LA COMMUNAUTÉ MAPUCHE PEWENCHE FACE AU BARRAGE DE RALCO

La lutte des communautés pewenche-mapuche contre le barrage de RALCO sur le fleuve Bio Bio est une événement emblématique dans l’historicité des résistances des mapuches

1. Quelques éléments concernant la centrale hydroélectrique Ralco
Le mégaprojet hydraulique de l’entreprise ENDESA : éléments techniques et financiers

Dès les années soixante-dix, l’Entreprise Nationale d’Electricité S.A ENDESA lança l’idée de construction d’un ensemble de centrales hydroélectriques au bord du fleuve BioBío situé au centre sud du Chili. Entreprise à l’origine contrôlée par l’Etat, ENDESA fut la dernière société à être privatisée sous le régime dictatorial du général Augusto Pinochet. Au milieu de l’année 1999, ENDESA España devint l’actionnaire majoritaire, faisant d’ENDESA l’une des entreprises privées les plus puissantes du Chili à l’heure actuelle.

L’emplacement du projet hydraulique géré par ENDESA se situe dans la partie supérieure du fleuve Biobio, au sein de la région précédent la cordillère des Andes. Ce méga-projet prévoit l’immersion de 22 000 hectares de terres et la construction de sept centrales impliquant autant de lacs de retenue nécessaires à la production hydroélectrique.
La centrale hydroélectrique Pangue a été la première étape du projet de construction. Achevée, cette centrale fut inaugurée en avril 1997. Pangue est une centrale capable de produire 450MW avec un bassin de 113 mètres de hauteur et de 450 mètres de large. Son bassin de rétention renferme un volume de 175 millions de mètres cubes d’eau et les inondations consécutives à sa réalisation ont englouti plus de 500 hectares de terres. Pour financer ce chantier, ENDESA a obtenu un prêt de la Banque Mondiale, accordé par le biais de la Coopération Financière Internationale ( IFC).

L’étape suivante du projet a commencé avec la construction du barrage de Ralco, localisé dans la zone du Haut Bio Bío, à environ 120 km au Sud-Est de la ville de Los Angeles, à la limite de la VIIè région du Bio Bío et la IXè région de l’Araucanie.
Le projet Ralco prévoit la construction d’un bassin de rétention de 1 222 millions de mètres cubes d’eau grâce à la conquête de 3 467 hectares, et d’une centrale productrice d’énergie située à l’embouchure du fleuve Ralco. Le mur du bassin, en béton armé, aura 370 mètres de large et une hauteur de 155 mètres. Les eaux du fleuve Biobio, de son affluent principal le fleuve Lomín et d’autres affluents mineurs s’y jetteront. Ces eaux seront acheminées par un tunnel de 7 kilomètres de large jusqu’à la machinerie où seront installées trois unités de production d’électricité.

La centrale d’électricité Ralco permettra de générer une production électrique moyenne de 3 380 GWH par an. L’investissement pour ce projet devrait atteindre environ 474 millions de dollars pour la centrale auxquels viennent s’ajouter 12 millions de dollars nécessaires à la réalisation du raccordement avec le système électrique central du pays.

2. Les irrégularités de forme et de fond de la concession RALCO
a) L’Autorisation écologique : l’accord entre la ENDESA et la CONAMA

Le 1er septembre 1995, la ENDESA et la CONAMA (Comisión Nacional del Medio Ambiente) signent une « Acte Général d’accord » pour l’approbation d’engagement d’une Étude d’Impact Environnemental (EIE) pour la construction du projet hydroélectrique de RALCO.
Cette étude réalisée par l’entreprise Endesa S.A, est présentée le 29 mars 1996.
Elle est confiée à l’analyse de 22 services publics chargés d’évaluer l’impact du projet.
La majeure partie de ces organismes publics, ainsi que plusieurs consultants et groupes de citoyens s’opposent au projet de construction du barrage hydroélectrique de RALCO.

La CONADI (Corporation Natinal de développement indigène) s’oppose également à la réalisation projet qui entraînerai "l’inévitable déstructuration de la culture Pehuenche et son extinction en tant que peuple en moins d’une décennie, impact qui est inacceptable".

Le 23 juillet 1996, la CONAMA conseille de « rejeter le projet »

Mais le 23 août, la direction exécutive de la CONAMA approuve le projet, entre temps le directeur national de la CONADI, Mauricio Huenchulaf Cayuqueo, qui avait dénoncé la non-conformité du projet Ralco avec les normes et les droits accordés par la Loi Indigène, s’est vu, en raison de cette objection, démis de ses fonctions.

b) Les permutations de terres Pehuenches : les autorisations de la CONADI

A la fin de l’année 1997, ENDESA a présenté devant la CONADI des demandes de transferts de terres signées par les familles pehuenches résidant dans le Haut Bio Bio. En accord avec la loi indigène 19.253, la Conadi est le seul organisme d’état chargé de se prononcer sur le destin des terres indigènes, comme dans le cas des permutations, seule forme juridique de transmission de terres permise par la loi.

