PREVENTION ET GESTION
DES CONFLITS
Dans les sociétés multinationales (ou multiethniques) et pluriculturelles, les peuples autochtones se trouvent souvent en conflit avec des personnes ou des entités diverses, qu’il s’agisse de l’État, d’autres entités politiques (provinces, ou États dans les systèmes fédéraux), de citoyens non autochtones ou d’étrangers, ou d’entreprises nationales ou transnationales.
Le système mondial s’est construit sur la conception européenne de l’État-nation et sur sa revendication de souveraineté sur ses territoires et ses ressources naturelles indépendamment du fait que ces territoires et ces ressources pouvaient représenter un patrimoine ancestral s’inscrivant dans une continuité historique ou avoir été acquis par la conquête et la colonisation.
Les peuples autochtones, quant à eux, ont des revendications ancestrales sur les territoires et les ressources dont ils ont été peu à peu privés par la conquête ou la colonisation puis par l’édification des frontières politiques modernes. Avec cette histoire faite de colonisation, de «nationalisation» de terres autochtones ancestrales et, plus récemment, de privatisation à large échelle de biens du domaine public, il fallait s’attendre à des conflits pour la terre, les ressources naturelles, l’autonomie, l’autodétermination et autres manifestations possibles du droit de ces peuples de vivre en harmonie avec leurs traditions, leurs cultures et leurs règles propres. Dans le cadre de ce processus complexe de mondialisation néolibérale moderne, le rôle qu’ont toujours joué les sociétés transnationales dans les conflits impliquant les peuples autochtones s’est encore accentué du fait que leurs activités commerciales liées aux projets de «développement» et activités dans le secteur des industries extractives affectent la vie quotidienne des autochtones. Pour arriver à prévenir et/ou à résoudre tout conflit avec une «composante autochtone» il faut d’abord comprendre ses causes profondes.
Dans une situation de conflit effectif ou potentiel entre les éléments autochtones et non autochtones de la population dans un État moderne, il est vital d’admettre que les peuples autochtones ont toujours eu (et continuent d’avoir) une relation unique avec leurs terres ancestrales. Pour les peuples autochtones, leur terre (celle d’où ils sont originaires ou même celle où ils sont obligés de vivre aujourd’hui) est porteuse de valeurs spirituelles et matérielles singulières. C’est en elle qu’ils trouvent les éléments essentiels de leur cosmogonie. Elle est la source suprême de vie et de sagesse. La jouissance collective de ce qu’elle offre, l’inaliénabilité d’un bien qui n’est pas «possédé», mais préservé pour les générations futures, sont pour eux des articles de foi. La terre joue un rôle irremplaçable dans leurs pratiques religieuses et constitue une composante essentielle non seulement de leur identité et de leur patrimoine culturel, mais aussi de leur cohésion politique et communautaire, ainsi que de leurs moyens de subsistance. Cette relation à la terre est radicalement différente du concept de propriété foncière qui est généralement celui des personnes et des entités non autochtones, à savoir l’idée d’un patrimoine immobilier obéissant aux règles du marché.
Il n’est pas surprenant que les peuples autochtones se trouvent bien souvent dans des situations de conflit quand les autorités de l’État (ou les représentants d’autres entités «publiques») et/ou des sociétés transnationales − agissant soit dans le cadre des lois et règlements publics (c’est-à-dire non autochtones) soit dans leur quête effrénée de profit − prennent des initiatives qui portent atteinte à leurs terres, à leurs ressources et/ou à leur tissu communautaire et à leur patrimoine culturel, y compris leurs traditions religieuses.
Comme l’auteur le soulignait déjà dans la première conclusion de son rapport final (E/CN.4/Sub.2/1999/20, par. 252) sur son étude des traités, accords et autres arrangements constructifs entre les États et les populations autochtones (ci-après «étude des traités»), tel est le problème majeur à résoudre si l’on veut instaurer des relations à la fois plus solides, équitables et durables entre le secteur autochtone et le secteur non autochtone dans les sociétés multinationales.
Source : Document de travail présenté par M. Miguel Alfonso Martínez,
membre du Groupe de travail sur les populations autochtones, lors de la vingt-deuxième session (19-23 juillet 2004)
de la sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme
au Conseil économique et social des NATIONS UNIES.