PROCESSUS INTERNATIONAUX

L'UNION AFRICAINE

L’EMERGENCE DE LA SOCIETE CIVILE CHEZ LES PEUPLES AUTOCHTONES D'AFRIQUE 1994-2004

Source : Nigel Crawhal IWGIA Indigenous Affairs 03/04- Traduction GITPA

Par Nigel Crawhall, militant sud-africain des droits des peuples autochtones qui travaille avec le Comité de coordination des peuples autochtones d’Afrique (en anglais, IPACC) et est directeur du projet de formation pour la gestion des savoirs et des ressources culturelles autochtones, en liaison avec l’Institut san d’Afrique du sud.

En 1994 les Nations Unies ont pris la nécessaire résolution de déclarer, pour 1995-2004, une Décennie internationale pour les peuples autochtones du monde. Ces dix dernières années ont vu de grands changements en Afrique, l’un des plus profond étant l’émergence d’une société civile organisée, représentant différentes populations d’un bout à l’autre du continent. En Afrique, la Décennie a fait entendre au premier plan les voix des secteurs les plus vulnérables de la société. Un nouveau dialogue s’est instauré qui changera l’Afrique pour le meilleur.

1994 est une date qui a une signification particulière provoquant l’espoir et l’horreur. Ce fut l’année des premières élections démocratiques en Afrique du sud, la fin de cinq cents ans de violations et de dommages infligés par la colonisation au continent. Ce fut aussi l’année du génocide rwandais, une tragédie aux proportions immenses qui nous rappelle que, du point de vue international, les vies africaines ont toujours moins d’importance que le pétrole et les considérations géopolitiques.

Durant les cent jours du génocide au Rwanda, les autochtones de cette région, Batwa ou Pygmées, furent victimes des armées et des milices des deux parties belligérantes, les Bahutu et les Batutsi ; un tiers des communautés pygmées fut tué durant ce cauchemar impitoyable.

L’un des premiers actes de Mandela, en Afrique du sud, fut d’initier un processus, repris et soutenu par le président Thabo Melki, de reconnaissance et de défense des peuples premiers d’Afrique du sud, les San et les Khoekhoen. Sous la pression du Président de la Commission des Droits de l’homme sud-africaine pour les peuples autochtones, le Dr. Barney Pityana, et d’IWGIA, l’Afrique du sud prit la tête du continent pour soulever la question des droits des peuples autochtones.

Le Dr. Pityana, membre de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, l’a poussée à enquêter et à reconnaître les souffrances des autochtones. Malgré la résistance de certains de ses membres, la Commission Africaine a adopté, en novembre 2003, le premier texte qui reconnaît que le concept de « peuples autochtones » est pertinent en Afrique et que dans tout le continent ces peuples ont été l’objet de violations systématiques de leurs droits civils et humains.

Alors que certaines démocraties occidentales, comme les Etats Unis et le Royaume Uni, se sont écartées de leurs propres principes pour retarder l’évolution des normes concernant les Droits de l’Homme, notamment en bloquant l’adoption du projet de Déclaration des Droits des Peuples Autochtones, l’Afrique est en train de créer un espace pour entamer un réel dialogue.

Avancées tangibles

 En 1993, l’ International Work Group for Indigenous Affairs (IWGIA) a organisé un séminaire sur les peuples autochtones d’Afrique. Ce fut le point de départ d’un mouvement continental cohérent.

Durant la Décennie de l’ONU, le Maroc a révisé sa position de toujours sur l’arabisme et fait place à la langue amazigh (berbère) en créant une commission royale chargée de l’introduire dans l’enseignement public. Dix ans auparavant, des écrivains et des poètes amazigh étaient torturés dans les prisons de Marrakech et de Rabat. Aujourd’hui ils siègent au gouvernement et travaillent à la définition d’un Maroc futur qui prendra forme avec les langues , cultures et valeurs autochtones.

Le Congrès Mondial Amazigh (CMA) unit les organisations amazigh et touareg, des îles Canaries au Maroc et à l’Algérie en passant par les zones sahariennes de l’Afrique occidentale. Tamaynut, le réseau national amazigh du Maroc, comprend plus de 22 organisations affiliées et auto-financées.

