriname », 21 mars 2003,
15. CERD/C/62/Dec.3, http://www.unhchr.ch/tbs/doc.nsf/(Symbol)/CERD.C.62.Dec.3.Fr?Opendocument
16. Haut- Commissariat aux droits de l’Homme, « Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale examine le rapport du Suriname », 24 février 2004, http://www.ohchr.org/fr/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=632&LangID=F.
17. CERD, « Concluding observations of the Committee on the Elimination of Racial Discrimination: Suriname. CERD/C/64/CO/9/Rev.2, 12 March 2004 ».
18. Inter-American Commission on Human Rights, Application to the Inter-American Court of Human Rights in the case of 12 Saramaka Clans (Case 12.338) against the Republic of Suriname, 23 juin 2006, https://www.cidh.oas.org/demandas/12.338%20Saramaka%20Clans%20Suriname%2023%20junio%202006%20ENG.pdf 19. La Commission désigne le Commissaire Paolo Carozza et le Secrétaire exécutif Santiago A. Canton comme ses représentants ; Ariel Dulitzky comme secrétaire exécutive adjointe ; Victor H. Madrigal-Borloz comme spécialistes et Oliver Sobers et Manuela Cuvi comme avocats.
20.; On notera l’importance de la préparation des témoins, qui doivent se familiariser avec le lieu, le déroulement de la procédure et la manière appropriée de s’adresser aux juges dans ce type de procès.
21. Ils s’appuient à cet effet sur les deux Pactes de 1966, ainsi que la DNUDPA pour que leur soit reconnu leur droit à l’autodétermination, qui serait par ailleurs violé par application de l’article 3 de la Convention IDH.
22. Décès de Sogo, la gaama ou chef, en novembre 2003. Conflit entre deux chefs, pourtant du même clan jusqu’à la fin 2006. Le Gaaa Otjuju parvient à stabiliser sa position et se prononce contre l’appropriation des terres par des non saramaka. Il jouera finalement un rôle important devant la Cour IDH.
23. Inter-American Court of Human Rights, Case of the Saramaka People v. Suriname, Judgment of November 28, 2007 (Preliminary Objections, Merits, Reparations, and Costs), http://www.corteidh.or.cr/docs/casos/articulos/seriec_172_ing.pdf.
24. La cour : “Les membres du peuple saramaka constituent une communauté tribale dont les caractéristiques sociales, culturelles et économiques diffèrent des autres segments de la communauté nationale, en particulier en raison de leur relation singulière à leurs territoires ancestraux, et parce qu’ils s’autorégulent, au moins en partie, par leurs propres normes, coutumes et/ou traditions » (souligné par l’auteur de la fiche).
25. Voir fiche. Voir §80 à §84, pp. 23-24 de la décision.
26. Case of The Mayagna (Sumo) Awas Tingni Community, paras. 148-149, and 151; Case of the Indigenous Community Sawhoyamaxa v. Paraguay. Merits, Reparations and Costs. Judgment of March 29, 2006. Series C No. 146, paras. 118-121, and 131, et Case of the Indigenous Community Yakye Axa v. Paraguay. Merits, Reparations and Costs. Judgment of June 17, 2005 Series C No. 125, paras. 124, 131, 135-137 and 154.
27. Par exemple, la résolution de la Commission des droits de l’Homme suivante : Resolution on Special Protection for Indigenous Populations. Action to Combat Racism and Racial Discrimination, OEA/Ser.L/V/II/.29 Doc. 41 rev. 2, March 13, 1973. UNCERD, General Recommendation No. 23, Rights of indigenous peoples (Fifty-first session, 1997), U.N. Doc. A/52/18, annex V, August 18, 1997 Voir §85 de la décision, note de bas de page 76.
28. Case of the Moiwana Community v. Suriname. Preliminary Objections, Merits, Reparations and Costs. Judgment of June 15, 2005. Series C No. 124, paras. 132-133.
29. “communal property” traduit ici par “propriété collective”.
30. Case of the Indigenous Community Sawhoyamaxa v. Paraguay. Merits, Reparations and Costs. Judgment of March 29, 2006. Series C No. 146, paras. 118 and 120, and Case of the Indigenous Community Yakye Axa v. Paraguay. Merits, Reparations and Costs. Judgment of June 17, 2005 Series C No. 125, paras. 137 ; Case of The Mayagna (Sumo) Awas Tingni Community, supra note 49, para. 148 and 149.
31. Case of the Indigenous Community Yakye Axa, para. 143.
32. §90 de la présente décision, p.26.
33. Fondements de cette obligation : les précédentes décisions de la Cour IDH (Sawhoyamaxa, Awas Tingni, Yakye Axa) et de celles du Comité pour les droits humains, ainsi que les droits garantis par le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques et le Pacte International relatif aux Droits Économiques, Sociaux et Culturels.
34. UNCESCR, Consideration of Reports submitted by States Parties under Articles 16 and 17 of the Covenant, Concluding Observations on Russian Federation (Thirty-first session), U.N. Doc. E/C.12/1/Add.94, December 12, 2003, para. 11
35. En droit international des droits de l’Homme, les États ont l’obligation de reconnaitre, respecter, protéger et garantir tous les droits de l’Homme reconnus dans les instruments auxquels ils sont partis.
36. UNCERD, Consideration of Reports submitted by States Parties under Article 9 of the Convention, Concluding Observations on Suriname, supra note 43, para. 11; U.N., Report of the Special Rapporteur on the situation of human rights and fundamental freedoms of indigenous people, Rodolfo Stavenhagen, submitted in accordance with Commission resolution 2001/65 (Fifty ninth session), U.N. Doc. E/CN.4/2003/90, January 21, 2003, para. 21 ; Inter-American Development Bank, Indigenous Peoples and Maroons in Suriname, August 2006 (merits, volume II, folio 567).
37. Pour plus de détails, voir les §100 à 114, p.30 à 35.
38. Voir glossaire.
39. §178, p.53 de la décision. Référence à la jurisprudence : Case of the Indigenous Community Yakye Axa, para. 63 et 96.
40. CERD, “Concluding observations of the Committee on the Elimination of Racial Discrimination, Suriname, Seventy-fourth session, 16 February – 6 March 2009, CERD/C/SUR/CO/12, 3 March 2009”.
41. P.39 de la décision.

Document réalisé pour le GITPA par
Zoé BOIRIN-FARGUES
Juin 2014

 

 

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