![]() |
QUESTIONS AUTOCHTONES AIRES PROTEGEES ET PEUPLES AUTOCHTONES EFFET DE L'INDUSTRIE AURIFERE EN GUYANE FRANCAISE : LA POLLUTION PAR LE MERCURE DES RESSOURCES NATURELLES DES PEUPLES AUTOCHTONES Par Alexis Tiouka – Consultant en droits de l’homme |
Depuis des millénaires, les Etats ont affirmé “ leur souveraineté permanente sur les ressources naturelles ” et leur droit “ d’exploiter librement les richesses et les ressources naturelles ”. La propriété foncière des Etats sur les terres et territoires des peuples autochtones les amène donc à considérer qu’ils disposent d’un droit intégral sur les ressources du sous-sol. La conséquence en est que le développement économique s’est presque toujours fait sans que soient reconnus ou respectés, ni même pris en compte, les droits des peuples autochtones aux ressources naturelles et à la terre ou au territoire. La politique de l’Etat français envers les peuples autochtones de Guyane ne fait pas exception comme le rappelait, en 1984, Félix Tiouka : “ Le Gouvernement français autorise des dizaines de milliers de chasseurs et de pêcheurs soit disant ‘sportifs’ à capturer gibier et poisson sur nos terres. Par ailleurs, le même gouvernement autorise les compagnies forestières à raser les forêts. Que nous reste-t-il après que tous ces exploitants blancs sont passés sur nos terres et se sont servis prioritairement ? Nous en sommes rendus à ramasser les miettes qui tombent de notre table copieusement garnie au profit des autres ” (TIOUKA, 1984, p9).
La question de la pollution par le mercure des ressources naturelles des peuples autochtones de Guyane s’inscrit pleinement dans cette problématique. C’est à ce titre que, le 15 janvier 2001 la Fédération des Organisations Autochtones de Guyane française (FOAG) a déposé une plainte contre X auprès du procureur de la République portant sur la pollution des rivières par le mercure. La FOAG s’insurgeait ainsi contre le fait que l’administration délivre depuis des décennies des autorisations pour que soient menées des activités d’orpaillage sur les fleuves Maroni et Oyapock, et plus précisément sur les territoires autochtones. Ces activités ont une incidence directe sur ceux-ci : elles engendrent une pollution par le mercure du milieu aquatique qui a des conséquences sanitaires pour nos peuples qui tirent traditionnellement leurs moyens de subsistance de la pêche et de la chasse.
Diverses études scientifiques ont été menées durant la dernière décennie, prouvant les effets de l’orpaillage sur la santé des peuples autochtones. Ainsi, dans deux villages wayana et teko (deux des peuples autochtones du département), situés sur le Haut Maroni, sur les rives du Tampoc, des chercheurs ont effectué des mesures pour estimer l’exposition au méthylmercure de la population. De ces recherches découlent les résultats suivants : on a trouvé des taux de 11,7 µg/g de mercure chez les adultes et 14 µg/g chez les enfants, alors que la limite maximum définie par l’OMS est de 10 µg/g.
Or, on constate en amont de ces deux villages un accroissement de l’activité aurifère depuis 1995, soit par l’usage de barges clandestines venues du Surinam, soit – depuis 1996 -, par la présence de chantiers à terre déversant leurs eaux boueuses dans le Tampoc et dans son affluent, la Waki. Il en découle qu’en une période de 18 mois, ces activités ont causé une intoxication du milieu aquatique qui ont eu des conséquences directement visibles sur les populations autochtones dès mars 1997. Notons qu’il s’agit là d’une zone protégée par arrêté préfectoral depuis les années 70.
Les autorités de la République étaient au fait de ces activités mais n’ont trouvé comme argument, excuse, que le fait que ces autorisations étaient des « erreurs administratives » (Jean-Jacques Queyranne, France-Guyane du 18/03/00).
