La déstructuration de l’institution coutumière amérindienne

«La déstructuration de l’institution coutumière amérindienne»

Quelques rappels historiques sur la fonction de «chef coutumier»

C’est l’administration coloniale française qui crée la fonction de « capitaine » par analogie aux structures sociopolitiques mises en place en 1855 avec le Grand Man saramaka lors de la découverte de l’or, celle ci nécessitant la mise à disposition d’hommes de sa tribu vers les rivières et les fleuves guyanais.

Porte parole du groupe, relais entre les administrations et la communauté, le « capitaine » est notamment chargé de maintenir la discipline au sein du groupe dont il a la responsabilité et d’organiser les réunions officielles qui se tiennent dans son village.

De la compétence du Préfet de 1946 à 1982, l’investiture des chefs coutumiers relève désormais de celle de l’Assemblée départementale qui se contente généralement d’entériner le choix du groupe ; mais cette approbation n’est pas purement formelle, car d’une part, elle peut refuser le candidat proposé, et dans ce cas, le groupe devra en choisir un autre, d’autre part, seule cette investiture permet aux chefs coutumiers de se prévaloir officiellement de ce titre auprès des tiers et de toucher une indemnité de représentation.

Mais il est évident que l’ensemble de ces charges pèsaient sur le budget départemental, aussi n’est-il pas surprenant qu’en 1982 puis en 1988, les conseillers généraux décident de ne plus procéder à d’autres nominations, en dépit des protestations des chefs coutumiers.

Les délibérations adoptées entre 1992 et 2005, entérinant l’investiture de nouveaux chefs coutumier, traduisent un changement d’attitude des conseillers, inspiré sans doute par l’enjeu politique que représentent ces populations, mais s’accompagne désormais d’une réserve, celle de se prononcer sur la création de nouveaux postes de chefs coutumiers en fonction des situations particulières des communautés requérantes.

Actuellement 52 chefs coutumiers bénéficient de cette investiture. 2

Des échecs dans l’adaptation et le maintien du fonctionnement
des chefferies coutumières amérindiennes

Il est un point essentiel sur lequel l’adaptation a été un échec presque complet : le maintien du fonctionnement des chefferies.
Chez les Noirs Marrons, s’appuyant notamment sur le culte des ancêtres, les chefferies sont traditionnellement puissantes. Les Amérindiens de Guyane, semblables en cela à tous ceux des basses terres amazoniennes, sont des sociétés presque acéphales, avec pour certaines une organisation clanique amoindrie (Arawak, Palikur), pour d’autres, une recomposition permanente de communautés labiles et peu importantes démographiquement (Wayana, Emerillon).
Dans l’ensemble, les chefferies, dont le pouvoir originel était déjà limité, se sont tout naturellement affaiblies face aux influences extérieures. Elles reposent presque toujours sur les épaules d’hommes âgés, analphabètes et non francophones, qui sont de plus en plus souvent en compétition avec les élus municipaux dans des sphères qui leur revenaient autrefois de droit : l’emplacement des villages, le fonctionnement d’une justice de proximité, la redistribution permanente du terroir, le partage des biens et des services, etc.
Les jeunes élites, parfois malhabiles et vindicatives, essaient tant bien que mal de se couler dans leurs nouvelles fonctions. On parvient rapidement à des situations de blocage, pour lesquelles un arbitrage extérieur, douloureusement ressenti, devient nécessaire. De façon plus grave encore, on peut aboutir, soit au doublement des chefs (avec accusation d’usurpation), soit à leur disparition pure et simple. Dans tous les cas, ces hommes âgés sont de plus en plus contestés dans leur rôle de transmission des savoirs, pourtant nécessaire à une bonne gestion de l’environnement.3

 

Des conflits récents autour de la nomination ou renouvellement de certains chefs coutumiers

3 conflits ont donnés lieux récemment à médiatisation :

– le conflit en 2007 sur la chefferie coutumière lokono du village de Ballaté conduisant au remplacement de Brigitte WYNGAARDE par Sylvio VAN DER PIJL, adjoint à la Mairie de Saint Laurent du Maroni.

– la pétition en date du 23 mars 2011 réclamant la destitution de Michel THERESE chef coutumier du village kalina de AWALA.

– la destitution le 26 mars 2011, de Jean–Aubéric CHARLES chef coutumier du village kalina de Kourou et l’élection de Mr Roger FRANCOIS.

