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L'OEA est composée de tous les états des Amériques et de la zone Caraïbes (l'appartenance de Cuba a été suspendue). Ses sièges sont à San-José (Costa-Rica) et à Washington (États Unis).
La Commission interaméricaine de défense des droits de l’homme (acronyme anglais : IACHR) a été créée en 1959 comme organe principal et autonome de l’Organisation des États1 américains (OEA). Sa mission est de promouvoir et de protéger les droits de l’homme dans le continent américain. Elle est composée de sept membres indépendants qui agissent en leur nom propre et a son siège à Washington D.C. avec la Cour interaméricaine des droits de l’homme installée en 1979.
Depuis 1972, la Commission a mis l’accent sur la protection particulière des peuples autochtones qui est une obligation fondamentale des États. En 1990 elle a créé le Bureau du Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones pour attirer l’attention sur les peuples autochtones des Amériques, particulièrement vulnérables aux violations des droits de l’homme et pour renforcer, promouvoir et systématiser son travail dans ce domaine.2
Ses différents instruments et moyens d’action protègent et promeuvent les droits des peuples autochtones, à savoir :
• développer des normes pour la jurisprudence interaméricaine ;
• prendre des mesures d’urgence ou de précaution face à de graves menaces sur la vie ou l’intégrité des personnes ;
• produire des études spécialisées ou des rapports approfondis sur des questions concernant les droits des peuples autochtones ;
• piloter ou évaluer la situation des autochtones dans certains pays;
• être un conseiller spécialisé pour les États ou les organismes de l’OEA;
• participer à l’élaboration d’instruments juridiques internationaux ;
• organiser des séminaires de formation et des ateliers d’échange avec les dirigeants et les organisations autochtones et les représentants des États membres, des agences internationales, des juristes, des militants et des agents publics dans toutes les Amériques.Deux ou trois fois par an, la Commission donne la possibilité de procéder à des échanges publics entre les gouvernements et des pétitionnaires ou d’organiser des réunions de travail sur des cas particuliers. En général, les gouvernements envoient des délégations de haut niveau mais les deux parties sont traitées avec égalité et disposent du même temps de parole.
Jugements de la Cour interaméricaine et rapports de fond de la Commission
Deux cas ont fait l’objet d’un rapport de fond de la Commission au cours de l’année 2012. Il s’agissait de droits des autochtones sur leurs territoires ancestraux et leurs ressources naturelles, affaires qui seront déférées à la Cour interaméricaine en 2013.
L’affaire des autochtones Kuna de Madungandi et Embera de Bayano vs le Panama a été résolue. Il s’agissait des violations continuelles de leur droit de propriété collective par suite du défaut de paiement par l’État d’une compensation financière, depuis 1969, pour l’expropriation et l’inondation de leur territoire ancestral. L’affaire concerne aussi le manque de reconnaissance, de cadastrage et d’octroi de titres de propriété des terres concédées aux Embera de Bayano. En outre, la Commission a établi que l’État de Panama avait manqué à son obligation de protéger effectivement le territoire et les ressources naturelles en n’empêchant pas l’invasion des colons et l’exploitation illégale du bois. L’affaire fut déférée à la Cour interaméricaine le 26 février 2013 parce que la Commission avait constaté que l’État n’avait pas suivi les recommandations de son rapport de fond. Celles-ci préconisaient d’attribuer rapidement un titre de propriété et de procéder à une délimitation des territoires de ces deux peuples, de leur accorder une prompte et juste compensation dont le montant serait à déterminer par une procédure à laquelle ils participeraient et qui serait conforme à leurs valeurs, droit coutumier, habitudes et usages, entre autres.3
La Commission a également adopté le rapport de fond sur l’affaire qui oppose la Communauté garifuna de Triunfo de la Cruz vs le Honduras dont le territoire ancestral n’a pas été protégé contre son occupation et son expropriation par des tiers. Ces tiers, personnes privées et autorités publiques, ont créé une situation de conflit permanent vis-à-vis de la communauté. La Commission a, en outre, établi que celle-ci ne possédait pas, sur son territoire ancestral, de titre de propriété adéquat , approprié à sa culture, et que la création de zones protégées en avait retreint l’accès. Elle a considéré que cela constituait des obstacles au maintien du mode de vie traditionnel. L’affaire évoque aussi le manque de consultation libre et préalable des membres de la communauté de Triunfo de la Cruz sur des décisions qui