CONVENTION SUR LE PATRIMOINE MONDIAL
ET PEUPLES AUTOCHTONES


Répondre au besoin urgent de mettre en oeuvre la Convention du patrimoine mondial de l’UNESCO conformément à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones

 

La Convention sur la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, fut adoptée en 1972 par la Conférence générale de l’UNESCO. Ratifiée par 191 Etats, elle est aujourd’hui l’un des traités multilatéraux le plus largement ratifié.

Son but principal est l’identification et la protection collective des sites naturels et culturels de « valeur universelle de première importance ». La Convention démontre que certains endroits sont de valeur si particulière que leur protection n’est pas seulement de la responsabilité des Etats dans lesquels ils se trouvent mais constitue un devoir pour la communauté internationale dans son ensemble.

Sa mise en application est à la charge du Comité du Patrimoine mondial, un organisme intergouvernemental composé de 21 Etats. Ce comité conserve la liste des sites dont la valeur universelle est de première importance et s’assure de leur protection et de leur sauvegarde pour les générations futures. Les sites ne peuvent figurer sur la liste qu’après avoir été formellement désignés par l’Etat où ils sont situés. Quoiqu’ un grand nombre de sites du Patrimoine mondial soient totalement ou partiellement situés dans des territoires autochtones, la Convention n’a produit aucune directive qui assure la participation des autochtones dans les activités et les décisions qui les affectent.

Le Comité du patrimoine est appuyé par deux organismes conseillers : l’Union internationale pour la protection de la nature (International Union for Conservation of Nature - IUCN) et le Conseil international des monuments et des sites (International Council on Monuments and Sites - ICOMOS) qui donnent des évaluations techniques sur les désignations et aident les Etats à la conservation des sites; le Centre international d’études de la préservation et de la restauration des propriétés culturelles (International Center for the Study of the Preservation and restoration of Cultural Property, ICCROM) fournit des avis et des formations sur les sites culturels. Une proposition autochtone de créer un « Conseil d‘experts autochtones du Patrimoine mondial » comme conseiller supplémentaire fut rejetée par le Comité en 2001.

Depuis l’adoption, en 2007 par les Nations Unies, de la Déclaration des droits des peuples autochtones, les organisations des droits de l’homme ont, à plusieurs reprises, enjoint le Comité du patrimoine et ses conseillers de conformer l’application de la Convention aux normes de la Déclaration. En novembre 2013, le Rapporteur spécial de l’ONU sur les droits autochtones, James Anaya, adressa une lettre au Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO, secrétaire du Comité, pour signaler les nombreuses préoccupations des peuples autochtones concernant la désignation et la gestion des sites du patrimoine et pour l‘appeler à agir afin de :
. assurer la participation significative des peuples autochtones à la désignation des sites du Patrimoine mondial,
. sauvegarder les droits des autochtones sur leurs terres et leurs ressources durant le processus de désignation,
. consulter les peuples autochtones afin d’obtenir leur consentement préalable, libre et informé sur la création de sites du patrimoine mondial qui pourrait les affecter,
. assurer la transparence des processus de désignation des sites et de l’inscription au patrimoine,
. protéger les peuples autochtones contre le mauvais usage et la distorsion de leurs cultures, de leurs pratiques et de leurs connaissances,
. assurer que les peuples autochtones bénéficieront des sites du patrimoine qui les concernent et que
. seront réparées les injustices passées et les violations des droits des autochtones.

Événements en 2014

Le Rapport de l'UNESCO et de l'UICN sur l'état de conservation du système lacustre au Kenya

Un cas qui a attiré beaucoup de critiques internationales est celui de l’inscription, en 2011, au patrimoine mondial de la Réserve nationale du lac Bogoria au Kenya (partie du système lacustre kenyan) sans que la communauté autochtone Endorois soit impliquée dans la prise de décision (voir Le Monde indigène de 2012 et de 2013). Au début de 2014, le Comité du patrimoine mondial écrivit au gouvernement du Kenya pour lui demander de commenter l’information de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (voir Le Monde indigène 2014) selon laquelle « le consentement libre, préalable et informé de la communauté Endorois n’avait pas été sollicité pour l’inscription du lac Bogoria…. et le manque de participation de cette communauté à la prise de décision et à la gestion soulevait des inquiétudes ». Sans réponse du gouvernement, en mai 2014, le Comité et l’IUCN firent un rapport dans lequel ils faisaient état de la préoccupation de la Commission africaine « parmi les questions actuelles posées par la protection (de la nature) » et recommandaient que le Comité du patrimoine enjoigne le Kenya de prendre les mesures nécessaires.

Cet engagement de l’UNESCO et de l’IUCN semble avoir encouragé les agences gouvernementales kenyanes à établir un « memorandum d’entente (memorandum of Understanding - MOU) » avec les représentants de la communauté endorois, qui reconnaît la réserve nationale du lac Bogoria comme terre ancestrale des Endorois et requiert leur inclusion dans sa gestion. Il reste à voir jusqu’à quel point ce memorandum fera entendre la voix des Endorois, leur donnera réellement un pouvoir de décision dans la gestion de la réserve et conduira à un équitable partage des bénéfices.

