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QUESTIONS AUTOCHTONES LES DROITS TERRITORIAUX DES PEUPLES AUTOCHTONES Source : Indigenous Affairs 4/2004 Marianne Wiben Jensen , traduction GITPA |
Partout la terre est pour les peuples autochtones le fondement de la vie et de la culture. L’absence de droits et d’accès à leurs terres ou aux ressources naturelles mine la spécificité des cultures des peuples autochtones, ainsi que leur capacité à déterminer eux-mêmes leur développement et leur avenir. Il n’est donc pas surprenant que les droits territoriaux et aux ressources naturelles soient, dans le monde entier, une revendication centrale des peuples autochtones, de leurs organisations et du mouvement international de soutien à leurs luttes.
Mondialement, les peuples autochtones ont été confrontés à la menace d’une éviction de leurs terres – à commencer par la colonisation - et cela jusqu’à nos jours. Cette dépossession a souvent conduit à l’extinction ou à une assimilation complète de nombreux groupes autochtones. Alors qu’en certains endroits cette triste évolution est allée à son terme, les quelques 20 dernières années ont témoigné d’une importante mobilisation des communautés autochtones pour conserver leurs droits territoriaux. Ce mouvement a fait des progrès considérables ; il a atteint des résultats importants dans de nombreuses régions mais il ne fait qu’émerger dans certaines autres.
Depuis de nombreuses années, le soutien aux peuples autochtones pour la sécurisation de leurs droits territoriaux fondamentaux est au centre du travail d ’IWGIA. Cet ouvrage rassemble des articles traitant de la situation actuelle en matière de droits territoriaux autochtones de différentes zones géographiques. Des membres et partenaires de longue date de notre réseau y témoignent de leurs expériences. Ils dressent un tableau contrasté où progrès et succès coexistent avec la persistance de problèmes aigus.
ARCTIQUE
On peut faire le constat, au moins sur un plan global et en termes généraux, que plusieurs zones de l’Arctique ont été le témoin de progrès substantiels. Les peuples autochtones ont, cependant, des expériences divergentes en ce qui concerne leurs droits à la terre et aux ressources.
Au Canada , dans le Nord, les revendications territoriales des Inuits et des peuples premiers se sont conclues par des accords depuis une dizaine d’années. Par exemple, au Nunavut, les droit et titre sur environ 350 000 kilomètres carrés de terres et des ressources afférentes, dont 10 % incluent les droits miniers, ont été accordés à quelques 25 000 Inuits. Ils y ont des droits prioritaires sur l’exploitation des ressources fauniques et disposent d’une représentation, à parité avec le gouvernement, et d’un pouvoir de direction partagé au sein des institutions telles que le Conseil de gestion de la faune sauvage du Nunavut (voir l’article de Graham White). Dans la région Arctique Ouest au Nord Canada, les peuples Premiers du Yukon ont signé un Accord collectif définitif qui encadre des revendications territoriales locales tandis que, dans les Territoires du Nord-Ouest plusieurs peuples autochtones ont signé ou négocient des revendications territoriales.
En Alaska, les peuples autochtones ont acquis des droits sur la terre par le biais de titres collectifs à la suite du Alaska Native Claims Settlement Act (ANCSA). Cet acte a conduit à la formation de plus de deux cent coopérative villageoise qui possèdent aujourd’hui environ 12 % des terres de l’Alaska.
EnGroenland , les groenlandais autochtones ont réussi à obtenir l’autonomie nationale du royaume du Danemark. Grâce à celle-ci, c’est dorénavant à eux que revient la responsabilité de la gestion et du développement des ressources biologiques et minérales. La terre est propriété de la population groenlandaise par l’intermédiaire de l’Etat.
EnSàpmi (Laponie), les autochtones ont acquis un influence considérable dans les processus de décision grâce aux parlements Saami de Suède, Finlande et Norvège. Cependant, les gouvernements nordiques ne cessent de saper les droits à la terre et aux ressources. Ainsi une loi sur la gestion territoriale pour le Comté de Finmark (Norvège du Nord) a été introduite en 2003. Elle était censée mettre un point final à la controverse, remontant aux années 1970, portant sur les droits territoriaux Saami. Malheureusement, cette loi a échoué à identifier et reconnaître clairement les droits à leur terre des Saami, que ce soit sur le plan individuel, local ou collectif.