affectent leur territoire historique. Décisions qui concernent l’implantation de projets touristiques et de méga projets, la création d’une zone protégée sur une partie de ce territoire et la vente de terres communautaires. L’affaire fut déférée à la Cour interaméricaine le 21 février 2013 parce que l’État n’avait pas informé la Commission de son acquiescement aux recommandations du rapport de fond. Il s’agissait de l’adoption de mesures législatives, administratives et autres, nécessaires pour délimiter correctement le territoire ancestral et pour assurer le droit des peuples autochtones du Honduras d’y avoir accès et de le protéger contre toute action, de l’État ou de tiers, qui attenterait à leurs droits de propriété.4
Il est remarquable que la Cour interaméricaine des droits de l’homme ait produit deux jugements sur les droits des peuples autochtones en 2012. Le premier, le 27 juin, concerne l’affaire des Kichwa de Sarayaku vs l’Equateur qui avait été déférée à la Cour par la Commission le 26 avril 2010. Le jugement de la Cour déclare que l’État d’Equateur est responsable de violations du droit des Kichwa de Sarayaku d’être consultés, de jouir de leur propriété communautaire et de leur identité culturelle en ayant permis à une compagnie privée d’effectuer des prospections pétrolières à l’intérieur de leur territoire depuis la fin des années 1990 sans leur consultation préalable. L’État a aussi été déclaré responsable d’avoir gravement mis en danger les vies et l’intégrité des Sarayuku par les activités de prospection utilisant de très puissants explosifs à l’intérieur du territoire autochtone. La Cour avait visité le territoire, en Amazonie équatorienne, avant de rendre son jugement en avril 2012 ; c’était la première fois que la Cour se rendait sur place pour une affaire en cours.5
Le second jugement fut rendu par la Cour interaméricaine le 4 septembre dans l’affaire Rio Negro Massacres vs. Guatemala. Il concerne la destruction de la communauté maya du Rio Negro, la persécution et l’élimination de ses membres par une série de massacres perpétrés, entre 1980 et 1982, par l’armée guatémaltèque et les membres des patrouilles d‘auto-défense civile (patrullas de autodefesa civil). Dans son jugement, la Cour montre que les massacres ont été effectués dans le cadre d’une politique de la « terre brûlée » de l’État guatémaltèque contre les Maya, décrits comme les « ennemis de l’intérieur » dans un contexte de discrimination, de racisme et en violation des droits humains fondamentaux de la personne. Il accuse, en outre, l’État de ne pas avoir enquêté effectivement sur ces massacres et de n’avoir pas examiné les nombreuses violations qui se sont produites à la fois durant et après ces évènements.6
Mesures de précaution
La Commission utilise des mécanismes de protection des droits des peuples autochtones qui font face à de « graves situations d’urgence ». Ceci afin de prévenir « d’irréparables dommages aux personnes ou des sujets de discussion sur des revendications ou sur une affaire pendante ».7 Les mesures de prévention en faveur des autochtones sont, notamment, la garantie du droit à la vie et à l’intégrité de leurs autorités et de leurs dirigeants, des personnes autochtones en général face aux attaques, assassinats et menaces.8 Des injonctions ont été prononcées par la Commission pour protéger un territoire autochtone jusqu’à ce qu’une décision soit prise sur une requête le concernant9 ; elle a pris des mesures de protection contre les invasions massives détruisant les forêts, les cultures ou menaçant physiquement les personnes.10 D’autres mesures de protection concernent des communautés déplacées de force ou expulsées ou se trouvant dans une situation de grande vulnérabilité.11 Contre un possible destruction de sites sacrés ou si leur accès est devenu difficile, la protection est également requise.12
En 2012, la Commission a appelé des États à adopter des mesures de protection des vies et des personnes de communautés autochtones. Cela s’est produit, le 29 mai, pour les 76 membres de la communauté Triqui de la vallée du Rio San Pedro,San Juan Copala, Putla de Gueirrero, de l’ État de Oaxaca au Mexique. Les autochtones avaient été chassés de la région de San Juan Copala par des hommes armés et étaient menacés, soumis à actes de violence et de harcèlement dans le but de les expulser de leur habitat. Le 15 octobre, la Commission a pris des mesures en faveur de CarlosAntonio Pop Ac et Rodrigo Tot, respectivement représentant légal et dirigeant de la communauté d’Agua Caliente, des Maya Q’qchi, située dans la municipalité d’ El Estor, département d’Izabal au Guatemala. Selon nos informations, la situation était très risquée dans ces deux cas, en raison des intérêts extérieurs qui visaient les territoires ancestraux de ces communautés autochtones.