Suite à la demande d’ENDESA, la CONADI entreprend un examen minutieux des documents d’intentions d’échange de terres présentées par ENDESA, surtout en ce qui concerne la libre volonté des pehuenches sollicités,

Dans le rapport réalisé par la CONADI, il est mentionné que « la construction du barrage de Ralco implique un avant et un après qui détruit complètement et irréversiblement la condition géophysique et biotique de toute la vallée du Bio Bio ... Cette rupture implique la fracture du fragile écosystème qui soutient l’existence ancestrale du peuple Pehuenche lequel transhume en hiver et en été. Ce projet de déplacement signifie une nécessaire réaclimatation qui provoquera un changement de système de vie, d’économie de subsistance, des coutumes, des traditions et de la cosmovision. De plus, cette relocalisation, ce déplacement ou éradication ne permet aucune option de continuité identitaire et culturelle. Car l’association terre-homme (ecosystème-homme) est le lien qui permet l’existence du peuple Pehuenche... En conséquence, toute mesure de compensation sera insuffisante comparé à la perte d’une culture aborigène; les dommages sont incalculables quand est en jeu une partie du patrimoine de l’humanité. » (CONADI, 1er rapport, 1997).

Faisant suite à ce rapport, Le 5 août 1998, les autorités gouvernementales demandent la démission du directeur national de la CONADI, Domingo Namuncura, qui a dû abandonner ses fonctions immédiatement. En septembre 1998, est désigné un nouveau directeur exécutif qui procéde à l’élaboration d’un nouveau rapport technico-agricole. qui conclue à la convenance des permutations pour les demandeurs.

c) Actions judiciaires à l’encontre du projet intentées par les femmes
et les familles Pehuenches qui ont résisté encore au projet et aux permutations.

Les soeurs Nicolasa et Berta Quintremán, avec entre autres les députés Alejandro Navarro Brian et Arturo Longton Guerrero, ont déposé devant la cour d’appel de Santiago le 31 mars 2000. Ces recours ont aboutissent à la prononciation d’un non-lieu.

En décembre 2002, six femmes qui résistaient à la construction de Ralco ont déposé une plainte devant la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme de la OEA (Organisation des Etats Américains), dénonçant la violation des droits inscrits dans la convention américaine des Droits de l’Homme.

d ) Répression envers les communautés

Diverses formes de répression sont subies par les membres de la communauté Quepuca Ralco, qui n’ont pas été relocalisées. ENDESA envoie des carabiniers qui ont accusé des membres de la communauté de possession d’armes et de terrorisme. Les carabiniers ont détruit les portes des maisons, ont procédé à des fouilles et ont volé un certain nombre d’objets comme des transistors et des radios. Certaines maisons ont été mises à sac.

Berta(81 ans) et Nicolasa (63 ans) Quintreman sont au cœur de cette résistance.

« Je possède cette terre … depuis le fond du monde », Berta Quintreman

« Je suis une personne de principe, ici dans cette terre se trouve notre patrimoine, je résisterai toujours pour défendre ma terre », Nicolasa Quintreman

« Nous ne voulons pas partir, affirment-elles d’une seule voix. Ils nous promettent une fortune mais nous ne voulons pas d’argent. Nous avons une vision différente du monde. Nous souhaitons mourir ici, là où nos parents et nos ancêtres sont morts avant nous. Nous sommes sans cesse harcelées, nous devons enfermer nos animaux pour que les camions d’ENDESA ne les écrasent pas mais nous préférerions mourir plutôt que d’abandonner nos terres. Le barrage a déjà détruit deux de nos cimetières. Les ouvriers remuent la terre et détruisent nos lieux de culte et nos pierres sacrées. Nous aimons la terre mère et la vie ici. La vraie vie, c’est la nôtre, pas celle de Ralco. Il y a un temps pour dormir et un temps pour travailler. Ici, les ouvriers travaillent jour et nuit. C’est cela la qualité de vie d’ENDESA ? » Debout pour exprimer leur colère, Nicolasa et Berta affirment : « depuis les colonisateurs, tout se transforme mais nous conservons notre terre. Le fleuve, la montagne, notre langue, notre culture, font que nous ne partirons pas. Sans nous, la terre va mourir. Ceux qui sont partis sont intéressés par l’argent. Nous non. Nous croyons en la terre, pas dans l’argent. Ceux qui sont partis ne vont pas bien, allez les voir ! »

Lors de l’inauguration du barrage, en 2004,
le gouvernement s’était engagé à ne pas autoriser la construction d’autres centrales dans la région.
Mais il semble avoir changé d’avis depuis

Sources :
FIDH. Août 2003, Le peuple Mapuche : entre l'oubli et l'exclusion.
Yvonne Bangert et Anika Stowasser, 2006, A propos du projet de barrage réservoir sur le BíoBío au Chili et d’ENDESA Gesellschaft für bedrohte Völker Göttingen
Ana Guevara et Fabien Le Bonniec , « Wallmapu, terre de conflits et de réunification du peuple mapuche », Journal de la société des américanistes [En ligne] , 94-2 | 2008
Thomas Hakenholz, « Un peuple autochtone face à la « modernité » : la communauté Mapuche-Pewenche et le barrage Ralco (Alto Bío Bío, Chili) », Les Cahiers d’Outre-Mer, 228 | 2004, 347-366.

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