En Russie , les droits à la terre et aux ressources sont protégés par trois lois fédérales. Malheureusement, jusqu’ici l’application en a été fort limitée et les incertitudes de l‘économie de transition ne font qu’accentuer la confusion qui règne dans ce domaine.
AMERIQUE LATINE
Depuis plus de 20 ans, les organisations autochtones d’Amérique latine ont fait porter leurs efforts sur la sécurisation de leurs droits territoriaux par l’établissement de titres fonciers et de statuts législatifs pour leurs territoires. Ce mouvement, initié dans les années 1980 a atteint son point culminant dans les années 1990, avec des variations selon les pays. Cependant la plupart des zones dotées de titres font l’objet de reconnaissance légale par les lois nationales.
EnColombie , les peuples autochtones (qui représentent 2 % de la population) ont conquis la légalisation de leurs territoires, soit un tiers de la surface du pays.
Au Brésil, l’Etat a attribué plus de 15 millions d’hectares aux peuples autochtones.
AuPérou les organisations des peuples amazoniens ont, à ce jour, pu établir droit et titre sur 7 millions d’hectares, l’équivalent de 10 % de l’Amazonie péruvienne, sur les 18 millions qu’elles revendiquent.
EnBolivie, la reconnaissance légale des territoires autochtones suit un rythme plus modéré
AuVenezuela , la délimitation des territoires autochtones ne fait que commencer.
En Argentine et au Chili , dans la partie sud du continent, l’enracinement ancien du processus de colonisation explique que la récupération des territoires autochtones ait des perspectives plus modestes.
Bien que l’obtention de titres soit un premier pas essentiel et un grand succès pour les communautés autochtones d’Amérique Latine, nombreuses sont celles qui sont loin de disposer d’un contrôle réel sur leurs territoires. Les titres et actes de propriétés ne couvrent pas toujours les terres d’usage et de subsistance des communautés. En outre la valeur pratique des titres de propriétés est toute relative dans des pays comme la Colombie où des conflits armés ont provoquée l’exode de milliers d’autochtones. Les titres en vigueur déjà obtenus par les communautés sont gravement menacés par les activités des entreprises pétrolières et forestières, comme au Pérou et en Equateur.
En matière de reconnaissance étatique des droits à la terre et aux ressources, des différences significatives séparent les différents pays de l’Asie de Sud et du Sud-Est.
EnThaïlande , il n’y a pratiquement pas de reconnaissance des droits des populations autochtones (ici appelés « tribus de montagne ») sur la terre et les forêts. La possibilité d’obtenir des actes légaux pour les exploitations agricoles individuelles ou collectives, pour les terroirs d’agriculture itinérante ou même les forêts communautaires, est inexistante. Au Laos et Vietnam voisin, la situation est, dans une certaine mesure, meilleure.
AuLaos, des terres, comprenant des forêts, ont été attribuées à des communautés, sans toutefois que celles-ci représentent la totalité des territoires villageois traditionnels. Il en résulte une pénurie d’espaces pour l’agriculture itinérante et par conséquent un dégradation des sols.
AuVietnam , des certificats d’usage fonciers, transférables et hypothécables peuvent être acquis, pour les terres agricoles ou forestières. Mais seuls les individus ou les entreprises peuvent en bénéficier. Cependant l’attribution de forêts à des communautés, permise par une loi récente, est un premier pas vers la reconnaissance de droits territoriaux communautaires.
Le Cambodge est nettement plus avancé car les régimes fonciers et forestiers prévoient des droits fonciers et l’usage communautaires des forêts. Le défi devant lequel il est placé maintenant est de promulguer les décrets d’application pour que ces lois soient mises en œuvre. Des projets pilotes dans la province de Ratanakiri cherchent à acquérir l’expérience de procédures justes et réalisables, qui permettront de contribuer à la formulation de ces modalités d’application (IWGIA apporte son soutien à ces projets par le biais d’un programme d’échange avec les Philippines). Bien que, d’une part, des titres fonciers communautaires puissent être acquis, et que, d’autre part, des droits d’usages forestiers à long terme puissent être obtenus, ces deux éléments font l’objet de procédures séparées. Ceci divise les territoires villageois traditionnels, chacune de ses parties relevant d’organismes gouvernementaux distincts. Cela signifie que le régime juridique cambodgien ne va pas jusqu’à reconnaître les droits territoriaux des communautés autochtones.