Ces conflits ont mis en exergue l’absence de règles transparentes sur le renouvellement des chefs coutumiers qui ont conduit à diverses réactions :

« Le droit coutumier, aujourd’hui, est en effet un droit sans constitution, sans doctrine, et seules quelques bribes nous renseignent sur ce que faisaient nos aînés. Mais en l’absence de règle supérieure il reste la possibilité du contrat : convenir entre les parties de la meilleure façon de procéder, puis mettre en œuvre, en bonne entente une démarche commune».4

« Il convient donc de clarifier un certain nombre de points : Qui a le droit de voter / de se présenter comme chef coutumier? Qui décide de la tenue d’une élection ? Qui l’organise et en vérifie la validité ? En l’absence de réponse à ces questions, l’ « affaire Balaté » ne pourra pas être résolue. ». 5

« Dans cette affaire de Balaté plusieurs choses intéressantes s’y bousculent : l’ingérence dans le village d’un maire d’une commune proche, diviser pour mieux régner, monter les villageois contre leur chef, la durée du mandat de chef, la légitimité de ce mandat, qui peux devenir chef ?, peut on devenir chef du jour au lendemain ?, les chefs et la politique, la rémunération des chefs, le problème crucial du foncier, l’entité villages face aux villes, vivre en collectivité ou devenir propriétaire, les impôts, les besoins de moderniser les entités villages et le respect des coutumes et des traditions ».6

Différentes organisations coutumières limitant leur légitimité

Un Conseil des Chefs Coutumiers de Guyane (CCCG) a été déclaré au Journal officiel de la République Française le 13 décembre 1993. Il est actuellement présidé par Mr Jean – Aubéric CHARLES, assisté de 3 vices présidents. Les attributions de ce Conseil, les règles de nominations aux instances dirigeantes manquent de transparence. Sa représentativité est discutée.

Conseil des chefs coutumier, novembre 2008

Le projet de la FOAG, fin 1999, de création d’un Haut Conseil coutumier (HCC), n’as pas abouti pour des raisons obscures. L’affirmation que le HCC : « a un pouvoir de décision sur les communautés autochtones » et que seuls la FOAG et le HCC ont « autorité en cas de conflit et de litige pour organiser des élections », créait donc une autorité concurrente à celle du Conseil général et mettait en évidence la faible institutionnalisation des chefs coutumiers et le très faible encadrement juridique des procédures de leur désignation et de leur reconnaissance.7

Comment sortir de ces situations :
une codification du doit coutumier et sa reconnaissance par l’État

Les domaines sont multiples où les autorités publiques ont consenti des exceptions caractérisées, en faveur des ressortissants des communautés amérindiennes et bushinengue au titre de leurs règles coutumières ou de la préservation de leur mode de vie :

• Les arrêtés préfectoraux créant la zone d’accès réglementée ont pris ainsi des mesures hors du droit commun pour protéger les populations résidant sur le Haut-Maroni contre les expéditions intempestives.

• Jusqu’à la suppression de la conscription, le service national était fondé sur le volontariat pour les jeunes ressortissants de ces communautés, et seuls ceux qui étaient francophones et en formulaient la demande étaient admis à faire leur service militaire.

• Le gouvernement reconnaît des droits fonciers aux « communautés d’habitants tirant traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt », 660 000 ha ayant été attribués dans ce cadre.

En 1998, le Préfet a décoré le Grand Man Doudou Paul de l’Ordre National du Mérite, en concluant « comme vous, je suis un chef coutumier qui comprend et respecte vos coutumes ainsi que les gens de votre communauté ». Ces actes en demi-teinte, ces avancées à mi-parcours ne peuvent perdurer.

Sur le plan général, il y aura lieu tôt ou tard d’articuler les prescriptions qui découlent de l’article 2 de la Constitution sur l’indivisibilité de la République, de l’article 75 sur le statut personnel, et la jurisprudence du Conseil Constitutionnel de mai 1991 sur la notion de peuple corse.

Des projets de loi adoptés par le Parlement ont déjà surmonté ces obstacles pour d’autres territoires, de façon originale et efficace, par exemple en Nouvelle-Calédonie. Une réponse possible consisterait à envisager une reconnaissance législative du droit coutumier, après l’avoir codifié. Cette reconnaissance de fait et de texte a déjà servi de support pour le recours aux autorités coutumières en cas de litige ou de message officiel à transmettre. Elle pourra être utile, dans le cas actuel des débats à conduire et des décisions à prendre.8

Notes

1 : Oka mag N°35, 2008, La déstructuration de l’institution coutumière amérindienne du XVIeme siècle à nos jours
2 : Elfort Maude 2005.
3 : Françoise Grenand et al. « Environnement et sociétés en Guyane française : des ambiguïtés d’application des lois républicaines », Revue internationale des sciences sociales 1/2006 (n° 187), p. 53-62
4 : Brigitte Wyngaarde 4/01/2008
5: La saga de Balaté : récit d’une élection … manquée ? Par Alexis Tiouka, 2088
6 : Oka mag N°35, 2008
7 : Thèse Stéphanie Guyon :  » Du gouvernement colonial à la politique racialisée. Sociologie historique de la formation d’un espace
politique local( 1949-2008). Saint Laurent du Maroni, Guyane ».
8 : Rapport de Christiane Taubira, députée de Guyane, 2001, L’Or en Guyane , Éclats et artifices.

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