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QUESTIONS AUTOCHTONES ACTIVITES POLITIQUES DES PEUPLES AUTOCHTONES LO TRANSNACIONAL INSTRUMENTO I DESAFIO PARA LOS PUEBLOS INDIGENAS * Source : Présentation par I Bellier (LAIOS / CNRS) du livre de Françoise Morin et Roberto Santana (eds) Abya Yala Quito 2002 |
Cet ouvrage d’anthropologie politique aborde la question de la mondialisation dans une région du globe, l’Amérique, sous l’angle qui répond le mieux à une problématique centrale pour qui s’intéresse au devenir des sociétés post-coloniales, à savoir la manière dont les groupes sociaux, en l’occurrence les peuples autochtones, vivent les frontières héritées de la colonisation et de la consolidation des Etats nations qu’ils tentent de transformer pour défendre leur droit à exister comme peuple. D’où le titre qui met en évidence une double dimension de la trans-nationalisation. La thématique transnationale est plus souvent évoquée au regard de la pratique des opérateurs économiques et financiers que de celles des hommes et des femmes considérés, généralement, comme des marginaux dans les Etats qui les incorporent. Mais si l’on se donne la peine d’observer les pratiques économiques, sociales, et politiques qui se nouent entre des acteurs civils, institutionnels ou religieux qui se jouent des frontières ou en usent de manières très diverses, on comprend que le franchissement de lignes tangibles ou invisibles, symboles de l’Etat plus qu’incarnation de la nation, est l’instrument de la transformation des conditions d’existence des peuples indigènes. C’est à ce titre que la transnationalisation représente un défi pour le développement de ces peuples qui sont inscrits, le plus souvent malgré eux, dans une structure sociale et politique qui les marginalise.
Ce livre complète avec de nouvelles études de cas, le dossier ouvert par Recherches Amérindiennes au Québec sur « Mondialisation et Stratégies Politiques Autochtones » (vol XXXI, n°3, 2001). Il met en scène deux des cadres conceptuels avancés par Appadurai dans stimulante éclaire la manière dont la mondialisation travaille les sociétés locales et comment se renégocie le rapport au territoire sous un angle culturel et politique. Il permet de comprendre que la mondialisation dont l’impact négatif est souvent souligné peut avoir des effets bénéfiques, notamment sur le plan de la circulation de l’information. La mise à disposition d’Internet – dont les enjeux ne sont pas réglés en ce qui concerne les coûts d’équipement ou le contrôle des serveurs et des contenus, permet aux peuples autochtones de rompre l’isolement qui a été source de leur marginalisation et de prendre pied dans un mode de fonctionnement planétaire. Il est fascinant de voir combien il leur est utile aujourd’hui pour établir des contacts d’une région du monde à l’autre, et au sein d’une même région, pour informer des luttes et des acquis, mettre au point des stratégies communes et interagir avec les grandes organisations internationales. C’est là un changement qui ne touche sans doute pas les 350 millions d’autochtones de par le monde, mais qui est approprié par les représentants de ces peuples qui ont soit construit leurs propres organisations, soit bénéficié du soutien d’ONG actives dans le domaine des droits de l’homme. Les différents chapitres qui portent chacun sur une société amérindienne permettent de réfléchir aux conditions du changement des rapports entre Etat et Nations et à la construction de formes de pluralisme qui permettent à différents peuples d’exister ensemble dans un espace politique, ce qui réintroduit dans l’horizon du possible la question du droit des peuples à disposer d’eux mêmes sur lequel est fondée la charte des Nations Unies.
La mondialisation se caractérise par une intensification des migrations vers les pays développés, la création de nouveaux modes de production et la diffusion de nouvelles technologies de l’information et de la communication. Elle peut induire des formes d’homogénéisation mais aussi divers processus de différentiation culturelle. Notable est la création de liens entre des individus que la distance ne tient plus séparés et de réseaux de solidarités par delà toutes sortes de frontières, géographiques, linguistiques ou culturelles.
Dans ce paysage tissé par la transformation des rapports entre individus, groupes sociaux et communautés locales, en raison de l’ingérence d’acteurs économiques, religieux ou politiques divers, les peuples autochtones occupent une position singulière. L’étude de leurs situations permet de distinguer la mondialisation qui pose la question de l’économie monde et l’horizon de la déterritorialisation et la trans-nationalisation qui met en question la nature des contrôles exercés par l’Etat nation, pour observer l’émergence de nouveaux territoires. Sont-ils essentiellement « virtuels » comme le posent en introduction Morin et Santana, ou bien échappent-ils à la qualification de territoire national en attente d’une requalification ultérieure de ces espaces partagés sur lesquels les formes de contrôle sont encore faiblement marqués, est une question sur laquelle géographes et politistes pourraient se pencher avec intérêt.