Au Kenya, l’organisation politique des pasteurs a joué un rôle substantiel dans les changements politiques et la ré-afffirmation de la démocratie. Les chasseurs-cueilleurs autochtones ont tenu leurs premières assemblées en 2003. Ils ont communiqué au ministère de la justice les résultats de leurs réunions de travail afin que ceux-ci soient inclus dans les discussions sur la réforme de la constitution kenyane, intervenue après des années de corruption et d’abus perpétrés par le parti au pouvoir, la Kenyan African National Union (KANU). Le Kenya commence à considérer que les questions d’ethnicité, d’identité et d’économie sont liées au pouvoir de l’état et à l’accès aux ressources.

Les peuples autochtones nomades, de la Mauritanie au Cameroun, sont en train d’organiser des sociétés civiles rurales. Au Mali et au Niger, une guerre civile très dure a opposé les gouvernements corrompus du sud aux nomades autochtones du nord qui souffraient d’un accroissement désespérant de leur pauvreté et de leur marginalisation politique. Le conflit armé a provoqué d’épouvantables violations des droits de l’homme et ni enquêtes ni sanctions n’ont été effectuées en réponse aux accusations de massacres massifs. La guerre maintenant est terminée, les Touaregs et les autres nomades ont organisé en réseaux leurs sociétés civiles qui redéfinissent des options économiques durables pour le Sahara.

Dans la région des Grands Lacs, les communautés batwa qui ont survécu au génocide de 1994 ont établi des réseaux nationaux pour leur défense et leur développement. Au Rwanda et au Burundi leurs organisations entretiennent, avec les gouvernements, un dialogue actif sur la représentation de leurs peuples et leur participation aux structures de gouvernement. Le profond préjugé, fortement enraciné, contre les Pygmées existe toujours, de l’autre côté de la frontière il se manifeste par une affreuse violence envers les autochtones, les femmes en particulier. Cependant, grâce à leur propre capacité d’organisation et de négociation, les militants batwa influent sur la nature de la démocratie et disent leur mot dans les discussions sur la préservation de la nature, des forêts et la gestion des ressources naturelles. La Communauté des autochtones rwandais (CAURWA) est un modèle pour sa pratique de l’organisation et pour sa capacité à se former au pouvoir.

Les San commencent à s’organiser en Namibie, au Botswana et en Afrique du sud. Les plus grandes avancées se produisent dans les domaines de l’éducation et de la langue. La Namibie a fait du Ju / ‘hoansi la première langue san enseignée à l’école. En 2004 des militants de langue khwedam ont demandé au gouvernement de reconnaître déjà une deuxième langue, avec trois autres en perspective. L’Afrique du sud a adopté une disposition constitutionnelle particulière pour protéger et promouvoir les langues khoe et san en créant le premier organe consultatif autochtone sur les questions de langues. Le Botswsana, toujours hostile à la diversité, a accepté un enseignement pilote de san dans ses districts occidentaux et admis le principe d’une troisième langue maternelle dans les écoles.

Le Groupe de travail sur les minorités autochtones en Afrique du sud (WIMSA) s’est constitué en 1996 pour représenter les San dans toute la région. L’une de ses principales réalisations fut de faire valoir un jugement du tribunal, sur les droits de propriété intellectuelle, dans l’exploitation commerciale du hoodia gordoni, une plante alimentaire reconnue dans le savoir traditionnel san. Des conseils san ont été établis en Namibie et en Afrique du sud et le WIMSA a assisté les !Kung San pour garantir au Conservatoire N+a Jaqna (10.000km carrés, le plus grand de Namibie) le contrôle des ressources naturelles.

L’Afrique du sud a résolu plusieurs problèmes de revendications sur les terres de peuples autochtones et accompli un acte historique en 2003 quand son ministère des Affaires étrangères fut le représentant du premier pays africain à prendre positon, à Genève, en faveur du Projet de Déclaration. Le gouvernement devait adopter, en 2004, un memorandum sur les droits des peuples autochtones, premier outil politique de ce genre dans le pays.

En Ethiopie les pasteurs ont également fait de grands pas en avant en s’organisant en collèges électoraux. Le Soudan et le Tchad se sont aussi affrontés au double problème d’avoir à combler le fossé séparant les structures étatiques et les vies des autochtones nomades et de créer une démocratie durable.

Qui sont les peuples autochtones d’Afrique ?