Les Philippines s’en approchent beaucoup plus. Des titres peuvent y être accordés pour ce qui y est intitulé le « domaine ancestral » des peuples et communautés autochtones. Cela reste toutefois une procédure longue et lourde, pour laquelle la plupart des communautés ont besoin d’une assistance extérieure (telle que le projet pour l’établissement de titres fonciers soutenu par IWGIA). En outre, l’organisme gouvernemental spécialisé pour les peuples autochtones, la Commission Nationale pourles Peuples Autochtones, ne dispose pas des moyens suffisants pour répondre au grand nombre de demandes. Et il y a une très grande résistance à l’attribution de titres, manifestée notamment par les représentants des intérêts économiques, tout particulièrement ceux des industries minières ou agro-industrielles. Le progrès en matière de titres légaux pour les territoires autochtones en est donc d’autant plus lent.
EnIndonésie et en Malaisie, les communautés autochtones jouissent d’une certaine reconnaissance de leurs droits coutumiers sur leurs territoires. Mais bien qu’au Sarawak et au Sabah, au sein de la Fédération malaise, il y ait des dispositions légales à cet effet, ces terres n’ont pas encore été délimitées et la loi n’a pas été suivie d’effets.
En Inde le paysage est complexe. La cinquième annexe de la constitution fédérale interdit la vente de terre à des personnes non membre des tribus dans les zones tribales de l’Inde Centrale. La sixième annexe prévoit une protection équivalente dans l’Inde du Nord-Est (pour l’essentiel les districts autonomes en Assam, Mizoram, Meghalaya, Tripura. Une loi, au niveau de l’Etat, est en vigueur pour la zone tribale des collines de l’Etat de Manipur). Dans l’Arunachal Pradesh et au Nagaland et d’autres zones du Mizoram la disposition intitulée « Inner Line Regulation » protège de la même manière les terres autochtones. Dans ces régions, ainsi que dans celles visées par la sixième annexe constitutionnelle, le foncier et les ressources sont régis par la loi coutumière. Il n’en reste pas moins que ces lois et règlements ne parviennent pas à empêcher un empiètement croissant sur les terres autochtones par des éléments extérieures et par des programmes gouvernementaux d’infrastructure et de développement économique. Une évolution récente, et des plus préoccupante, est celle de la privatisation rapide des terres communautaires, encouragée par la politique de prêt des banques publiques et les programmes de promotion des cultures de rapport. Il est fréquent que les élites autochtones locales réussissent à manipuler le processus à leur avantage. On assiste ainsi dans le Nord Est Indien à l’émergence d’une authentique classe de grands propriétaires autochtones.
En Afrique, la situation des droits territoriaux des peuples autochtones est, pour l’essentiel, très mauvaise. L’expropriation y continue à un rythme inquiétant. Partout en Afrique, les peuples pasteurs ou chasseurs-cueilleurs ont historiquement perdu de vastes étendus de terres, ce qui se poursuit aujourd’hui. Parmi les nombreux facteurs en cause, on peut citer des politiques nationales foncières défavorables et l’expansion des zones dédiées à la production agricole, la création de parcs nationaux et de d’aires naturelles protégées, la construction d’infrastructures lourdes et les opérations des industries extractives de matières premières.
En Afrique australe, il est très peu d’Etats africains qui reconnaissent le droit des peuples autochtones à la terre et aux ressources naturelles. L’Afrique du Sud est une exception éminente : certains peuples ont pu y voir leurs revendications foncières reconnues. Dans d’autres parties d’Afrique australe, comme en Namibie et au Botswana, la situation sur ce plan reste mauvaise. De nombreux groupes autochtones ont été confrontés à des expropriations et à des transferts forcés justifiés par des projets de développement , sur la base de politiques post-coloniales reposant sur les mêmes arguments que ceux utilisés par les pouvoirs coloniaux. Les groupes autochtones sont aujourd’hui les plus pauvres parmi les pauvres.
