Le processus historique de spoliation des terres mapuches

Au temps de la Couronne d'Espagne


À la fin du XVIème siècle, la Couronne Espagnole décide de soumettre la population autochtone et de peupler la zone jusqu’à Chiloé, de fonder des villes et de placer la population sous l’autorité de Commanderies (les encomienda) pour le travail. Elles seront principalement effectives dans les zones nord et centrales de la colonie et non dans la zone sud où elles avaient pourtant aussi été instituées, du fait des rebellions mapuche et huilliche.


À la fin du XVIème siècle, la Couronne Espagnole décide de soumettre la population autochtone et de peupler la zone jusqu’à Chiloé, de fonder des villes et de placer la population sous l’autorité de Commanderies (les encomienda) pour le travail. Elles seront principalement effectives dans les zones nord et centrales de la colonie et non dans la zone sud où elles avaient pourtant aussi été instituées, du fait des rebellions mapuche et huilliche. Les terres mapuche huilliche passeront définitivement sous juridiction espagnole à partir du traité de Paix des Canoas de 1793. Ce traité, signé entre les représentants de la Couronne et les représentants huilliche qui prévoit la cession à la Couronne des territoires compris entre les fleuves Rahue et Damas jusque la cordillère et l’implantation espagnole mais aussi le maintien des formes de gouvernement huilliche. Dès cette époque, des grandes fermes agricoles (les fundos) se constituent dans les plaines.

 

Au temps du nouvel État indépendant du Chili

À partir de l'indépendance du Chili, la subordination directe des autochtones aux autorités espagnoles, est remplacée par celle de l’État chilien. Elle concerne l'ensemble des territoires autochtones à l'exception des territoire Mapuche libres situés au sud du Bio-Bio et au nord de l'axe établi entre San josé de la Mariquina et la partie sud de Panguipulli.

Dans les provinces sous juridiction chilienne, dès 1823, la loi « Freire » relatives aux « peuples d'indiens » (pueblos de indios) du 10 juin 1823 qui a pour objet de délimiter les possessions autochtones, a eu pour conséquences d'usurper les terres autochtones au profit de l'État. Appliquée en terres huilliche, cette législation donnera lieu à la remise des Titres des Commissaires (Titulos de Comisarios).

Dans les territoires libres mapuche, le processus d'usurpation des terres, qui correspondra à plus de 90% des terres ancestrales aura lieu avec la remise de Titres de Merced dès 1883.

Attribution des Titres de Commissaires

En application de la loi « Freire » du 10 juin 1823, sera procédé à la délimitation des terres huilliche avec la remise entre 1824 et 1832 de « titres de commissaires » documents écrits qui confirment l’existence et la reconnaissance desdits domaines.

Les communautés ont alors considérés que ces titres leur garantissaient non seulement l’usage matériel de leurs terres, mais aussi la reconnaissance légales de celles ci.

À partir de 1834, de nouvelles délimitations de terres viendront subdiviser les grands domaines indigènes établis par les « Titres de Commissaires », à travers des « Titres de Juge », octroyés par un juge de première instance au profit de certaines familles. Ces titres officialisent l’attribution d’une partie des terres par de nouvelles écritures, ils concernent des possessions qui varient entre 500 et 1 000 ha.

À partir de 1847, peu de temps après la reconnaissance de domaines indigènes, un certains nombres des particuliers sans scrupules chercheront à se les approprier « sur le papier » pour constituer de grandes propriétés. Ce mouvement s’amplifia et à partir de 1870, il y eut une véritable explosion d’achat de terres mapuches au moyen de divers subterfuges (avec la complicité des notaires et la complaisance de l’État), par ceux qui dorénavant seront appelés « les particuliers », ces hommes de la région riches et puissants, qui ont massivement crées de grandes propriétés agricoles, les fundos.

Un processus très conflictuel commença alors à opposer communautés et particuliers, entre ceux qui possédaient matériellement les propriétés (les mapuches) et ceux qui possédaient des titres de propriétés validés devant notaires, les « particuliers ».

Une fois qu’une bonne partie des terres autochtones furent appropriées, un double processus de revente et de concentration entre les mains de quelques personnages influents de la région de développa. À la faveurs de ces transferts, les « actions et droits » nominés dans les premiers actes de vente se sont transformés en propriétés pleines et entières, mais toujours « sur le papier ».

Parallèlement, face à l’augmentation du nombre de familles mapuches et à la subdivision des terres qu’elle a entrainé, ces familles ont évités l’éclatement en conservant le principe de la propriété collective communautaire.

À partir de 1930, les caciques des communautés mapuches commencèrent à adopter une posture beaucoup plus virulente face à ce qu’ils considèrent comme une usurpation de leurs terres. Ils se structurent autour d’une
« Assemblée des Caciques ».

En 1936 cette Assemblée élabore un « Mémorial de projet de loi » envoyé au Président de la République qui demande le respect du traité de paix de 1793 et des « Titres de Commissaires ». Ce document ne reçoit pas l’accueil espéré et commence alors un long combat de reconnaissance.