 Aujourd’hui, les groupes qui se déclarent « autochtones » en Afrique sont ceux qui, en leur majorité, ont vécu de la chasse et de la cueillette ou ont été des pasteurs nomades. Ils sont différents, ils ont suivi des lignes de développement particulières dans des conditions spéciales d’environnement surtout dans les forêts tropicales et équatoriales, les savanes de l’est africain et les déserts du Sahara au nord et du Kalahari au sud. 

Comme ces peuples se sont trouvés rassemblés sous la bannière du Groupe International de Travail sur les Peuples Autochtones des Nations Unies, ils ont cherché à comprendre les liens qui ont construit le paradigme des « droits autochtones » dans le contexte africain.

La revendication d’autochtonie en Afrique est liée à une coalescence de facteurs :

Comprendre le besoin de réclamer des droits pour les autochtones c ‘est comprendre aussi la complexité des rapports réciproques entre la culture, l’économie et le pouvoir dans l’Afrique contemporaine et leur origine dans les époques coloniale et pré-coloniale.

Les revendications autochtones doivent être situées dans le contexte de la discrimination et la marginalisation systématiques de ces peuples dans la politique et l’économie contemporaines. La référence, faite par certains groupes africains, aux normes internationales de protection, découle de leur marginalisation actuelle dans les systèmes politico-économiques qui, à son tour, provient de facteurs historiques.

La colonisation apporta de nouvelles structures économiques et politiques qui renforcèrent le pouvoir des agriculteurs sur les pasteurs et les chasseurs-cueilleurs ; elle établit les règles qui permirent l’accès à un appareil d’état. La compétition économique se transforma en relations institutionnelles situées au cœur des nouveaux états.

Il est difficile de juger qui, parmi les autochtones d’Afrique, sont les plus vulnérables. Si nous l’évaluons par rapport à l’évolution de la société civile et aux menaces extérieures, il apparaîtra que les chasseurs-cueilleurs d’Afrique centrale connus sous le nom de Pygmées sont les plus en danger.

Ils sont approximativement 300.000, appartenant à de nombreux groupes ethniques et linguistiques, à se considérer eux-mêmes comme « Pygmées ». Parmi eux les Batwa et Bambuti des Grands Lacs, les Efe, les Babenjelle, les Babongo et les Baka des régions centrales et des groupes côtiers comme les Bagyeli. Le terme Pygmées, comme Berbères ou Bochimans (Bushmen), fut imposé de l’extérieur. 

Quoique les Batwa aient développé récemment une capacité d’organisation impressionnante, la plupart des peuples autochtones d’Afrique centrale n’ont aucune société civile et demeurent très vulnérables face à l’instabilité de la région. Les violations permanentes des droits de l’homme dans la République démocratique du Congo ont été rapportées par écrit par le Minority Rights Group (groupe de défense des droits des minorités). Le mouvement des autochtones pygmées continue à s’étendre et possède des organisations dans le Cameroun rural et à Libreville, au Gabon.

L’intensité de la discrimination en Afrique centrale est difficile à sonder. Dans certains pays le discours dominant distingue entre les « Pygmées » et les « citoyens », suggérant que les autochtones sont exclus de la citoyenneté. Au Cameroun on fait état de cas de quasi esclavage où les fermiers bantous exercent un « droit de cuissage » en déflorant les jeunes filles pygmées dont les parents vivent sur leurs terres.

Autochtones ou minoritaires

 Des commentateurs extérieurs ont prétendu que le concept de « peuples autochtones » ne pouvait pas s ‘appliquer aux Africains et aux Asiatiques.

Le défi le plus étonnant vint du groupe de travail des Nations Unies lui-même. L’un des experts mondiaux de la question des droits de l’homme autochtones, Miguel Alfonso Martinez, a publié une étude approfondie des traités, accords et conventions diverses, passés entre les états et les populations autochtones.

Il y marque une nette ligne de partage entre les expériences des Amériques, d’une part et celles des autres parties du monde, en Afrique, en Asie et dans le Pacifique d’autre part. Selon lui, les droits autochtones découlent des traités et accords conclus au moment de la conquête du Nouveau Monde par l’Europe.

Quoiqu’il ait été perçu comme une attaque directe contre l’assemblée des autochtones d’Afrique à l’O.N.U., le rapport Martinez a eu, en réalité, des effets positifs. D’abord, il a poussé l’assemblée à poser la question de l’exacte différence entre peuples autochtones et minorités en Afrique. Ensuite, il a obligé l’assemblée des autochtones du monde entier et ses dirigeants à décider si, finalement, les Africains longtemps marginalisés dans les forums de l’O.N.U participeraient, ou non, aux négociations. Certaines agences internationales pointèrent la position marginale des peuples autochtones d’Afrique et reconnurent dans les organisations internationales un biais en faveur des autochtones des pays plus développés économiquement comme les Etats Unis, les pays nordiques, l’Aotearoa, l’Australie, Hawai’i et même certains états latino-américains.