Les auteurs et éditeurs entendent prolonger les réflexions entamées depuis une vingtaine d’années sur le rôle politique des mouvements indigénistes en Amérique Latine en mettant l’accent sur les dimensions internationales et transnationales qui ont contribué à son émergence et aidé à sa consolidation. Les organisations non gouvernementales, actives dans le domaine des droits de l’homme et focalisées sur la question des peuples premiers, sont sans doute les premières à avoir appuyé un mouvement qui a pris une ampleur inégalée dans la dernière décennie du vingtième siècle en s’implantant au sein du système des Nations Unies, étant relayé de multiples façons dans les grandes institutions du pouvoir occidental et régional. Si l’assimilationisme prévalant dans les Etats américains au 19ème et 20ème siècle, se donnait pour objectif d’effacer la « tâche » indigène, l’internationalisation des mouvements autochtones a contribué à donner une nouvelle visibilité à des groupes postulés comme différents des sociétés majoritaires, ainsi qu’à des modes d’être et de penser le monde déviants par rapport à la pensée néo-libérale dominant l’organisation économique comme la structuration des rapports sociaux et économiques. Cette nouvelle donne qui se présente comme une dynamique politique, conflictuelle par essence, invite à repenser les relations existant entre les Etats et les peuples autochtones en commençant, dans l’optique de cet ouvrage, par étudier les relations que les peuples entretiennent entre eux de part et d’autre de la frontière.
Les auteurs envisagent quatre types de situations que les contributeurs illustrent dans leurs articles.
La première concerne la construction d’une identité transfrontalière pour des groupes divisés par un tracé arbitraire des séparations inter étatiques qu’ils respectent de moins en moins. Tels les Yagua du Pérou qui, depuis les années 70, migrent de plus en plus en Colombie bien qu’ils circulent seulement au sein de leur territoire amazonien, ce qu’ils se représentent par un système de chamanisme subaquatique propice à penser le déplacement à longue distance, comme le montre Jean Pierre Chaumeil. Tels aussi les Ticuna qui, selon les opportunités offertes par les gouvernements voisins et l’influence de mouvements religieux messianiques, s’installent au Pérou, en Colombie ou au Brésil. S’ils ont tout d’abord construit leurs organisations politiques dans un cadre national, Jean Pierre Goulard montre que le maintien de formes linguistiques et claniques communes et la volonté de poursuivre ensemble un projet culturel conforte un processus de construction identitaire transfrontalier. Tel est
aussi le cas des Aymara, société andine de 2 millions de sujets parlant la même langue, répartis entre la Bolivie, le Pérou et le Chili qui, du fait de leur histoire, vivent aujourd’hui la double expérience d’être culturellement unis – ce qui a donné naissance au concept de panaymarisme- et politiquement divisés par les Etats qui les englobent. Leur situation, analysée avec une grande finesse par Xavier Albo, permet de repenser aux conditions par lesquelles une nation prend conscience de son existence et lutte historiquement pour se voir reconnue ce qui, dans le cas bolivien, a contribué à insérer la dimension aymara dans la représentation nationale tandis que, au Pérou et au Chili, le mouvement conduisant à une évolution globale de la société vers un plus grand pluralisme, était retardé par le Sentier Lumineux – pour qui l’ethnicité était contre révolutionnaire par nature - et par la dictature d’A. Pinochet pour qui seule comptait la chilénisation qu’il préconisait. La question de l’identité transfrontalière mise en évidence par le déploiement de signes culturels communs, tels que l’usage d’une même langue, mérite, ainsi que le suggèrent les auteurs, d’être discutée au regard d’autres formes d’identité à géométrie variable, telles que celles d’identité amazonienne, d’identité andine ou, plus globalement, d’identité autochtone. Mais elle peut aussi être pensée au regard de l’invention d’autres formes d’identités transnationales telles que l’identité européenne ou l’identité occidentale qui s’appuient sur la mobilisation d’un référentiel commun et sur les processus d’attribution de sens dans lequel comptent non seulement les processus d’auto-identification mais aussi les modes de reconnaissance par autrui ce qui, à moment donné, emprunte le chemin du droit.
