QUESTIONS AUTOCHTONES

LES PEUPLES AUTOCHTONES ET LA SOCIETE DE L'INFORMATION

FORUM MONDIAL SUR LES PEUPLES AUTOCHTONES ET LA SOCIETE DE L'INFORMATION

Source : Update 57 Docip décembre 2003 Genève

 

 

Faisant suite à une recommandation de l'Instance permanente sur les questions autochtones lors de sa deuxième session en 2003, le Forum mondial sur les peuples autochtones et la société de l'information a été l'une des principales manifestations officielles en marge du Sommet mondial sur la société de l'information. Au total, 286 représentants d'organisations autochtones, d'institutions de l'ONU, d'états membres, d'organismes intergouvernementaux, du secteur privé et d'ONG ont examiné les potentialités et les obstacles existants en vue de la participation pleine et effective des PA à la société de l'information.

La déclaration de Genève

Introduction

1. Nous, représentants des populations, nations et tribus autochtones du monde entier, nous sommes réunis à Genève du 8 au Il décembre 2003 à l'occasion du Forum mondial sur les peuples autochtones et la société de l'information. Le Forum, organisé avec l'aide de l'Instance permanente sur les questions autochtones (IP) de l'ONU, est une réunion officielle qui s'inscrit dans le cadre de la première phase du Sommet mondial sur la société de l'information (SMSI).

2. En notre qualité de représentants des populations, nations et tribus autochtones, et conscients de la grande diversité des peuples autochtones (PA) qui vivent tant en milieu urbain qu'en milieu rural et dans les régions reculées, nous proclamons les principes fondamentaux énoncés ci-après, qui sont indispensables pour construire une société de l'information prenant en compte notre diversité culturelle et nos modes particuliers de communication de l'information, et respectant notre droit de constituer des partenariats pour l'action. Tous les principes énoncés ci-après s'appliquent aux populations, nations et tribus autochtones, à nos anciens, comme aux femmes, aux hommes, aux jeunes et aux enfants, afin que les États s'y conforment et les respectent.

3. La société de l'information est issue d'une révolution mondiale dans les domaines de l'économie, de la technologie et du développement social. Les principaux volets en sont la connaissance, l'information, la communication et l'accès aux services et produits; ces éléments sont, par essence, une manifestation de la situation politique et économique de la société dominante. Cette révolution au niveau planétaire a eu et continue d'avoir de profondes répercussions sur les cultures et les communautés des populations, nations et tribus autochtones, dont la plupart continuent de vivre dans l'extrême pauvreté, sans accès à la nourriture, à l'eau, au logement, à l'électricité et aux autres infrastructures de base.

4. Notre conception de la société de l'information est centrée sur le respect de la dignité et des droits fondamentaux des populations, nations et tribus autochtones, qu'il convient de réaffirmer si l'on veut combler le fossé économique, informationnel et numérique qui sépare les nations technologiquement avancées et le secteur privé d'une part, et les populations les plus marginalisées de la société, notamment les populations, nations et tribus autochtones, d'autre part.

5. Dans ce contexte, les technologies de l'information et de la communication (TIC) doivent servir à soutenir et à encourager la diversité culturelle, et à préserver et développer les langues, l'identité propre et les savoirs traditionnels des populations, nations et tribus autochtones, de la façon qu'elles estiment la plus appropriée pour servir leurs objectifs. L'évolution des sociétés de l'information et de la communication doit reposer sur le respect et la promotion des droits des populations, nations et tribus autochtones et sur leurs cultures spécifiques et multiples, comme énoncé dans les conventions internationales. Nous avons le droit fondamental et collectif de protéger, préserver et renforcer nos propres langues, cultures et identités.

6. Pour que les populations, nations et tribus autochtones ne soient pas exclues de la société de l'information, il est indispensable que les États disposent des infrastructures requises en termes de télécommunications, de radio, de télévision, d'Internet et de TIC, et que les populations, nations et tribus autochtones concernées y aient librement et préalablement consenti, en pleine connaissance de cause. Il faut, pour cela, que ces dernières aient accès aux infrastructures communautaires de base telles que l'électricité et les sources d'énergie. Les populations, nations et tribus autochtones souhaitent qu'on leur offre durablement accès aux infrastructures et aux sources d'énergie et qu'on examine la possibilité de recourir aux technologies de substitution afin de protéger l'environnement. Les États devraient prendre d'urgence des mesures pour répondre aux besoins de toutes les populations, nations et tribus autochtones vivant sur leur territoire, et soutenir les nations en développement et les pays en transition dans l'action qu'ils mènent pour mettre en place une infrastructure dans le domaine des TIC.