Il faut noter que Martinez ne disait pas qu’il n’y avait pas d’autochtones en Afrique.. Il se référait particulièrement aux San du Botswana. Si nous considérons que les « peuples autochtones »  sont ceux qui occupaient un territoire avant tous les autres et sont actuellement marginalisés, il en existe en plusieurs endroits d’Afrique.

L’étroite définition de Martinez s’applique aux San et à d’autres Africains mais, plus encore, les Africains, Asiatiques, les peuples du Pacifique et ceux de l’ex-Union soviétique ont contribué à élargir et à approfondir le sens du mot « autochtone » à l’O.N.U. Il n’a pas seulement une définition négative, c’est-à-dire désignant ceux qui ne sont pas colonisateurs ou Blancs. Il est une affirmation de différences culturelles, économiques, sociales par rapport à ceux qui contrôlent l’état.

L’identité autochtone est toujours liée à une occupation territoriale de longue date mais ce n’est pas sa définition exclusive. La question centrale concerne la discrimination systématique contre des peuples culturellement distincts qui conservent leurs valeurs et leurs économies traditionnelles, qui se définissent eux-mêmes en relation avec leur terre et leurs ressources naturelles, spécifiques de leur identité. C’est une définition substantiellement différente de celle de minorité qui peut s’appliquer à des immigrants, urbains, ou définis par des caractères qui ne tiennent pas au territoire ou à l’environnement.

Quand cette question de la définition fut devenue plus claire il parut plus évident que les droits sont associés à la survie des peuples autochtones. Tandis que les autochtones des pays développés basent leur action sur le principe de l’ auto-détermination, celle-ci n’est pas le point de départ en Afrique et en Asie. Les Africains ont répété dans les forums autochtones que, pour eux, il faut partir de la « reconnaissance ». Leur marginalisation est si grande qu’ils ne sont même pas nommés dans certains pays africains. L’auto-détermination est importante pour eux mais sa signification est différente de ce qui apparaît dans les conflits sur la façon de gouverner dans les pays occidentaux industrialisés. En Afrique, ce genre de conflit n’existe pas, ou presque pas.. L’auto-détermination concerne la capacité d’un peuple à influencer la politique de gestion des ressources naturelles, de l’environnement, les activités économiques (par exemple la chasse, l’élevage, la cueillette des plantes médicinales) et son droit de survivre, de ne pas être déplacé ou maltraité par le groupe dominant.

Les droits des autochtones sont aussi leurs droits de survivre et pas seulement d’être délivrés de la discrimination. Il n’est pas possible de parler de ces droits sans référence aux territoires et aux environnements où ils vivent. Bien que des militants puissent vivre à Rabat, Nairobi ou Kigali, la mise en œuvre de programmes positifs pour leur survie et la dignité de leur vie doit se réaliser dans les zones rurales et les zones désertiques, à propos de la gestion des forêts, du partenariat entre les peuples et les parcs nationaux, du captage des eaux , de la propriété intellectuelle sur les végétaux, sur les connaissances et ainsi de suite.

Une priorité juridique africaine

En 2002, à la demande du Dr. Pityana, commissaire sud africain, la Commission africaine a créé un groupe de travail pour étudier la situation des peuples autochtones. Malgré la protestation de quelques gouvernements africains qui étaient contre, les commissaires et les juristes ont considéré que le sujet devait être traité. La Commission accepta le principe de l’existence de peuples autochtones sur le continent africain, victimes de violations systématiques de leurs droits.

L’auto-détermination est un des principes fort de la Charte africaine. La résistance des démocraties occidentales, en particulier des Etats-Unis d’Amérique, du Royaume Uni, de la France et, dans une certaine mesure, du Canada concerne l’inclusion du concept d’ « auto-détermination »dans l’article 3 du projet de Déclaration. Il est frappant de remarquer qu’il ne constitue pas un problème pour les états africains. Bien que ceux-ci, depuis la fondation de l’Organisation de l’Unité africaine, s’en soient tenus au principe de l’intégrité territoriale, ils n’ont pas considéré que la revendication de l’auto-détermination des peuples fasse problème.