Surveillance de la situation dans les pays
En 2012 la Commission et le Rapporteur des droits des peuples autochtones ont continué à surveiller la situation des peuples autochtones du continent américain au moyen de visites des pays, d’auditions, d’investigations auprès des Etats et de conférences de presse.
Visites dans les pays
Pour recueillir des informations sur la situation des autochtones par rapport aux droits de l’homme, deux pays ont été visités durant l’année. En mars, la Rapporteure sur les droits des peuples autochtones, Dinah Shelton, se rendit au Guatemala. En conclusion de son séjour, elle exprima sa grave préoccupation sur la situation des autochtones due, d’abord, à la défaillance de l’État dans la garantie de leurs droits à la terre et aux ressources naturelles. Selon nos informations, cette défaillance est due : au manque de reconnaissance des terres autochtones, au manque de cadastre et d’enregistrement des territoires ancestraux empêchant leur protection, à l’acquisition de terres par des compagnies sans aucun contrôle de l’État et à la mise en œuvre de projets d’investissements, de développement et d’exploitation des ressources en violation des normes internationales.13
En décembre, avec la participation d’un spécialiste du Bureau de la Rapporteure, une visite fut effectuée en Colombie. Malgré un cadre légal favorable et des programmes visant à réparer et à protéger les droits autochtones, la conclusion de cette visite fut que ceux-ci n’étaient pas effectivement protégés en Colombie. Par une conférence de presse sur le sujet, la Commission apprit que, bien au contraire, les autochtones étaient, fortement et exagérément, affectés par le conflit armé interne qui s‘était intensifié dans leur territoire, en 2012. Elle eut connaissance : - d’attaques non ciblées, contrôlées par les acteurs du conflit, qui résultent de la lourde militarisation de leur territoire et dont ils sont victimes, - du recrutement de garçons et de filles autochtones pour des activités de renseignement ou comme porteurs d’ équipements militaires, - d’abus sexuels envers des femmes et des jeunes filles, insuffisamment dénoncés par peur de représailles, - de l’encerclement de communautés empêchées d’accéder à leurs sites traditionnels de chasse, de pêche et de cueillette.14
Auditions devant la Commission
Les 144ème et 145ème sessions de la Commission se tinrent en 2012 au cours desquelles eurent lieu des auditions publiques sur la situation des peuples autochtones qui apportèrent des témoignages de continuelles violations des droits de l’homme et du mépris des droits territoriaux dans plusieurs pays comme l’Argentine, la Colombie, le Panama, le Pérou et Suriname.15 L’examen de la « situation des autochtones volontairement isolés en Amérique du sud »fut particulièrement préoccupant et montra l’augmentation des menaces à leur intégrité culturelle et à leurs vies qui risquent d’en mener certains à l’ extinction comme peuples. Lors de la conférence de presse clôturant les sessions, la Commission « appela les États de la région à respecter et à garantir les droits humains des peuples autochtones volontairement isolés en prenant les mesures appropriées pour qu’ils jouissent effectivement de leur droit à la propriété de leurs territoires ancestraux et des ressources naturelles qui s’y trouvent. » La Commission a également pressé « les États d’envisager la possibilité de prendre des mesures régionales de protection étant donné le caractère particulier de l’isolement de ces peuples »16
Lors de ces auditions, la Commission a reçu des informations inquiétantes sur la répression des protestations et des manifestations publiques conduites par des dirigeants, des autorités ou des individus autochtones pour la défense de leurs territoires ancestraux et de leurs ressources naturelles. Elle a été saisie de l’usage ambigu et de grande portée d’accusations criminelles dans le but de limiter le droit de protester publiquement et de l’emploi exagéré de la force publique pour supprimer les manifestations légitimes et les protestations sociales.
Des évènements de l’année 2012, où l’on compta même la mort de manifestants autochtones, éclairent la gravité de la situation dans la région et l’importance de veiller au respect du droit dans les sociétés démocratiques.