La seconde est illustrée par la création des réseaux migratoires indigènes transnationaux. La frontière entre le Mexique et les Etats Unis est un cas emblématique que de nombreux auteurs, relevant de différentes disciplines, ont déjà bien traité. Stefano Varese montre dans cet ouvrage comment les stratégies migratoires des indigènes mexicains s’inscrivent dans la dynamique même d’une mondialisation qui facilite les déplacements, en les accélérant par le fait du transport aérien, sans induire de coupure entre les segments de communautés qui restent liés par la communication électronique et le téléphone. Ces facteurs
permettent aux individus de chercher ailleurs que dans leur communauté d’origine les moyens d’exister, en disposant d’un travail qui leur fournira des ressources pour eux-mêmes et leurs familles. Mais au lieu de les isoler, ils contribuent à renforcer les sentiments d’appartenance en facilitant d’une part le regroupement dans les villes d’accueil d’individus originaires d’une même communauté locale, d’autre part le maintien des contacts par lesquels chacun est tenu informé de ce qui se passe ailleurs. Une culture de la communauté qui s’appuie sur la mobilisation des formes de réciprocité traditionnelle, se reproduit aussi bien sur le site d’origine que dans l’espace de la migration qualifié « d’espace communautaire ». C’est un
point qu’illustre très précisément l’article de Françoise Lestage, consacré aux migrations des jeunes mixtèques et à la manière dont ils mobilisent les ressources de la communauté pour se déplacer du Nord au Sud des Etats Unis, ce qui donne sens à l’expression de« OaxaCalifornia » et met en évidence la notion d’ « ethnoscape » évoqué par A. Appadurai.
Les Mixtèques dont elle suit l’itinéraire ne se déplacent pas du Mexique aux Etats Unis, mais au sein d’un territoire d’entraide dont ils mobilisent les ressources sans nécessairement connaître les personnes qui les fournissent et qui fonctionne par la coopération de chacun des membres, migrants et sédentaires, à l’accomplissement des tâches requises par les autorités traditionnelles. L’aisance que donne au migrant le fait de pouvoir s’appuyer sur des rapports de parenté et de nourrir la communauté de biens économiques et symboliques, induit une certaine sécurité, bien utile à une époque de fragilisation des rapports de travail. C’est ainsi que se met en place la notion de « communauté transnationale » qui n’est pas seulement une construction intellectuelle mais un cadre référentiel que les migrants nomment, par exemple en forgeant de nouveaux toponymes dérivés des langues amérindiennes et construits à partir des ressources que donne le spanglish, la langue d’usage dans l’espace hispano-etasunien.
Dans cet espace communautaire se recomposent les rapports politiques et organisationnels entre des segments de population, sur une base ethnique en rapport avec la communauté locale, ou sur une base professionnelle, d’une manière très fragmentée jusqu’au début des années quatre vingt dix qui ont vu se structurer un mouvement politique bi-national, pan
ethnique, qui regroupe des deux côtés de la frontière les migrants de la région de Oaxaca. Le Frente Indigena Oaxaqueno Binacional développe des actions stimulant des projets de développement local, ou visant à défendre les migrants, au regard des droits humains, sociaux et économiques, leur permettant de comprendre le système américain, notamment quant aux lois sur l’immigration et l’organisation du travail, ainsi que les risques qu’ils courent, par exemple dans les zones agricoles avec l’usage massif de pesticides. Très intéressante est la partie consacrée aux nouveaux leaders de ces mouvements qui n’appartiennent pas au système traditionnel des charges politiques, à la manière dont ils sont reconnus et au rôle que jouent
les « intellectuels indigènes » comme passeurs de sens.
La troisième est appréhendée par l’étude d’ONG transnationales autochtones qui réunissent divers groupes et peuples divisés par les frontières nationales. Il ne s’agit plus de la formation d’un « espace communautaire virtuel » par delà les frontières, mais de la consolidation d’un « espace de sens » autochtone qui se construit sur le sentiment de partager un mode de vie, un système de valeurs et une relation au monde environnant, ce qui inclut une conception souvent commune des rapports avec la nature, avec un environnement qui se dégrade, ainsi que des attitudes à développer pour défendre des droits, fonciers, linguistiques ou culturels. Deux exemples sont présentés dans cet ouvrage, celui de la COICA, coordination
regroupant les organisations nationales autochtones des neuf Etats du Bassin Amazonien, et celui de la CIC, Conférence Inuit Circumpolaire qui réunit les Inuit de quatre Etats arctiques.
