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QUESTIONS AUTOCHTONES LE RACISME ENVERS LES PEUPLES AUTOCHTONES UNE PERSPECTIVE MONDIALE Source : Chandra Roy IWGIA Indigenous Affairs,2001, traduction GITPA |
« Les Nations Unies convoquent à Durban (Afrique du sud), du 31 août au 7 septembre 2001, la troisième Conférence mondiale pour combattre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance. Elle donnera l’occasion à la communauté internationale d’examiner, de façon plus approfondie à l’aube du XXIème siècle, la discrimination et la xénophobie, leur myriade de manifestations et leurs connotations complexes.
Aucun pays au monde n’est exempt de ces pratiques. Cependant l’accroissement d’actes racistes aussi bien dans les pays industrialisés que dans les pays en développement, suscite une grande inquiétude. La montée de groupes néo-nationalistes en Europe, l’existence durable d’organisations clamant la suprématie blanche, comme le Klu-Klux-Klan aux Etats Unis, l’attaque de la mosquée Barbri en Inde, les conflits ethniques dans les Balkans, l’Indonésie et le Rwanda montrent la persistance du fléau du racisme et de la xénophobie dans notre monde.. La tenue de la conférence mondiale en Afrique du sud, un pays qui a réussi à en terminer avec son passé d’apartheid, nous rappelle que le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance peuvent être vaincus et que la paix et la réconciliation sont de bons moyens de panser les plaies.
L’organisation d’une conférence, au niveau mondial, sur le racisme et l’intolérance met en évidence la gravité du problème. Deux autres conférences mondiales, en 1978 et en 1983, en avaient déjà discuté et établi des stratégies de lutte mais vingt ans plus tard le fléau persiste. Beaucoup de gens y sont confrontés ans leur vie quotidienne parfois ouvertement, plus souvent de façon sous-jacente quand ils cherchent du travail, un logement ou à entrer dans une école ou à l’université. Pour nombre d’entre eux c’est une nouvelle expérience à leur arrivée, comme travailleur immigré, comme réfugié politique ou économique, dans un pays étranger. Mais les peuples autochtones, eux, souffrent de discrimination depuis des siècles, depuis l’arrivée des premiers colonisateurs de leurs terres jusqu’à leurs actuels successeurs.
On estime à 300 millions actuellement le nombre d’autochtones, vivant dans les pays industrialisés ou en développement. Des Aborigènes d’Australie aux Ayoreo de Bolivie, des Cree du Canada aux Chin de Birmanie, des Jummas du Bangladesh aux Jarai du Cambodge, des San d’Afrique du sud aux Saami du nord de la Scandinavie et de Russie, iIs rencontrent intolérance et préjugés dans leur lutte pour la survie. Tous sont confrontés à la même double discrimination : - individuellement pour être autochtone et, collectivement, pour appartenir à une population différente de celle qui est dominante et homogène dans la nation – dans leur lutte pour conserver leur identité et leur culture distinctes.
Historiquement, la discrimination à l’encontre des autochtones a commencé avec l’arrivée des premiers colonisateurs européens. Quand ils débarquèrent sur des terres « non appropriées », ces explorateurs entreprenants ignorèrent ou nièrent l’existence de ceux qui vivaient déjà sur ces terres. Les rejetant comme « sauvages » et se croyant « supérieurs », dans leur arrogance et leur ignorance, les nouveaux arrivants installèrent leur domination par la force, la fourberie et/ou la coercition ou par tous ces moyens réunis. Légalement ou ignominieusement ils dépouillèrent les autochtones de leurs terres et de leurs territoires et entamèrent le processus de discrimination poursuivi jusqu’à aujourd’hui par les états qui leur ont succédé. La colonisation des autochtones s’est effectuée par delà les mers, dans le cas des Amériques, de l’Australie et du Groenland, dans les pays mêmes des colonisateurs au Botswana, en Finlande, au Kenya, au Népal, en Norvège, en Russie et en Suède ou de l’une et l’autre manière par exemple au Bangladesh, en Inde, en Indonésie et aux Philippines, pour ne citer que quelques cas.