Attribution des Titres de Merced

Afin d'assurer l'avancée de l'Etat et l'installation des colons en territoires autochtones, en vertu de la loi du 4 décembre 1866, la « Commission d’Établissement des Indigènes / Comision Radicadora de Indigenas)» a été chargée au nom de l’État de délimiter les terrains appartenant aux autochtones et de concéder au lonko ou chef de famille de l'espace délimité un « Titre de faveur (Titulos de Merced), correspondant à un titre foncier communautaire, soumis à un régime de protection spéciale. La Commission entrera en fonction aux lendemains de la guerre de « Pacification de l'Araucanie », soit en 1883.

 


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En application de cette disposition, entre la province d'Arauco au nord, et celle d'Osorno au sud, seront distribués 2918 Titulos de Merced qui, avec le système de mesure de l’époque, équivalaient à 510 386 ha, en faveur de 82 629 indigènes pour une population indigène de 110 00 au recensement de 1 907.

Ces attributions représentaient une moyenne de 6,1 ha par personne. Il est estimé que la superficie assignée aux Mapuche en vertu des Titres de Merced ne correspond qu'à 6,4% de leurs terres ancestrales au sud du Bio-Bio.

Dans la zone huilliche, où une grande partie des territoires autochtones avaient été usurpée et cédée à des particuliers, la remise de titres de Merced était rendue plus difficile, de sorte qu'à Valdivia, ne seront remis que 447 titres de Merced et à la Union, 123 (438 has).

Les lois de division des terres communautaires (1927-1931)

A partir de 1927, une série de lois réglemente selon des critères variables, la division des terres communautaires correspondant aux Titres de Merced. (loi n°4169 du 29 août 1927, loi n°4802 du 24 janvier 1930, décret-loi n°266 du 20 mars 1931 et décret suprême n°4111 du 12 juin 1931).

A l'issue du processus de division, en particulier entre 1943 et 1947 période au cours de laquelles les Mapuche avaient pleine capacité pour réalier des contrats, de nombreux titres individuels (entre 100 000 et 500 000 has) ont été cédés de façon abusive à des particuliers non mapuche.

La division des terres se poursuivra jusqu'en 1972.
Entre 1927 et 1971, 832 Titres de Merced ont été divisés en 12 737 parcelles individuelles.
Au cours de ce processus, 59 titres de Merced ont été révoqués par les juzgados de indios intitués en 1930, permettant le passage de 4 548 has aux mains de particuliers non mapuche.

La loi de propriété australe(1931)

En 1931 fut promulgué le décret-loi n°1600, de propriété Australe qui met en place un processus de « Revalidation des Titres » (RVT) devant le fisc.

Cette législation est apparue comme un nouvel et subtil outil légal pour consolider la propriété des terres autochtones au profit des « particuliers », dès lors que les communautés éloignées de la ville et qui ignoraient ce droit eurent peu recours à cette nouvelle norme. En effet, cette loi permettait de consolider en propriété des possessions de terres autochtones. Dans ces circonstances, des particuliers installés sur les terres des communautés ont obtenu leur titularisation en leur faveur bien qu'elles correspondent à des titres de commissaires. Ce fut par exemple beaucoup le cas dans les provinces d'Osorno et de Valdivia.

La même année, ce décret est accompagné d'un autre Décret-loi n°2600 qui prescrit les droits de toute personne revendiquant des terres reconnues à un particulier en application de la législation de propriété australe, empêchant ainsi les communautés autochtones de récupérer les terres enregistrées par des particuliers.

Pour les motifs expossés plus haut, les communautés mapuche huilliche seront particulièrement affectées par cette législation ; leurs titres de commissaires non revalidés avaient perdu toute valeur légale...

Du fait de l'action combinée des lois de division et de la législation de propriété australe, en 1969, on estime à 1,8 has la moyenne de la superficie des titres individuels de propriété foncière autochtone dans le sud


Processus d’expropriation de fundos dans le cadre de la Réforme agraire

En 1967, la Réforme agraire permettait d’exproprier certains fundos d’ancienne occupation mapuche et de les placer sous l’autorité du Ministère des Terres et de la Colonisation et de la Corporation de la Réforme agraire (CORA), conduisant à concéder l’usage de la terre aux communautés mapuche, sans effectuer de transfert de propriété.

1970 - 1973 : gouvernement d’unité populaire de Salvador Allende

En 1970 la Direction des Questions indigènes calculait que sur les terres des Titulos de Merced, les mapuches avaient perdus 131 000 ha.

En 1971, le président Allende édicta une législation indigène qui donnait la possibilité d’incorporer les communautés indigènes dans le processus des réformes agraires et de rendre aux communautés des terres des fundos expropriés. Cette loi ne fut opérationnelle que pendant un peu plus qu’un an.