Le premier cas, développé par Richard Smith, montre combien accidenté est le chemin de la trans-nationalisation lorsqu’il s’agit de définir simultanément les moyens d’être reconnu comme acteur politique. Nombreux sont les obstacles que le mouvement indigène doit surmonter pour que son discours politique commence à être entendu par les acteurs traditionnels d’un jeu qui, au plan national, oppose classiquement droite et gauche. Sur des bases distinctes, les leaders des partis traditionnels ont généralement placé hors champ la question de l’ethnicité, à droite au regard de ce qui doit constituer la nation et à gauche, pour ce qui concerne les moyens de changer l’Etat, par la voie des partis et par l’action syndicale.
La construction d’un front uni transcendant les frontières et les appartenances ethniques, qu’il s’ancre dans une dynamique de gauche ou dans une logique indianiste, est par ailleurs compliquée par la localisation des groupes dans des écosystèmes soumis à différents types de problèmes. C’est ainsi que le Conseil Indien d’Amérique du Sud, CISA, constitué par des Andins émigrés à la ville, appuyé par des organisations européennes et présent à l’ONU, n’a pas su prendre la mesure des problèmes auxquels se confrontent les autochtones dans les différentes régions du Bassin Amazonien (pillage des ressources, invasion des terres,épidémies dévastatrices) ni répondu à leur attente. D’où la création dans cette région, de fédérations ethniques qui se sont structurées en confédérations nationales pour aboutir à la construction d’une ONG, la COICA, afin de développer une stratégie internationale commune. Où l’on voit, à travers ces deux exemples, comment se construit la légitimité qui permet à une organisation d’être reconnue comme un acteur transnational afin de gagner un capital qui n’est pas simplement symbolique.
Le troisième exemple, introduit par Françoise Morin et Bernard Saladin d’Anglure, est l’étude du cas de la CIC, seul exemple Nord Américain de ce livre consacré à l’Amérique du Sud. Il montre que le processus de mondialisation touche également les peuples et qu’il n’y a, a priori, pas de zones ni de peuples que l’on pourrait considérer comme échappant à l’emprise des acteurs multinationaux dont l’intervention bouleverse les sociétés locales. Il montre,élément capital de la démonstration, que l’internationalisation est bien l’instrument du changement des conditions sociales d’existence des groupes minoritaires. Du Nord au Sud, les pays du continent américain sont de plus en plus intégrés dans un espace marchand commun, mais les conditions sociales, économiques et politiques dans lesquelles se retrouvent les peuples autochtones varient considérablement, ce qui permet de voir quels sont les facteurs nécessaires à la réussite d’un projet d’autonomisation ou d’empowerment, pour reprendre le vocabulaire à la mode des organisations internationales, celui de la Banque Mondiale ou du PNUD, par exemple. Partant du principe que les exploitations pétrolières et la pollution ne connaissent pas de frontière mais que leur survie pouvait être gravement compromise si rien n’était tenté, les Inuit ont réussi à construire un espace géopolitique nouveau en s’appuyant sur les espaces de négociation ouverts par les régimes néo-libéraux. Ils ont inventé une identité inuit transnationale pour défendre collectivement, face aux gouvernements de la région arctique, leur mode de développement, leur sens de la protection du milieu, leurs connaissances traditionnelles. C’est l’internationalisation de l’Arctique dans le contexte de la fin de la guerre froide qui a permis aux Inuit qui ont conduit le processus de bout en bout, d’émerger comme des acteurs reconnus par les Etats sur une scène clairement transnationale, régie par un Conseil arctique auquel participent les représentants de l’Alaska, du Canada, de la Fédération de Russie et du Groenland. Les auteurs montrent comment, dès sa création, la CIC s’est impliquée dans la construction des droits indigènes, agissant auprès du Conseil Economique et Social de l’ONU, pour disposer d’un statut d’ONG à statut consultatif, exerçant des pressions sur le Canada, les Etats Unis, la Fédération de Russie pour que, à l’instar du Danemark, ils signent la Convention 169 de l’OIT, jouant un rôle actif au Groupe de Travail sur les Populations Autochtones de l’ONU pour la rédaction d’une Déclaration des Droits de Peuples Autochtones dans laquelle est centrale la question de l’autodétermination, amorçant enfin une série d’actions de formation des organisations autochtones dont on voit, une dizaine d’années après, combien elles renforcent les peuples autochtones dans leur capacité à formuler une stratégie politique.
