Maintien ou suppression de la  » Zone réglementée »?

• En 1930, un Décret divise le territoire guyanais en deux entités administratives distinctes :
– la Guyane française, qui s’étend au sud jusqu’à la ligne constituée par les premiers sauts (ruptures de pente) sur les fleuves, situés à environ 60km des embouchures
– le territoire de l’Inini. se situe au sud de cette ligne, il relève de l’autorité du sous-préfet de Saint-Laurent qui joue ainsi le rôle d’un gouverneur colonial.

La circulation dans le sud du territoire, en particulier sur les fleuves, est soumise à l’autorisation préalable du Préfet. Il s’agissait alors de protéger sanitairement les populations amérindiennes résidant dans cette zone. Ces dernières pouvaient quant à elle circuler tout à loisir vers l’aval, franchir les fleuves pour atteindre le Brésil et le Surinam. Le territoire de l’Inini touchait plus spécifiquement les territoires de trois des six peuples amérindiens de Guyane : les Wayana (Haut-Maroni), les Wayampi (Oyapock dans les villages de Camopi et de Trois-Saut) et les Teko (dans les mêmes zones que les Wayampi à l’Est et les Wayana à l’Ouest) . Ils disposaient alors de droits particuliers en tant que populations dites
« tribales », et notamment le droit de vivre selon les règles de leur droit coutumier

• En 1946 la Guyane devient département français d’outre-mer par la loi de départementalisation, il fallut néanmoins attendre 1969 pour que cette réalité institutionnelle s’applique à tout le territoire guyanais. En effet, la loi de 1946 sur la départementalisation ne modifia pas le cadre géographique de 1930.

• Une loi du 1951 portant sur l’organisation du Département de Guyane maintien le statut spécial du territoire de l’Inini pour 10 ans et établi dans l’arrondissement un régime municipal spécial.

• Le 17 mars 1969 il y a finalement suppression du territoire de l’Inini avec pour conséquence une réorganisation du territoire guyanais, et notamment la création de communes dans l’ancien territoire de l’Inini, ce qui ouvrait l’ensemble du territoire à un système administratif unique. Ce décret était la conséquence du programme de francisation mis en place par le sénateur Vignon et le Conseil général du département guyanais.

. Ainsi, en 1969 cette zone géographiquement française devint administrativement française. La suppression du territoire eut pour conséquence un afflux touristique dans ces zones, sans qu’il soit réglementé d’aucune façon ainsi que la perte des droits spécifiques obtenus antérieurement. De nombreux chercheurs s’insurgèrent contre cet état de fait et insistèrent sur la nécessité de la reconnaissance d’un statut particulier ainsi que sur la reconnaissance d’un droit foncier pour les autochtones.

• Ceci aboutit, en 1970, à la création du statut particulier de la « Zone réglementée » pour une partie du sud de la Guyane française. 30.000 km furent réservés à ces trois peuples autochtones, avec interdiction pour les touristes de s’y rendre.

Les contestations autour de la « Zone Réglementée »

L’accès dans la zone située au sud d’une ligne définie par Camopi sur le fleuve Oyapock et le confluent de la crique Waki et du fleuve Maroni est soumis à autorisation préfectorale depuis le mois de septembre 1970.

Cet arrêté, qui avait été pris à l’origine pour des raisons sanitaires, est toujours valable aujourd’hui et les conditions d’accès à cette zone restent les mêmes. Officiellement, pour se rendre sur place, il faut faire une demande précise et motivée auprès de la préfecture. Les autorisations étaient principalement prévues, à la base, pour les agents des services publics, les enseignants et les personnes pouvant justifier d’une invitation écrite reçue d’un résidant. Le traitement de la demande est estimé à quinze jours. Sur place, outre l’autorisation préfectorale, tout visiteur doit pouvoir présenter son carnet de vaccination à jour ainsi qu’un certificat médical de moins de trois mois attestant qu’il n’est atteint d’aucune affection pulmonaire.1

Mise en place en 1970, la zone d’accès réglementé est aujourd’hui contestée au sein même des populations amérindiennes.