38ème Session du Comité du Patrimoine Mondial -DOHA, JUIN 2014

La décision du Comité de demander au Centre du patrimoine mondial et à ses organismes conseillers de préparer pour 2015 « un projet d’intégration d’une perspective de développement durable dans le processus de la Convention » fut, pour les peuples autochtones, hautement significatif de la portée générale de l’application de la Convention. Ce projet consistera en déclarations sur « huit points clés » du développement durable comprenant les « communautés locales et autochtones» et les « droits de l’homme ». Le projet comprendra aussi des suggestions sur les procédures opératoires et les modalités de travail qui aideraient à mettre en pratique les nouvelles politiques. Malheureusement, les possibilités que les autochtones participent à ces efforts sont très limitées.

Une autre décision importante adoptée par le Comité concerne les modalités de composition de la liste des sites « mixtes » naturels/culturels. Elle demande que le Centre du patrimoine, l’IUCN et l’ICOMOS préparent un rapport, à examiner par le Comité en 2015, sur les possibilités de changer les critères de confection de la liste et le mode d’évaluation des désignations « mixtes ». Ces efforts constituent la réponse aux difficultés rencontrées lors de la désignation par les autochtones du site de Pimachiowin Aki (Canada). Ces difficultés concernaient la reconnaissance de la relation des autochtones à la terre et de l’interrelation des valeurs culturelles et naturelles selon les critères existants. Ces questions sont très pertinentes pour les futures désignations qui impliqueront des territoires autochtones et le Rapporteur spécial de l’ONU, James Anaya, « a souligné l’importance de la consultation des peuples autochtones durant toutes les modalités de cette révision ».

Décisions mémorables sur des sites particuliers

Endorois sur le lac Bogoria (Kenya)

Comme le recommandait le Centre du Patrimoine, le Comité a adopté une décision sur l’état de conservation du système lacustre kenyan qui « note les résolutions de la Commission africaine des droits de l’homme sur la reconnaissance des droits des Endorois sur le lac Bogoria et enjoint le gouvernement (kenyan) à répondre à ces résolutions et à assurer aux Endorois une pleine et effective participation à la gestion et aux prises de décision … à travers leurs propres institutions représentatives ». Le Kenya doit présenter un rapport sur l’application de cette décision à la 39ème session du Comité, en 2015.

Parc national de Virunga (RDC)

Egalement remarquable est la décision du Comité sur l’état de conservation du Parc national de Virunga, en République démocratique du Congo (RDC) qui recommande aux industries extractives de ne pas opérer sur les sites du patrimoine mondial. Cette décision requiert que le gouvernement « annule tous les permis d’exploitation pétrolière accordés dans ces zones et réitère sa position qui déclare incompatible avec les statuts du patrimoine mondial toute exploration et exploitation pétrolière, gazière ou minière ».

Delta d’Okavango ( Botswana)

Le comité a ajouté plusieurs sites, situés sur des territoires autochtones, à la liste du patrimoine mondial. Au Botswana, le delta d’Okavango, territoire de plusieurs groupes San, devint le 1.OOOème de la liste. Quoique des dirigeants San étaient favorables à l’inscription du delta sur la liste, la désignation mentionnait peu d’informations sur les San et leur patrimoine culturel et aucune reconnaissance de leurs droits sur la terre et ses ressources. En évaluant cette désignation, l’IUCN a néanmoins demandé au gouvernement de reconnaître en outre le patrimoine culturel des San et de garantir que leurs droits à l’accès aux ressources naturelles et aux sites culturels seront respectés et qu’il n’y aura aucune expulsion. Des informations supplémentaires, données par le Botswana en février 2014, contiennent une documentation sur la relation des San à leur terre et la confirmation que leur patrimoine culturel et le droit d’accès des communautés vivant sur ce territoire sont légalement garantis. La décision du Comité du patrimoine appelle à continuer les efforts pour « renforcer la reconnaissance du patrimoine culturel des habitants autochtones » et « d’aménager avec sensibilité les activités traditionnelles de subsistance et les droits d ‘accès ». Elle souligne la nécessité de s’assurer que les points de vue des autochtones seront respectés, intégrés dans les plans de gestion et que ceux-ci auront accès aux bénéfices du tourisme.