En Tanzanie le gouvernement a promulgué en 1999 deux lois qui restructurent le système de la propriété foncière. Elles reconnaissent la propriété coutumière des terres. Cependant, le statut des éleveurs reste incertain et leurs graves problèmes restent largement ignorés. Il n’en reste pas moins que l’obtention de titres peut s’effectuer sur une base collective et plusieurs organisations se sont saisies de cette opportunité pour instaurer des titres dans certains districts du Nord, habités par d’importantes populations pastorales (IWGIA a apporté son soutien un programme de ce type). Ce n’est qu’un exemple d’élaboration de titres fonciers au profit de communautés autochtones en Afrique
Au Kenya , aucune politique foncière précise n’a été instaurée et on a assisté à des accaparements illégaux de terres à grande échelle. La promotion de l’individualisation et de la privatisation de la propriété foncière a provoqué une expropriation massive des communautés autochtones. Un processus de formulation d’une politique nationale de la terre a été initié en 2003 et est toujours en cours. Quoi qu’il en soit, les populations autochtones ont été pour une grande part exclues de ce processus.
En Ethiopie , les pasteurs ont constamment été marginalisés par les politiques macro-économiques nationales. Leur expulsion de leurs terres ancestrales est un problème énorme qui a aggravé leur pauvreté. Cependant, une société civile, constituée à partir de ces groupes et sachant se faire énergiquement entendre, émerge. Elle pousse à une réforme des politiques et des dispositions plus favorables aux éleveurs. Il semble que le discours du gouvernement à l’égard du pastoralisme évolue positivement, mais il reste à voir si cela sera suivi par des changements réels de politiques et des décisions
En Afrique centrale , la situation en matière de droits territoriaux des populations autochtones – au Rwanda, Burundi, République démocratique du Congo (RDC), Congo Brazzaville, République Centre Africaine (RCA), Gabon et Cameroun – reste extrêmement précaire. Bien qu’en certains endroits les peuples autochtones, en particulier les Pygmées, conservent leur mode de vie traditionnel fondé sur la forêt, ainsi que leur accès à la terre, ils ont été expropriés de manière importante et réduit à la pauvreté absolue dans d’autres, comme au Rwanda, Burundi, Uganda et certaines partie de RCA. En Afrique centrale, il n’y a pratiquement aucune reconnaissance des droits territoriaux autochtones, non plus qu’aucune disposition légale pour les protéger. Ils restent hautement vulnérables aux risques d’expropriation induits par les exploitations forestières, le défrichage agricole, les projets de développement et l’instauration de zones de protection de la faune.
En Afrique de l’ouest , l’accès aux terres et les droits traditionnels des populations autochtones est aussi en danger. Le problème spécifique, les conditions de vie et les besoins de développement des groupes nomades du Sahara, dans des pays comme le Niger et le Mali, ne sont pas reconnus et ne font pas l’objet de l’effort politique qu’ils requièrent. Ce qui, combiné avec la pauvreté, la sécheresse, la concurrence avec les autres groupes qui s’installent dans les zones pastorales, à la fois pour accéder aux ressources et aux instances de décision politiques, menace les bases du mode vie nomade dans le Sahara.
Les articles de cet ouvrage en témoignent, la reconnaissance et la protection des droits territoriaux restent, pour le peuple autochtone, un enjeu majeur, bien que les situations soient très différentes d’une région à l’autre. Les environnements politiques et économiques dans lesquels les peuples autochtones sont plongés offrent des espaces d’action diversifiés. En certains endroits, les titres fonciers légaux ont été, dans une large mesure, garantis. L’enjeu principal y consiste maintenant à défendre et gérer ces territoires. Dans d’autres, la reconnaissance légale ou d’autres formes de protection sont loin d’être une réalité. Cependant, les objectifs restent les mêmes. La reconnaissance des droits des peuples autochtones à leurs terres et à leurs ressources est une responsabilité globale fondamentale. Il en va de la sauvegarde de la diversité culturelle, du droit et de la possibilité pour tous les peuples de déterminer eux-mêmes leur propre avenir.