Les suicides qui touchent les communautés amérindiennes et leur médiatisation ces derniers mois commencent à provoquer des réactions politiques au sein de ces populations. La zone d’accès réglementé est notamment remise en question.

Comment, en effet, ne pas s’interroger sur sa pertinence lorsque de nombreux visiteurs se rendent sur le Haut-Maroni sans autorisation ?
Comment justifier la limitation des échanges à Camopi où les jeunes n’aspirent qu’à l’ouverture sur l’extérieur ?
Comment, enfin, associer accès limité et développement économique ? Autant de questions qui font leur chemin sur le Maroni comme sur l’Oyapock.

Quatre personnalités amérindiennes ont été amenées à se les poser.
Pour elles, une réflexion sur la zone d’accès réglementé devient incontournable.

1/ René Monerville : déplacer la zone

Le 31 janvier 2011, après avoir dû déplorer deux suicides en peu de temps dans sa commune, le maire de Camopi prenait la parole lors d’une réunion publique avec les habitants et des représentants des services de l’État. René Monerville se prononçait alors clairement pour une évolution de la zone d’accès réglementé : « Il faudrait déplacer la zone réglementée […] À l’époque, l’arrêté était là pour que les gens ne puissent pas amener des maladies pulmonaires. Mais maintenant, c’est nous qui allons à Saint- Georges. Pour le bien de Camopi, on nous enclave » , lançait alors le premier magistrat de la commune de l’Oyapock qui concluait par un argument économique : « Tout projet de gîtes ou autre est bridé, à cause de cet arrêté qui n’est plus d’actualité. »

2/ Florencine Edouard : pour la suppression

La Présidente de l’ONAG, l’Organisation des nations amérindiennes de Guyane récemment créée, réclame la disparition pure et simple de cette zone qui, selon elle, représente un facteur d’exclusion des Amérindiens de l’intérieur. « Il faut supprimer la zone d’accès pour désenclaver les territoires amérindiens de l’intérieur. Avec cette zone, on essaie de surprotéger nos populations, mais au contraire, on nous exclut de la société guyanaise en limitant les échanges avec l’extérieur. Ce n’est pas normal que de nombreux Guyanais ne connaissent pas Camopi parce qu’ils ne peuvent pas y aller et ce n’est pas normal que ce soit le préfet qui décide qui peut venir ou non chez nous. Cette décision devrait revenir aux maires. »

3/ Alexis Tiouka : un frein au développement

Pour le quatrième adjoint à la mairie d’Awala, la zone d’accès réglementé est tout simplement inefficace : « Il n’y a aucun contrôle possible, tout le monde peut aller sur le Haut-Maroni sans être contrôlé, donc il n’y a pas de vraie application du décret. » Mais pire, elle représente aujourd’hui un frein au développement économique des territoires qu’elle recouvre. « Sur le Maroni comme sur l’Oyapock, il faut revoir le principe de cette zone. Sur le Maroni, quelques personnes se lancent dans l’écotourisme, c’est un domaine qu’il faut encourager mais pour cela, il faut ouvrir la zone d’accès réglementée pour que les touristes puissent officiellement s’y rendre. »

4/ Brigitte Wyngaarde : préparer le terrain

L’ancienne chef coutumière de Balaté et membre des Verts Guyane dit entendre de nombreuses plaintes des Amérindiens de l’intérieur au sujet du maintien de la zone. Elle veut toutefois rester prudente : « Ce n’est pas vraiment un frein dans la vie courante, mais peut-être dans le développement des activités. C’est vrai qu’à terme, il faudra ouvrir cette zone, mais avant, il faudra préparer les mentalités, concerter les populations et amener l’idée que toutes les sociétés sont amenées à se rencontrer. Et puis il faudra prendre des mesures pour éviter une invasion d’entreprises du littoral qui viendraient exploiter les terrains. Il faut avant tout que les habitants deviennent propriétaires de leur terrain et qu’ils s’organisent politiquement. »

1 : site internet de la préfecture de Guyane http ://www.guyane.pref.gouv.fr/lacces-en-zone-reglementee/
2 : France Guyane, 169/03/2011

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