La quatrième est illustrée par la notion de transnationalisation d’une idéologie fondée sur la question autochtone. Le cas est sans doute plus complexe encore que ceuxévoqués précédemment car il met en question des acteurs extrêmement hétérogènes qui renvoient, sur le plan de l’étude qui peut en être faite, à une hétérogénéité des sources et des conditions d’observation. Il est appréhendé par Roberto Santana, à partir de données concernant le néozapatisme, l’utilisation d’Internet par ce mouvement afin de propager une idéologie indianiste à laquelle il se rallie tardivement, ce qui l’amène à considérer les raisons pour lesquelles le conflit du Chiapas est devenu emblématique du mouvement alter mondialisation. Où l'on retrouve un second concept avancé par Appadurai dans son étude des dimensions culturelles de la mondialisation, l’ideoscape, paysage intellectuel dans lequel se reconnaissent des individus ancrés dans des histoires, des identités, et des territoires distincts.
Avec le cas du Chiapas, l’auteur met en question crûment la question de savoir s’il s’agit d’une transnationalisation ethnique ou bien d’une cyberpropagande de la guerrilla qui, avec le charisme du sous-commandant Marcos, cherche par différents moyens à s’allier les ONG internationales les plus représentatives dans le domaine des droits humains et indigénistes.
Analysant les discours, les symboles et les étapes de la lutte, il montre comment le mouvement est passé d’une tactique de survie à une stratégie antimondialisation, par la consolidation de réseaux extrêmement denses, conférant de la sorte au néozapatisme une dimension globale et établissant un lien organique entre la rébellion des peuples autochtones et les mouvements de lutte contre le néo-libéralisme. Mais selon lui, la dynamique intellectuelle du néozapatisme se retrouve freinée par le personnage même du « militant virtuel », à raison de cette fiction d’entente qu’autorise le cyber-espace entre des individus qui ne sont pas nécessairement amenés ni à se rencontrer ni à résoudre concrètement des problèmes locaux. Car les réseaux ont une vie propre qui dépend des évènements politiques qu’ils ne contribuent pas à créer, si bien qu’ils peuvent entrer dans de longs moments de latence, ce qui oblige à les animer par différents moyens, où l’action finalement rejoint les modalités d’une Agit-Prop de type classique.
Les différents chapitres sont extrêmement bien documentés et les auteurs, notamment ceux qui appréhendent directement la question du politique indigène, se sont efforcés de donner une vue assez complète de ces processus très complexes qui génèrent des conflits à l’intérieur même des mouvements indigènes. Ils évoquent les conditions historiques du changement des rapports avec l’Etat et les entrepreneurs économiques ou religieux, le rôle des agents non indigènes, et ils retracent les différentes sources de tension dont on doit vraiment mesurer la portée. Car le mouvement politique autochtone n’est pas une donnée immanente.
Dans une perspective diachronique, à l’échelle du monde, on voit comment les points mis à l’ordre du jour des conférences internationales (telles les notions de développement durable, de lutte contre la pauvreté, de protection de la biodiversité, etc.) sont progressivement repris par les organisations indigènes locales et, réciproquement, comment les représentants de ces dernières agissent pour que les problématiques centrales dans leurs perspectives, telles que le droit au consentement préalable libre et informé ou la protection des connaissances indigènes, progressent sur le plan juridique.
C’est en cela aussi que cet ouvrage est passionnant car il montre que sur ces terrains, plutôt désertés par les politologues, une véritable anthropologie politique peut se développer.
Car le chantier est en cours et, si les Peuples Autochtones ont bénéficié d’une certaine visibilité du fait de la décennie internationale qui leur a été consacrée à partir de 1994, il paraît évident que leur construction en tant qu’acteurs, sujets du politique, est amenée à se développer, induisant dans son sillage une multiplicité de réflexions tant sur les particularités de ces mouvements que sur la manière dont les problématiques autochtones rejoignent des perspectives plus globales. Cette approche donne envie de tourner le regard vers d’autres régions du monde pour voir si les situations de transnationalisation mises en oeuvre par les mouvements politiques amérindiens se retrouvent ailleurs, afin de mieux comprendre les phénomènes de reconstruction identitaire que l’on observe ici ou là, leur raison d’être ou leur nécessité politique. Cela suppose d’encourager sinon la réalisation de nouvelles études, du moins la réunion dans un même volume d’analyses disséminées dans les revues spécialisées sur les aires culturelles.
* Traduction en cours aux Presses de l'Université de Laval.
Irène Bellier, LAIOS- CNRS, Paris