Par ailleurs, nombreux sont les documents scientifiques qui mettent en garde contre les risques sur la population. Un rapport de l’INSERM et de l’IVS, publié en juillet 1999, reconnaît et quantifie l’imprégnation mercurielle d’une grande partie des peuples autochtones wayana et teko vivant sur le fleuve Maroni. L’empoisonnement résulterait de l’intoxication de leur chaîne alimentaire, et du biotope local, par le mercure utilisé par les orpailleurs qui y exercent cette activité en toute impunité, soit de manière illicite, soit de manière légale. Les résultats de ce rapport mettent en évidence le rôle toxique du méthylmercure sur les fonctions neurologiques et intellectuelles, avec notamment comme incidence, la présence de réflexes ostéotendineux accrus, une moins bonne coordination des jambes et une réduction des capacités d’organisation visiospatiales.
Pourtant, là encore l’Etat se défend avec des arguments fallacieux – voire même racistes. Ainsi, Le Sénateur Miquel (http://www.senat.fr/rap/I00-26139.html), tout en déclarant que « ce sujet fait l’objet d’une attention soutenue des pouvoirs publics et des autorités locales », estime, en s’appuyant sur les rapports d’experts commandités par l’Etat, que la pollution des populations autochtones de Guyane n’est pas directement liée à l’orpaillage et qu’on ne peut parler d’intoxication à proprement parler. Dans son rapport, il déclare que les problèmes sanitaires rencontrés par les populations autochtones les plus contaminées seraient liés à un état préexistant chez elles : « Ces populations sont sujettes à de nombreuses autres infections ou maladies d’origine virale ou bactérienne. D’autres facteurs peuvent intervenir : infections, malnutrition, alcoolisme, héritage génétique. L’exemple typique est la mise en évidence de la petite taille des populations. Il s’agit cependant d’une caractéristique connue de longue date des populations amérindiennes en général et il est certain que les facteurs génétiques y contribuent de façon déterminante. »
Comment résoudre cette question d’un point de vue juridique ? Il existe en droit français divers éléments qui peuvent servir d’appui à une telle plainte. Il en va ainsi du Décret préfectoral de 1970 qui interdit les activités d’orpaillage. Mais l’on sait aujourd’hui que cette disposition légale n’a pas empêché les activités de s’intensifier car (a) des autorisations légales ont été accordées par « erreur administrative » et (b) ces activités ont lieu par défaut de contrôle de l’application du décret préfectoral. Le droit international peut aussi servir d’argument. En effet, bien que la déclaration des droits de l’homme n’ait pas d’effet contraignant, elle peut être invoquée. De plus, le Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels, signé et ratifié par la France le 4 novembre 1980, est une convention contraignante. Or, les peuples autochtones concernés étant dépendant des ressources naturelles (eau, terre) puisqu’ils y puisent leurs moyens de subsistance, toute atteinte à ces ressources et toute intoxication de la chaîne alimentaire constitue conséquemment une violation du droit à l’alimentation. Par ailleurs, le taux de méthylmercure décelée sur les peuples concernés étant largement supérieur aux normes prescrites par l’OMS, il y a aussi violation du droit à la santé.
La plainte de la FOAG se fondait donc sur les articles 3 (droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne), 22 (droits économiques sociaux et culturels) et 25 (droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé …) de la Déclaration des droits de l’homme. Elle se fondait de même sur les articles 1, 11 et 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Les arguments de cette plainte consistaient donc à considérer que dans ce cas il y avait : atteinte grave au droit à la santé, violation du droit à l’alimentation du fait de la pollution des ressources naturelles dont les peuples autochtones dépendent pour se nourrir, compromission du développement des enfants.
Le résultat de cette affaire est que le dossier a été cette année rejetté au titre d’être non recevable.
Alinéas 2 et 4 de la résolution 1803 (XVII) adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 14 décembre 1962 sous l’intitulé ‘Souveraineté permanente sur les ressources naturelles’.
Plainte contre X et toute personne ou organisme décisionnels dont l’instruction révélerait l’implication dans les délits énoncés : 1) atteinte involontaire à l’intégrité physique d’autrui visée par l’article 221-6 du Nouveau Code Pénal et 2) non-assistance à personne en danger visée par l’article 63 du Code Pénal et 223-6 du Nouveau Code Pénal (législation française).
Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM)
Institut de Veille Sanitaire (IVS)