7. Certaines populations, nations et tribus autochtones sont parvenues à combler en partie la fracture informationnelle, avec l'aide de l'État et grâce à des subventions du secteur privé. Les progrès accomplis montrent qu'il est possible d'instaurer des partenariats équitables entre les populations, nations et tribus autochtones et les autres groupes de population. Ces démarches et programmes autochtones constituent de véritables ressources, qui peuvent être transmises aux autres par le biais de projets de formation entre autochtones, afin de répondre aux besoins de la grande majorité des populations, nations et tribus autochtones en ce qui concerne la mise en place de programmes de renforcement des capacités adaptés à leur culture. De tels programmes devraient être lancés au niveau local, et veiller au respect de l'égalité des sexes.

Droits de l'homme

 8. Nous déclarons que notre participation à l'instauration et à la mise en place d'une société de l'information doit reposer sur notre droit à l'autodétermination et sur le respect des traités, tant dans la lettre que dans l'esprit. À cette fin, nous demandons aux États d'envisager d'adopter rapidement le projet de déclaration sur les droits des PA, que nous considérons comme un ensemble de normes minimales pour la réalisation de l'équité et de la justice sociale.

9. Nous déclarons que la protection et la préservation de nos langues autochtones et l'expansion de nos savoirs traditionnels ne peuvent être dissociés de notre droit de conserver et de renforcer les liens particuliers, tant spirituels que matériels, qui nous unissent à nos terres, à nos territoires, à nos ressources, à l'air que nous respirons et à nos eaux fluviales et côtières. L'accès aux TIC ne doit pas supplanter les modes autochtones ou traditionnels d'acquisition des connaissances. Les populations, nations et tribus autochtones ont le droit et le devoir culturel de préserver et de transmettre aux jeunes générations leurs modes de vie, y compris leurs modes d'apprentissage.

10. Nous déclarons que nos protocoles culturels, nos traditions, notre droit coutumier et la loi de la nature, notamment en ce qui concerne l'information et les connaissances sacrées ou secrètes, doivent être respectés.

Toute disposition visant au partage équitable des avantages doit reposer sur notre libre consentement préalable, donné en pleine connaissance de cause.

Il. Nous déclarons notre volonté de coopérer avec les autres parties intéressées à la société de l'information en vue d'établir un code éthique et des normes relatives aux pratiques optimales, qui tiennent compte de nos valeurs culturelles.

Éducation et culture

12. Nous avons le droit d'avoir pleinement accès aux processus de prise de décisions concernant l'enseignement public (et l'utilisation des technologies modernes) et d'y être associés (à tous les niveaux). Nous avons aussi le droit de créer et de gérer nos propres systèmes éducationnels selon nos méthodes culturelles, dans nos langues propres, et d'organiser et de contrôler notre mise en oeuvre des TIC, de la façon qui nous semble la plus appropriée. Nous avons le droit d'instituer et de mettre en oeuvre, dans l'enseignement autochtone, la formation des TIC et leur utilisation, sur la base de nos propres méthodes culturelles d'enseignement et d'apprentissage (de la sagesse et des savoirs traditionnels), dans nos propres langues. Nous devons jouer un rôle majeur dans le renforcement des capacités informationnelles pour nos sociétés et être pleinement associés à ce processus.

13. Nous appelons les États, la société civile et le secteur privé à s'allier aux populations, nations et triBus autochtones et à leur fournir les ressources nécessaires pour la conception et l'exécution de projets de formation entre autochtones, notamment d'initiatives associant les anciens et les jeunes, afin de renforcer les capacités et les compétences locales, et de lancer des programmes ne nécessitant pas d'intervention extérieure.

14. Nous avons droit à des formes d'apprentissage à distance adaptées à notre culture pour compléter nos modes d'apprentissage par transmission orale, interpersonnelle et intergénérationnelle, qui font partie intégrante de l'apprentissage et de la transmission de la langue et de la culture autochtones.

15. Pour avoir accès sur un pied d'égalité à la société mondiale de l'information, il nous faut mettre au point notre propre approche de l'utilisation des TIC, adaptée à nos propres modes et protocoles de communication.

16. Nous pouvons prétendre à des méthodes d'enseignement et de renforcement des capacités enracinées dans nos langues, nos cultures et nos savoirs traditionnels, lesquelles sont décisives pour affirmer la confiance en soi et l'identité autochtones.

17. Pour établir les mécanismes permettant aux populations autochtones d'obtenir des applications des TIC adaptées sur le plan culturel, il faut que les différentes populations, nations et tribus autochtones mettent en commun leurs pratiques optimales et les technologies. À cette fin, il faut organiser des réunions et des ateliers aux niveaux régional, national et international afin de permettre aux Autochtones (personnes, groupes et

populations) d'échanger des informations ayant trait aux projets éducatifs.