Le Sanctuaire de vie sauvage de la chaîne des Monts Hamiguitan (Philippines)

est le nouveau site inscrit sur la liste. Le Comité avait déjà pris en considération sa désignation en 2013 mais l’a rappelée au gouvernement philippin en lui demandant de « régler le problème de toute revendication importante sur les terres et de s’assurer d’un large appui à la désignation du site ». Dans la mise à jour de la désignation, le gouvernement philippin a montré les preuves du soutien des communautés concernées à cette désignation, de leur engagement à protéger le site et de leur abandon volontaire de toute revendication sur les zones de leur domaine ancestral comprises dans le site, y compris sur la zone tampon. Le gouvernement provincial du Davao oriental, en retour, s’engagea à fournir une assistance technique et à soutenir, à la périphérie de la zone du site, la préservation de la culture des groupes tribaux et le maintien de leurs moyens d’existence. La décision du Comité encourage le gouvernement à « continuer ses efforts pour collaborer avec les communautés locales et les peuples autochtones, sur la gestion de cette propriété et de leur assurer un accès équitable et un partage des bénéfices. »

Le Grand Parc national himalayen en Inde

fut porté sur la liste après une campagne intense des ONG locales et des organisations communautaires, préoccupées par l’absence des communautés dans le projet de désignation, le manque de considération pour les valeurs culturelles et spirituelles, le défaut d‘application de la loi sur les droits forestiers (Forest Rights Act) de 2006 et les possibles implications néfastes, pour les moyens d’existence des habitants des forêts, de la mise sur la liste du patrimoine mondial. Les populations locales s’opposèrent particulièrement à l’inclusion dans le parc national des Sanctuaires de la vie sauvage Tirthan et Sainj, appartenant à la région désignée, qui signifierait la relocalisation de trois villages et l’extinction des droits d’usage des ressources traditionnelles de ces sanctuaires. L’IUCN avait soutenu ces projets dans son Evaluation, recommandant que le Comité demande à l’Inde « d’accélérer l’inclusion formelle des Sanctuaires Tirthan et Sainj dans le parc national pour améliorer leur protection légale ». A la suite des campagnes persistantes des organisations communautaires il fut annoncé, le jour de l’inscription, que l’Inde « ne poursuivrait pas la transformation du statut protégeant les sanctuaires. » Le Comité s’abstint d’encourager l’Inde à inclure les sanctuaires dans le parc national mais demanda « qu’elle accélérât le règlement des questions concernant les droits des communautés locales et autochtones dans les sanctuaires Tirthan et Sainj en particulier celles qui concernent la suppression des pâturages dans le Tirthan ».

Une proposition du Panama

demandant que 31.628 ha. soient ajoutés au Site classé du patrimoine du Parc national du Darien (légère modification de frontière) fut renvoyée au gouvernement, parmi d’autres choses, pour « qu’il confirme et donne des informations supplémentaires sur la consultation nécessaire des populations autochtones et locales à propos de cette augmentation ». Le nombre croissant de telles décisions, ces dernières années, montre que l’IUCN porte une attention croissante à la nécessité d’assurer la participation des peuples autochtones aux décisions qui les concernent.

Congrès de l’IUCN sur les Parcs mondiaux, Sydney, novembre 2014

Sur le thème «Les Parcs, les Peuples et la Planète : proposer des solutions »le Congrès de l’IUCN s’est tenu en 2014 et visait à combler l’écart entre la préservation et les projets programmés de développement durable. Plusieurs ateliers discutèrent du rôle des peuples autochtones et de leurs droits en relation avec le patrimoine mondial.

Le document final, « la Promesse de Sydney » souligne la nécessité, pour les Etats et les organisations concernées, d’assurer que les peuples autochtones soient pleinement impliqués dans la création, la désignation et la gestion des zones protégées qui se situent sur leurs territoires, que leurs droits sur les terres et les ressources soient respectés, que leurs moyens d’existence soient maintenus, que les injustices passées et présentes soient réparées. Concernant particulièrement les sites du patrimoine mondial, la promesse de Sydney met en lumière la nécessité que la Convention du patrimoine mondial s’aligne sur la Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones et que son guide des opérations soit amendé en conséquence, avec la pleine et effective participation des peuples autochtones. Elle appelle à leur implication dans la gestion, l’évaluation et le contrôle des sites situés sur leurs territoires et recommande « d‘éliminer le fossé conceptuel et gestionnaire (qui préside) aux désignations des sites naturels et culturels ».

Un nouveau livre « World Heritage Sites and Indigenous Peoples’rights » (Les Sites du patrimoine mondial et les droits des peuples autochtones) a été publié durant la Convention, conjointement par IWGIA, Forest Peoples Programme et Gundjeihmi Aboriginal Corporation (Association des Aborigènes Gundjeihmi). Il comporte 20 études de cas sur les sites du patrimoine dans le monde et les expériences vécues par des peuples autochtones.

Fut également lancé au cours de ce congrès un programme de petites subventions de l’UNESCO et des Nations Unies (UNDP /GEF) pour des publications sur
«Engaging Local Communities in Stewardship of World Heritage
» (engager les communautés locales à la gestion économique des sites du patrimoine mondial) ,(Collection World Heritage Papers 40)

Stefan Disko travaille comme consultant pour IWGIA sur les questions concernant le Patrimoine mondial. Il possède un M.A. en ethnologie et droit international de LMU de Munich et un M.A en Etudes du Patrimoine mondial de BTU COTTBUS ?

Source : IWGIA The Indigenous World 2015
Traduction par Simone Dreyfus-Gamelon, présidente du GITPA