Ce processus de colonisation est au fondement de la discrimination contre les peuples autochtones, qui perdure et se manifeste de différentes façons. L’élément clé en est la terre. Tous les peuples autochtones ont une relation forte avec leurs terres. Ils en dépendent pour leur survie économique et spirituelle. La quasi extinction des Uwa en Colombie, des Atel et des Mlengbrou au Laos, qui ont perdu leurs terres ancestrales à cause d’une politique gouvernementale de repeuplement, le prouve. On peut constater les effets dévastateurs de la dépossession de la terre et la perte d’identité et de l’estime de soi qui en résulte, dans le système des réserves imposé aux Premières Nations d’Amérique du nord. Différents moyens et mécanismes ont été utilisés pour s’emparer des terres des autochtones. Tous discriminatoires, ils comprennent, de façon non exclusive :
La terre étant leur principale source de revenus et leur moyen d’existence, l’érosion continuelle de leurs droits territoriaux est la cause majeure de leur appauvrissement. Partout, les populations autochtones sont parmi les segments les plus pauvres de la population nationale, avec le niveau de revenu et d’éducation le plus bas mais avec le niveau le plus élevé de malnutrition et de graves problèmes de santé et de manque de soins.
Au Cambodge , dans les Chittagong Hill Tracts (Bangladesh), au Laos, en Russie, au Pérou, le nombre d’hôpitaux et de dispensaires dans les zones indigènes est plus bas que dans le reste du pays. En outre, le personnel médical et para-médical, qui, généralement, ne parle pas les langues indigènes, ne souhaite souvent pas rester dans ces zones parce que les conditions de vie y sont trop mauvaises, Les étrangers, fréquemment, ont apporté des maladies nouvelles que les autochtones ne connaissaient pas, telles que le choléra, le paludisme, la dysenterie aux conséquences souvent fatales, comme cela s ‘est passé lors de l’invasion des chercheurs d’or (garimperos) dans le Brésil central.
L’éducation est un autre domaine où les peuples autochtones souffrent de discrimination, dans l’accès à l’enseignement et aux écoles et par le fait que la plupart des programmes scolaires et des cursus ne prennent pas en compte leurs caractéristiques culturelles. L’enseignement est souvent dispensé dans la langue nationale, dans certains pays l’usage des langues indigènes était même prohibé (en Bolivie et en Norvège, par exemple). Les manuels scolaires, en règle générale, ne font pas référence aux populations autochtones du pays, à leur culture, à leurs traditions et donnent une interprétation de l’histoire différente de la leur Ainsi,les enfants n’ont ainsi pas le sentiment de faire partie de la société nationale, ce que pensent d’ailleurs les instituteurs, ignorants des cultures autochtones qu’ils n’essayent pas d’intégrer à leur enseignement. Il en résulte un sentiment de marginalisation chez les enfants qui leur fait quitter l’école prématurément. Pour ceux qui continuent leurs études, la discrimination perdure aux niveaux supérieurs.
L’accès à l’emploi, l’ascension sociale sont empêchés par les préjugés. Comme les femmes, les autochtones se heurtent à des barrières qui les privent de promotions, de possibilités d’amélioration de leur salaire et les cantonnent aux plus bas niveaux des travailleurs dans les entreprises privées ou d’état. Tant au niveau du recrutement que sur le marché du travail en général, les autochtones souffrent d’un taux de chômage plus élevé que celui de la moyenne nationale. Ils sont souvent leur propre employeur ou se limitent aux activités traditionnelles : la pêche et la chasse, le tissage, la vannerie, le petit élevage et l’agriculture de subsistance.
La question est souvent posée de savoir pourquoi les autochtones recevraient-ils un traitement différent des autres, comme la discrimination positive, un système de quotas, qui est en lui-même discriminatoire vis-à-vis de la majorité ? pour y répondre il faut examiner le contexte, considérer les injustices passées, les efforts pour éviter la répétition de telles pratiques et les mesures appliquées également aux femmes et aux minorités ethniques dans certains pays. Ces politiques ont pour but d’assurer une représentation égale aux groupes vulnérables et de les protéger contre d’autres politiques, agressives, qui ignorent leurs caractéristiques particulières. Aux autochtones, aussi, il faut assurer l’égalité raciale et la possibilité de se situer au même niveau de développement et d’avancement que le reste de la population.