Développement économique et social

18. Nous avons le droit de définir des priorités et d'élaborer des stratégies en vue d'exercer notre droit au développement. Toutes les mesures de développement, y compris celles relatives à la société de l'information, doivent être maîtrisées par les populations, nations et tribus autochtones intéressées et mises en oeuvre en partenariat avec elles. La participation des populations, nations et tribus autochtones, notamment à la négociation, et leur libre consentement préalable doivent être considérés comme des éléments essentiels de tout processus de développement.

19. Nous avons le droit de mettre en place et de gérer nos propres TIC et de promouvoir ainsi notre droit fondamental au progrès social et économique.

20. Nous avons le droit de participer, aux niveaux national et international, à tous les types de médias et de TIC grand public, afin de renforcer nos stratégies de développement social et économique.

21. Nous avons le droit au renforcement de nos capacités et à un appui adéquat, grâce auxquels nous pourrons établir une base financière solide qui nous permettra de nous tenir au fait de l'évolution technologique et de mettre en place des partenariats et des réseaux.

Santé

22. La technologie peut nous aider à répondre à la nécessité impérieuse que représentent les soins de santé primaires. Elle peut contribuer à la réalisation des objectifs de développement du Millénaire relatifs à'a mortalité infantile et à la santé maternelle. La technologie peut également constituer un appui pour la formation en matière de prévention sanitaire et, par le biais des applications de télé médecine, favoriser la prestation de services dans de vastes zones géographiques. Les technologies de l'information devraient être mises à contribution pour promouvoir et sauvegarder les pratiques curatives traditionnelles. Toutefois, ce potentiel ne pourra se réaliser que grâce à des actions collectives et à l'instauration de partenariats équitables entre les populations, les nations et les tribus autochtones, les États, la société civile et le secteur privé. Les mesures susvisées revêtent un caractère hautement prioritaire.

Biens culturels autochtones (en particulier, les connaissances traditionnelles, la propriété intellctuelle autochtone et les médias)

23. Nous sommes les propriétaires et les détenteurs des connaissances ancestrales inhérentes à nos cultures, qui nous ont été transmises, à travers l'éternité, par l'intermédiaire de nos traditions orales et de nos pratiquesculturelles rituelles. Les régimes actuels de la propriété intellectuelle, qui protègent les droits de la propriété individuelle au sein du domaine public, ne permettent pas d'assurer la protection -de la propriété intellectuelle autochtone, qui est l'héritage collectif des populations, nations et tribus autochtones et un legs à transmettre aux générations futures.

24. Les populations, nations et tribus autochtones ont le droit d'étudier les régimes juridiques existants et d'élaborer leurs propres régimes juridiques, en vue de sauvegarder leurs connaissances traditionnelles et d'assurer la protection du contenu sacré ou secret de ces connaissances. Ce droit s'applique au riche éventail des connaissances traditionnelles, notamment à leurs applications ethnobotaniques et génétiques, ainsi qu'aux systèmes de connaissances traditionnelles qui sous-tendent les pratiques médicinales et agricoles.

25. Il conviendrait de mettre en place, en coopération avec les organismes compétents de l'ONU, une agence média chargée de donner des avis sur la protection juridique et la diffusion, d'une part, des informations relatives à la situation politique, culturelle et économique des PA et, d'autre part, des nouvelles, articles, films vidéo, images et produits des populations, nations et tribus autochtones exploités à des fins commerciales, par le biais de tous les types de médias, y compris les supports imprimés.. D'autre part, les organismes compétents de l'ONU, sous la coordination de l'IP, devraient élaborer, en coopération avec les populations, nations et tribus autochtones, un code déontologique destiné aux médias grand public qui mènent des enquêtes ou effectuent des reportages sur les communautés autochtones.

26. Les États devraient promouvoir et soutenir la création d'un symbole d'identification des produits autochtones reconnu sur le plan international, qui permette d'assurer la protection de la propriété intellectuelle des PA dans le domaine des innovations relatives aux TIC, appartenant, individuellement ou collectivement, aux populations, nations et tribus autochtones.

27. L'ONU et ses États membres devraient promouvoir des mécanismes susceptibles de protéger efficacement les connaissances, les innovations et les pratiques collectives des peuples, nations et tribus autochtones touchant à la diversité culturelle et biologique.