Processus de restitution de terres aux « propriétaires »
la « contre-réforme agraire » pendant la période militaire de 1973 à 1990

Le coup d’État militaire de 1973 interrompt le processus de restitution des terres à mi chemin. Presque aucune des terres restituées n’avaient légalement de titre de propriété, les procédures légales étant longues.

Le coup d’État militaire se traduit également par une tendance à développer la propriété individuelle.

Le décret-loi 2 568 de 1 978 termina de diviser les derniers titres de Merced qui avaient survécu aux processus de division des années antérieures, au motif que le « développement » passerait par la remise à chaque famille d’un titre de propriété individuelle incluant la possibilité de vendre les parcelles individuelles.

Le « processus de régularisation » mis en œuvre par le régime militaire, jusqu’en 1990, a donc signifié :
- la rétrocession des domaines expropriés à leurs anciens propriétaires,
- la parcellisation au profit d’attribution de propriétés individuelles,
- les cessions et adjudications de terres à des particuliers ou à des entreprises.

Les terres « propriétés fiscales » ont donc été inscrites en 1976 au nom du Ministère des Biens Nationaux, même s’ils sont habités dans leurs totalités par des familles mapuches.

Des mécanismes frauduleux d’appropriation se sont mis en place par échange de terres contre de l’alcool, des biens en nature ou du bétail avec des mapuches qui ne savent ni lire ni écrire et signent des documents sans comprendre ce qu’ils contiennent. Les actions des notaires et des avocats permettent la validation des titres des particuliers mais pas de ceux des mapuches qui deviennent des « propriétés fiscales occupées ».

Au total, pendant la période militaire, ce sont environ 30 000 ha des terres de la réforme agraire de la présidence Allende qui sont restées dans les mains des communautés indigènes.

Les terres spoliées « tierras usurpadas » durant la période militaire sont approximativement de 50 a 60 000 ha

Processus de reconstitution des territoires autochtones au retour de la démocratie (1990)

Après la dictature militaire, un processus de reconstitution des territoires se met en place en s’appuyant sur la Loi indigène de 1993 qui protège les terres indigènes en empêchant leur vente.

L’accord cadre du 11 août 1994 entre la Corporation Nationale de Développement Indigène (CONADI) et le Ministère des Biens Nationaux a pour principal objectif de régulariser les titres des « « terres fiscales » occupées par les communautés et de les transformer en domaines autochtones.

L’article 20. b. de la loi indigène de 1993, établit le financement de « mécanismes destinés à résoudre les problèmes de terres ». Ces problèmes n’étant rien d’autres que « les usurpations » dont se plaint un grand nombre de communautés,. Le mécanisme consiste à racheter les terrains dont on peut prouver qu’ils ont appartenu à des autochtones dans le passé. Lorsque son propriétaire refuse ou fixe un prix trop onéreux, la CONADI propose à la communauté d’acheter un terrain dans une autre zone.

La mise en route de cette politique d’acquisition de terres en conflit a été l’une des premières mesures mises en œuvre par la CONADI au lendemain de sa création en 1994. Durant cette même année 1994, plus de 7 000 hectares ont été achetés pour les communautés qui avaient prouvé l’usurpation de leurs terres.

Durant les années qui ont suivi, le budget alloué à ce programme de rachat de terre a été multiplié par cinquante, alors que les superficies achetées n’ont même pas été doublées.

Ce décalage dû à la hausse des prix des terrains témoigne d’un effet inattendu de l’application de la Loi indigène, par laquelle la terre devient un bien de marché comme les autres, soumis au principe de l’offre et de la demande.

Cependant, cette loi du marché s’est avérée viciée dans le contexte des conflits fonciers qui vont être en recrudescence à la fin des années 90.

Face aux pressions des communautés pour récupérer leurs terres, l’État va essayer de les acheter à tout prix, tandis que les propriétaires, latifundistes ou entreprises forestières, en ont profité pour augmenter la valeur de leurs terrains qui sont souvent de mauvaise qualité.

Très rapidement la CONADI s’est retrouvée saturée par les demandes d’acquisition de terrain en conflit, alors que 65% de son modeste budget (0,3% des investissements publics au Chili) y était dédié.

Sources :

AYLWIN José (coord), (2013), Los pueblos indigenas y el derecho, Ed. Lom – Observatorio Ciudadano, 2013.
BARRUE-PASTOR, Monique, 2004, Forêts et développement durable au Chili : Indianité mapuche et mondialisation, Ed. PUM, 286 p.
BENGOA José, La question mapuche. COMISION VERDAD HISTORICA Y NUEVO TRATO CON LOS PUEBLOS INDIGENAS, (2003), informe de la Comision de trabajo autonoma mapuche, http://biblioteca.serindigena.org/libros_digitales/cvhynt/v_iii/t_ii/capitulo_II.pdf.
LE BONNIEC Fabien, 2009, La fabrication des territoires Mapuche au Chili de 1884 à nos jours. Communautés, connaissances et État.

Cette partie du WEB DOC sur le foncier mapuche s’est enrichi des conseils éclairés de Leslie Cloud

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