Depuis leur création, en 1945, les Nations Unies ont mis l’accent sur la nécessité de protéger et promouvoir les libertés et les droits de l’homme fondamentaux pour tout individu, quelles que soient sa race, sa couleur, ses croyances. Ces principes sont enchâssés dans toutes les déclarations sur les droits de l’homme des Nations Unies, y compris, évidemment, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et la Convention internationale sur les droits économiques, sociaux et culturels. Les études et rapports produits par les Nations Unies mettent en lumière le problème
mondial de la discrimination raciale qui a fait l’objet, en 1963, d’une déclaration adoptée par l’ONU sur l’Elimination de la discrimination raciale et, par la suite en 1965, d’une Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. L’article 1 er de cette Convention définit la discrimination raciale comme :
« Toute distinction, exclusion, restriction ou préférence basée sur la race, la couleur, la filiation, l’origine ethnique ou nationale qui a pour but ou effet d’annuler ou d’altérer la reconnaissance, la jouissance sur une base égalitaire, des droits et libertés fondamentaux dans le domaine politique, économique, social et culturel de la vie publique. »
Le comité des Nations Unies sur l’élimination de la discrimination raciale est responsable du contrôle de la mise en œuvre de la Convention et siège, régulièrement, pour s’en assurer. Il a ainsi examiné la situation dans de nombreux pays et pu y constater celle des populations autochtones. Le 18 août 1997 il a adopté une Recommandation générale XXIII (51) manifestant sa préoccupation de la discrimination continuelle à l’encontre des populations autochtones : « Le Comité est conscient du fait que, dans de nombreuses régions du monde, les autochtones ont été et sont encore l’objet de discrimination, privés des droits de l’homme et des libertés fondamentales et, qu’en particulier, ils ont perdu leurs terres e t leurs ressources au profit de colons, de compagnies commerciales et d’entreprises d’état. En conséquence de quoi la préservation de leur culture et de leur identité historique a été et est toujours mise en péril. » Le Comité réclame la restitution des terres et territoires autochtones et, où ce n’est pas possible, une compensation juste, équitable et rapide incluant l’attribution de terres comparables. Il a examiné (mais ne se limitera pas à) des rapports concernant la situation des autochtones en Australie, au Bangladesh , au Canada, au Danemark, au Guatemala, au Mexique et en Norvège et a souligné la nécessité d’une approche non discriminatoire en ce qui concerne les droits e l’homme et les libertés fondamentales.
La question de la discrimination et des peuples autochtones a été aussi examinée par d’autres institutions des Nations Unies. Une commission a été créée pour faire l’ « Etude de la discrimination contre les populations autochtones ». Rédigée par M. Martinez Cobo (E /CN.4/Sub.2/1986/7 and Add.1-4), connue comme le rapport Cobo, cette étude fut une contribution importante à l’établissement, en 1982, du Groupe de travail sur les populations autochtones, groupe mandaté pour examiner, entre autres, la situation et les modalités de fixation des normes dans ce domaine,.et qui se réunit régulièrement depuis sa création.
En 1994, après dix années de discussions intenses, le Groupe a adopté la Déclaration des Droits des peuples autochtones. Le projet en avait été élaboré avec la participation active de peuples autochtones du monde entier. A présent, le projet de Déclaration est soumis de la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU. Son article 2 stipule que « les peuples et les individus autochtones sont libres et égaux en dignité et en droits aux autres peuples et individus, doivent être exemptés de toute discrimination, en particulier celle basée sur leur origine et identité autochtones. » Jusqu’à présent ( janvier 2001, note de la traductrice) s’est réuni six fois sans avancer beaucoup – deux articles sur quarante cinq ont été adoptés et concernant seulement les droits individuels. La question des droits collectifs, particulièrement le droit à l’autodétermination, soulève l’opposition des états qui la perçoive comme une menace.
Le processus d’adoption de la Déclaration des droits a rencontré l’opposition des états dont la plupart refusent la référence à des « peuples autochtones ».Les autochtones, par ailleurs, refusent avec véhémence d’accepter la déclaration des états.. Cette controverse autour du terme « peuples » a attiré l’attention, durant la rédaction du projet, sur l’attitude discriminatoire des états membres du groupe : tous les peuples sont reconnus comme peuples…à l’exception des peuples autochtones. Le Dr. Erica-irene Daes, qui a été présidente- rapporteure du groupe pendant plusieurs années, est de cet avis dans son travail préparatoire sur Le concept de « peuple autochtone » : elle n’est pas persuadée qu’il y ait une quelconque distinction entre peuples « autochtones » et « peuples » en général, autre que le fait que les groupes typiquement identifiés comme « autochtones » ont été incapables d’exercer le droit à l’auto-détermination en participant à la construction d’un état-nation contemporain. » (E/CN.4/Sub.2/AC.4/ 1996/2).