Environnement

28. La situation de l'environnement nous préoccupe tous. Les TIC, notamment la radio et la vidéo, constituent d'excellents moyens de présentation et de promotion de la beauté et de la diversité naturelles de l'environnement . Nous nous permettons de proposer la présente traduction en français de cette phrase, car la traduction contenue dans la version officielle en français de la Déclaration de Genève ne correspond pas à la version originale officielle en anglais et entre même en contradiction avec celle-ci. dans lequel nous vivons et peuvent appuyer l'action que nous menons pour protéger nos terres et nos territoires.

Les PA souhaiteraient produire des matériaux d'éducation multimédia concernant l'environnement.

29. Les populations, nations et tribus autochtones et non autochtones partagent la responsabilité de la protection de l'environnement et de l'adoption de modes de vie durables. Les TIC devraient servir à promouvoir des modes de vie durables pour toute la planète.

30. Aucun équipement de TIC ne devrait être installé sur les territoires des populations autochtones sans le consentement préalable, libre et en connaissance de cause de ces dernières.

31. Toute installation d'équipements de TIC doit être précédée d'une évaluation des répercussions environnementales et culturelles sur les territoires autochtones (terres, voies d'eau, espace aérien, mers et océans), qui devra être réalisée avec la participation effective des populations autochtones.

32. L'installation d'équipements de TIC sur les terres et les voies d'eau, dans l'espace aérien ou en mer devra être évitée si l'on craint des répercussions environnementales ou culturelles défavorables.

Notre voie vers Tunis

33. Pour assurer une participation effective des populations, nations et tribus autochtones au Sommet de Tunis, en 2005, et à toutes les conférences préparatoires, il importe de mettre en oeuvre les recommandations suivantes :

a) Le Forum mondial de Tunis sur les PA et la société de l'information devrait être organisé au même endroit que le Sommet mondial de Tunis sur la société de l'information et précéder ce dernier de quatre jours. Les inscriptions au Forum devraient permettre d'accéder également au Sommet; b) Il conviendrait d'assurer, en coordination avec les organisations autochtones régionales, la participation des membres autochtones de l'IP, en 2004 et 2005, au processus de planification du Sommet de Tunis;

c) Les subventions destinées à couvrir les frais de voyage et de séjour des délégations des peuples, nations et tribus autochtones devraient être financées par les États et le secteur privé et mises à disposition suffisamment tôt pour permettre une planification et une participation effectives. Les contributions devraient être adressées à l'IP, qui procédera à une répartition égale entre les régions autochtones, en veillant à assurer l'équité entre personnes de sexe, d'âge et de régions géographiques différents;

d) Une action de grande envergure devrait être entreprise pour informer les' peuples, nations et tribus autochtones, au début de 2004, des dates et lieux des conférences régionales préparatoires, ainsi que de toute autre question pertinente. Il conviendrait également de communiquer des informations, par courrier électronique, à tous les participants aux sessions annuelles de l'IP.

Programme d'action de Genève

Les recommandations suivantes visent à améliorer la connectivité et l'accès équitable des PA à la nouvelle société de l'information, dans la perspective des rencontres de Tunis prévues pour 2005.

Développement économique et social

Les PA souhaiteraient instaurer des partenariats avec d'autres PA, des États, le système international (y compris les institutions financières) et le secteur privé pour:

1. Assurer un appui régulier et soutenu aux communautés autochtones isolées, afin qu'elles puissent assurer leur connectivité.

2. Créer des partenariats essentiels à la mise en place et à la viabilité de la connectivité des communautés, notammentgrâceà la mobilisation de ressources et à la formation. .

3. Promouvoir la coopération entre ceux qui ont accès aux nouvelles technologies et ceux qui n'y ont pas accès.

4. Faire en sorte que les PA qui ont accès aux nouvelles technologies puissent partager leurs compétences dans des domaines tels que la publicité (en faveur des activités commerciales des communautés autochtones) avec ceux qui ne disposent pas de cet accès.

5. Faire en sorte que les TIC soient mises à la disposition des communautés, selon le principe d'équité, et accessibles à tous.

6. Faire reconnaître la possibilité que l'Internet offre aux PA de promouvoir leur culture et leur histoire, en dehors de toute considération économique.

7. Étudier la possibilité de mettre en place un satellite autochtone.

8. Aider les communautés autochtones à étudier et à mettre au point des technologies.

9. Étudier les applications du commerce électronique, qui revêtent une importance particulière pour les entreprises autochtones, et aider ces dernières à procéder à des analyses de besoins, à mettre au point des plans d'entreprise, à instaurer des partenariats et à concevoir des plans permettant d'assurer la viabilité de leurs projets de commerce électronique.

10. Créer une association mondiale d'organisations et d'entreprises autochtones qui ont franchi le pas de la connectivité, afin qu'elles puissent apporter une assistance aux communautés autochtones qui ne sont pas encore connectées et mettre à leur disposition les technologies appropriées.