Certains de ces évènements ont fait l’objet de conférences de presse :
- les protestations des Ngöbe Buglé de Panama contre le vote d’une loi permettant la mise en oeuvre de projets d’investissements sur leur territoire,17
- les groupes d’auto-défense opposés au projet minier de Conga à Cajamarca au Pérou,18
- le 4 octobre 2012, la mort d’autochtones K’iche venus des 48 cantons de Totonicapan, au Guatemala, au cours de la répression d’une manifestation.19
1.http://www.oas.org/en/iachr/mndate/what.asp 2.http://www.oas.org/en/iachr/indigenous/mandate/functions.asp
3. Pour plus d’informations sur cette affaire, voir IACHR, conférence de presse 22/13. Affaire impliquant Panama devant la Cour inter-américaine,Washington D.C. 4 avril 2013
4. Pour plus d’informations sur cette affaire voir IACHR, conférence de presse 21/13.Affaire impliquant le honduras devant la Cour inter-américaine, Washington D.C. 4 avril 2013
5. Pour plus d’informations, voir Cour inter-américaine, Indigena Kichwa de Sarayaku People Vs. Ecuador. Merits and Reparations. Jugement du 27 juin 2012. Series C N°245. Disponible sur http/ :www.corteidh.or.cr/casos.cfm
6. Pour plus d’informations voir Cour inter-américaine, Massacres du Rio Negro Vs. Guatemala . Preliminary objections, Meerits, Reparations and Costs. Jugement du 4 septembre 2012 Series C N°250. Disponible sur http://corteidh.or.casos.cfm;
7. Article 25 des règles de procédure de la Commission, approuvées lors de sa 137ème session tenue du 28 octobre au 13 novembre 2009, et amendées le 2 septembre 2011. Ces règles jouent un double rôle : protéger et préserver une situation légale, objet d’une requête ou d’une affaire qui lui a été soumise, afin d’empêcher la prise de mesures qui rendraient inefficace une décision éventuelle et un rôle de « superviseur » en préservant l’exercice de droits pour éviter des dommages irréparables à la vie et à l’intégrité de la personne du bénéficiaire
8. Par exemple, des mesures de précaution ont été prises, en Colombie, en faveur des Awa des départements de Narino et de Putumayo (MC 61/11) et (en novembre de la même année) en faveur des Nasa des réserves de Toribio, San Francesco, Tacueyo et Jambalo (MC 255/11).
9. Par exemple, au Honduras, les mesures en faveur des communautés garifuna de Triunfo de la Cruz (MC 253/O5) et de San Juan de Tela ( MC 304/05).
10. Par exemple, les mesures prises, à Panama, en faveur des Kuna de Madugandi et des Embera de Bayano (MC 105/11) et des maho à Suriname (MC395/09)
11. Par exemple, mesures en faveur des 14 communautés Q’echi de la municipalité de Panzos au Guatemala (MC121/11) et des 21 familles de la communauté Nonam des autochtones Wounaan en Colombie.
12. Par exemple, mesures en faveur de la communauté mapuche Lof Paichil Antriao, en Argentine (MC 269/08) et e la communauté Maya-Sitio d’El Rosario-Naranjo au Guatemala (MC 114/06)
13. Les principales informations collectées par la Rapporteure des droits des peuples autochtones se trouvent dans la conférence de presse qu’elle a donnée à la fin de sa visite. IACHR, Conférence de presse n°33/12…….disponible sur http://oas.org/en/iachr/media_center/PReleases/2012/033.asp.
14. Pour plus d’informations voir IACHR, Conférence de presse n°144/12 , disponible sur http://www.oas.org/enIiachr/media_centerPReleases/2012/144.asp.
15. Pour plus d’informations voir…….http://www.oas.org/en/iachr/media_center/Preleases 2012/036A.asp. et http://oas.org/en/iachr/media_center/Preleases/2012/134A.asp
16. Conférence de presse 134A/12de la Commission en conclusion de sa 146ème session, 16 novembre 2012. disponible sur http// :oas.org .en/iachr/media_centerPReleases/2012/134A.asp.
17. Conférence de presse 13/12 « La Commission inter-amércaine des droits de l’homme presse le Panama de garantir la sécurité et l’intégrité physique des protestataires » 7 février 2012 disponible sur :http://oas.org/en/iachr/media_center/Preleases/2012/013.asp.
18. Conférence de presse 80/12 . « La Commission exprime sa préoccupation des agressions survenues dans le département de Cajamarca au Pérou. 6 juillet 2012, 6 juillet 2012. Disponible sur : http :www.oas.org/en/iachr/media_center/PReleases/2012/080.asp.
19. Conférence de presse 127/12 « La Commission déplore profondément le meurtre d’autochtones K’iche à Totonicapan au Guatemala » 23 octobre 2012. Disponible sur : http://www.oas.or/en/iachr/media_center/PReleases/ 2012/127.asp.
Source : IWGIA, The Indigenous World 2013
Traduction pour le GITPA par Simone Dreyfus-Gamelon