La question, inhérente à toute discussion sur les droits autochtones, telle que l’a clarifiée le Dr. Daes, est celle de la controverse autour des droits à l’auto-détermination.. Toutes les principales déclarations des Nations Unies y compris la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, les deux Conventions sur les Droits civils et politiques et les Droits économiques, sociaux et culturels, incorporent les droits de tous les peuples à déterminer librement leur avenir. Pourquoi seuls les peuples autochtones seraient-ils exclus de cette jouissance si ce n’est par discrimination raciale ?
Depuis le début des années 1920, l’Organisation internationale du travail (O.I.T.), agence spécialisée des Nations Unies, a étudié la situation des peuples autochtones du point de vue de leur participation au marché du travail. A la suite d’une étude sur : Peuples autochtones : conditions de vie et de travail des populations aborigènes dans les pays indépendants (1953), l’O.I.T. a adopté le premier outil consacré exclusivement aux peuples autochtones, la Convention de l’O.I.T. sur les populations autochtones et tribales, 1957 (n°107). Cette convention fut adoptée en réponse au défi de protéger les populations autochtones contre la discrimination et d’assurer leur existence. Trente ans plus tard, l’O.I.T a adopté un texte plus progressiste pour remplacer la Convention n° 107 qui était critiquée pour son « intégrationnisme » et considérée comme dépassée. Elle restait toutefois valide dans les pays qui l’avaient ratifiée, comprenant le Bangladesh, le Brésil, etc. Le système de supervision de l’O.I.T. examine régulièrement les problèmes, y compris sous leurs aspects discriminatoires,.auxquels les autochtones de ces pays sont confrontés,
En 1989, l’O.I.T. a adopté la Convention sur les peuples autochtones et tribaux (n°169) dont la base est que les peuples autochtones ont le droit de survivre comme peuples distincts avec leurs propres cultures et traditions. Elle met en lumière la nécessité de mesures spéciales pour les protéger comme le souligne une publication récente : Convention de l’O.I.T. sur les peuples autochtones et tribaux, 1989 – n°169 : Un manuel : « Les cultures et les modes de vie des peuples autochtones et tribaux sont souvent différents de ceux du reste de la population nationale et ils peuvent subir des discriminations du fait de leurs traditions, cultures et valeurs particulières. En conséquence, beaucoup de peuples indigènes. »
Pour lutter contre la discrimination, l’instrument principal reste la Convention sur la discrimination (dans l’emploi et le travail) de 1958 (n°111). Elle concerne particulièrement la discrimination raciale dans les lieux de travail et est très utile dans les situations liées à l’emploi, au recrutement, aux possibilités de promotion et dans le domaine de l’éducation. De nombreux pays ont ratifié cette Convention, cependant le comité d’experts de l’O.I.T. a régulièrement examiné des cas de ce type de discrimination dans des pays qui ont adhéré à la Convention.
La Conférence mondiale sur le racisme doit adopter une Déclaration et une plate-forme d’action. L’enjeu n’est pas seulement de s’assurer que les peuples autochtones seront particulièrement inclus dans ces deux documents mais aussi de s’assurer que les discriminations systématiques à leur égard ne continuent pas. Un premier pas dans cette direction sera de les reconnaître comme « peuples » ayant le droit de déterminer librement leur propre avenir, un avenir délivré de la discrimination raciale et où tous les peuples seront égaux. La Conférence mondiale devra également appeler à la protection des droits autochtones sur les terres, territoires et ressources. Elle devra encore enjoindre les états à adopter le projet de Déclaration de l’O.N.U. sur les droits des peuples autochtones.
Un autre défi sera de s’assurer du contrôle de la mise en œuvre des engagements pris à la Conférence et qu’ils ne subissent pas le sort des précédents. Les peuples autochtones, comme tous les peuples, ont l’espoir d’un monde libéré de toutes les discriminations qu’il s’agisse de la race, de la culture ou de la croyance. Luttons pour l’égalité de tous en ce nouveau millénaire.
Chandra Roy est une autochtone jumma des Chittagong Hill Tracts au Bangladesh. C’est une avocate titulaire d’un diplôme de droit international. Son travail est centré sur les droits de l’homme,, les droits des autochtones, le genre et le développement. Elle a travaillé de nombreuses années au département des normes internationales de l’O.I.T.et, plus récemment, sur un projet sur les peuples autochtones. Elle a de longues années d’expérience dans le domaine du droit international , y compris à l’O.N.U. ; elle est l’auteur de plusieurs publications sur les droits légaux des autochtones des Chittagong Hill Tracts. Elle travaille actuellement comme juriste consultante indépendante.