TEKOHA

Les Guarani appellent aujourd’hui les lieux qu’ils habitent tekoha. Tekoha est donc le lieu physique – terre, forêt, champ, eaux, animaux, plantes, remèdes, etc. – où se réalise le teko ou «mode d’être», l’état de vie guarani.

Le teko englobe les relations sociales des groupes macro-familiaux qui vivent et sont liés dans un espace physique spécifique. Idéalement, cet espace devrait inclure le ka’aguy (forêt), un élément de valeurs d’une grande importance dans la vie de ces Indiens comme source de collecte d’aliments, matière première pour la construction de maisons, production d’ustensiles, bois de chauffage, remèdes, etc.

Ka’aguy est également un élément important dans la construction de la cosmologie, étant le théâtre de récits mythologiques et la demeure de nombreux esprits.

Les espaces pour planter des jardins familiaux ou collectifs et la construction de leurs habitations et lieux de culte sont indispensables dans l’espace guarani. Ce doit être un lieu qui a les conditions physiques (géographiques et écologiques) et stratégiques qui lui permettent de créer une unité territoriale-religieuse-politique sur la base des relations entre les familles élargies.

Idéalement, un tekoha, dans ses limites, devrait être une zone où il y a un équilibre de population, qui offre un bon approvisionnement en eau, et des terres cultivables pour la plantation de jardins, des zones pour la construction de maisons et l’élevage des animaux. Il devrait contenir avant tout des forêts (ka’aguy) et tout le système écologique qu’il représente, tels que le gibier, les rivières propices à la pêche, les matières premières pour les maisons et les artefacts, les fruits pour la cueillette, les plantes médicinales, etc.

Les Guarani Nandeva et les Kaiowa du Mato Grosso du sud ont été successivement assiégés par l’herbe à maté, le bétail, le soja et la canne à sucre

Au Brésil, la situation des Guarani Nandeva et des Kaiowa a été profondément affectée par la Guerre du Paraguay (1864-1870) – ou Grande Guerre comme on dit au Paraguay. Après cette guerre le territoire guarani du sud, dans ce qui était alors l’Etat de Mato Grosso, a été systématiquement occupé par divers fronts d’exploitation économique. On peut affirmer qu’à partir de cette date l’histoire des Guarani et des Kaiowa de la région a été fortement marquée par les suites de cette exploitation économique :

– d’abord celle du maté
– puis par les projets agro-pastoraux et de colonisation, de culture du soja
et de sa mécanisation dans la décennie de 1970 et,
– finalement de la canne à sucre dans les années 1980.

Alors qu’ils voyaient leurs terres d’occupation traditionnelle être transformées et leurs forêts abattues, les Guarani furent considérés par les nouveaux colonisateurs comme une importante réserve de main d’œuvre à toutes les étapes de cette exploitation régionale.

Découvrant la grande quantité d’herbes à maté originaires de la région, Thomas Laranjeira sollicita, en 1882, du gouvernement fédéral, l’autorisation de louer, pour les exploiter, des terres du sud de ce qui était alors l’Etat de Mato Grosso. A cette fin, il fonda en 1892, la Companhia Mate Laranjeira. L’aire concédée pour l’exploitation de l’herbe fut successivement augmentée, au Mato Grosso, avec l’appui de politiciens influents.

A l’avènement de la République (1889) les terres dévolues – qui originellement appartenaient à l’Union – passèrent sous la responsabilité des Etats ce qui favorisa les intérêts de la Cie Mate Laranjeira. Le décret n°520 du 23/06/1890 agrandit les possessions de cette compagnie et lui accorda le monopole d’exploitation du maté dans toute la région, qui comprenait le territoire occupé traditionnellement par les Kaiowa et les Guarani. Quoique la Compagnie ne mît pas en question la possession des terres occupées par les Indiens ni ne fixât les colons et ne délocalisât pas, définitivement, les communautés, cette activité fut toutefois responsable, en fait, de la délocalisation de nombreuses familles et noyaux de population pour la cueillette de l’herbe à maté et fut responsable de la dissémination de diverses maladies aux graves conséquences pour les Indiens.

Entre les années 1915 et 1928, le Service de protection des Indiens, SPI, procéda à la démarcation de petites superficies de terres comme usufruit de cette population autochtone, pour un total de 18.124 ha, avec pour objectif de rassembler les nombreux noyaux de populations guarani, dispersés dans un vaste territoire de l’actuel Etat de Mato Groso du sud. La démarcation de ces réserves constituait une stratégie gouvernementale en vue de libérer les terres pour la colonisation et pour la soumission de la population autochtone aux projets d’occupation et d’exploitation des ressources naturelles par des non autochtones. Les modèles autochtones de relation avec le territoire et les ressources naturelle et, notamment, l’organisation sociale étaient totalement ignorés.

En 1943, le Président de la République Getùlio Vargas créa, en plein territoire autochtone, la Colonie agricole nationale de Dourados, CAND, avec l’objectif de donner accès à la terre à des milliers de familles de colons, migrants d’autres régions du pays.

La création de ces colonies agricoles nationales faisait partie de la politique de « marche vers l’ouest » cherchant à incorporer de nouvelles terres et à augmenter la production d’aliments et de produits de première nécessité pour l’industrialisation à bas coût. Il y avait, en outre, l’intérêt de peupler la frontière où la Cie Mate Laranjeira maintenait une forte présence. La CAND, créée par le décret-loi n°5941 du 28 octobre 1943, couvrait une région d’au moins 300.000 hectares, retirés des terres de l’Union dans ce qui était alors le Territoire fédéral de Ponta Porâ. L’installation des colons sur des terres occupées par les Kaiowa a provoqué de graves et divers problèmes parce qu’elle mettait en question la présence des autochtones et imposait leur transfert dans d’autres régions. L’implantation de la CAND soulevait aussi le problème de l’occupation agro-pastorale, de l’expansion de la présence non autochtone et de l’infrastructure de services dans la région.

Un nombre significatif de communautés autochtones ont été obligées d’abandonner leurs villages et de se relocaliser dans huit réserves de terres démarquées par le SPI (Service de protection des Indiens, ancêtre de la FUNAI), accentuant le confinement des villages. La réserve impose le contrôle politique de la population, la soumet à une série de pratiques dont l’objectif principal est l’assimilation. Les Guarani et les Kaiowa constituent alors un important réservoir de main d’œuvre pour les entreprises agro-pastorales des diverses régions, travaillant souvent dans les fermes qui occupaient les terres de leurs anciens villages.

A partir de la décennie de 1970, avec la grande mécanisation des activités agricoles, l’introduction du soja provoqua la fin des « villages refuges » situés dans les domaines des fermes où les Kaiowa et les Guarani résistaient et trouvaient de meilleures conditions pour la reproduction de leur système social. La monoculture du soja, nuisant à la biodiversité, a remplacé les restes de la forêt, des brousses et des plaines. Avec la création du Plan Pro-alcool, l’industrie sucrière a débuté, au début des années 1980, avec l’installation des premières usines de production de sucre et d’alcool. Peu à peu, la main d’œuvre autochtone rendue disponible par la mécanisation croissante des autres activités agricoles et le confinement dans les réserves, fut dirigée vers les usines de production de sucre et d’alcool. On dénonça l’esclavage du travail et la surexploitation des travailleurs autochtones et non autochtones. Les conditions de travail étaient très précaires et extrême l’exploitation de la main d’œuvre autochtone. La culture de la canne à sucre ne parvenait pas à se défaire de sa principale caractéristique coloniale. Des milliers de familles des communautés autochtones du Mato Grosso du sud devinrent de plus en plus dépendantes du travail salarié dans les usines, faute de pouvoir trouver d’autres formes de revenu.

D’innombrables autres communautés, qui perdirent aussi leurs terres du fait de la colonisation, s’appuient sur la constitution fédérale de 1988 et exigent du gouvernement la même rétrocession. Notons que la majeure partie (près de 80%) de la population guarani et kaiowa reste dans des réserves démarquées par le SPI où sont concentrés les services de santé, de scolarisation et d’assistance offerts par le gouvernement. Les cas les plus graves concernent les terres autochtones de Dourados, Amambai et Caarapò qui, ensemble, représentent 9.498 ha de terres et abritent plus de la moitié du total des 40.000 Guarani et Kaiowa du Mato Grosso du sud, ce qui montre l’entassement imposé à cette population.

 EQUATION TERRITORIALE POUR LES GUARANI DU MGDS

Chapitre construit avec Alexandre Goulart, membre du réseau des experts du GITPA

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