En réfléchissant à la raison pour laquelle l’Afrique s’accommode du principe des droits des « peuples autochtones » on constate que c’est hors d’Afrique et même hors d’Afrique du sud que l’on verra la mise en place de nouveaux droits économiques et sociaux au XXIème siècle.

Emergence de la société civile

La Décennie internationale des peuples autochtones décrétée par les Nations Unies eut comme conséquence importante la création et la prolifération de sociétés civiles autochtones tant au niveau de petites communautés rurales qu’à celui de vastes réseaux régionaux.

Comprendre l’économie politique des autochtones suppose de comprendre le chemin qu’ils parcourent, qui va de la complète auto-suffisance à l’appauvrissement chaotique puis à la ré-organisation et à la reconquête de la maîtrise de leur situation.

Il est frappant que les peuples autochtones, en Afrique, soient allés d’une grande autonomie à l’extrême vulnérabilité, sujets aux caprices de la discrimination et aux mauvais traitements de ceux qui contrôlent l’état et les institutions dominantes. Leurs structures rituelles et leurs institutions ont été mises en question par le colonialisme puis par les gouvernements de l’indépendance. Pour beaucoup d’entre eux la pression a été trop forte et leurs sociétés se sont effondrées, les faisant basculer dans la pauvreté et le désespoir, la perte de leur langue et de leur mémoire.

S’agissant des chasseurs –cueilleurs africains la difficulté, quand on parle de « droits autochtones  », est que leurs structures sociales n’engendrent pas naturellement une société civile organisée. En raison de leur marginalisation durant la décolonisation, ils n’ont pas participé, au moment crucial, à la formation des nouvelles structures qui ont conduit l’Afrique à la règle politique majoritaire.

Alors qu’autrefois les autochtones étaient respectés comme faiseurs de pluie et guérisseurs, après l’indépendance, la population ayant avancé dans ses connaissances spirituelles, les autochtones furent considérés comme anachroniques et vulnérables. Les médias s’en emparèrent pour les décrire comme des primitifs (innocents ou autres), vivant hors du temps, ne sachant pas s’engager dans la « modernité ». A l’intérieur des communautés une telle dichotomie n’existe pas, mais l’incapacité des états à reconnaître qu’elles mettent beaucoup plus l’accent sur le consensus et son établissement que sur le fait d’avoir des « représentants » dans un système de pouvoir organisé, provoque chez elles une grande frustration.

Les fonctionnaires gouvernementaux ont souvent des réactions de grande hostilité dues à leur mauvaise information et à leurs préconceptions. On considère que les chasseurs menacent la vie sauvage alors qu’ils en sont généralement protecteurs et détruisent rarement les arbres et les plantes indispensables à l’éco-système. On prétend que le nomadisme est contraire à l’économie et empêche l’état de remplir ses engagements en matière scolaire et sanitaire.. On se préoccupe peu de l’importance de la transhumance pour la protection de l’environnement et de l‘immense valeur éducative de la vie nomade.

Peu de gouvernements africains prennent en compte les besoins particuliers des autochtones pour élaborer leurs politiques économiques et foncières, l’éducation, définir les droits linguistiques et culturels, s’agissant des règles d’héritage et de transmission. La question ne concerne pas tellement « l’égalité des droits » des autochtones que la répartition du pouvoir politique. Le cadre des droits sera d’une utilité limitée si les gouvernements ne comprennent pas que les langues, les cultures, les savoirs autochtones sont en eux-mêmes des ressources puissantes pour un développement durable.

Une des plus importante expression de cette nouvelle philosophie est venue des Nations Unies à travers le Rapport sur la diversité culturelle de Perez de Cuellar qui a ouvert la voie à La Déclaration universelle sur la diversité culturelle de l’U.N.E.S.C.O. Cette déclaration lie les questions de diversité culturelle, de développement économique, du rôle de l’état dans la gestion de la diversité et de la valorisation du pluralisme et de la promotion de voix différentes dans les expressions médiatiques et la communication nationale et internationale. Ce cadre a été adopté à l’unanimité des états membres de la Conférence générale des Nations Unies. Il a été soutenu par de nombreux projets de moindre envergure comme la publication de Valeurs culturelles et spirituelles de la biodiversité du programme des Nations Unies pour l’environnement.

Lentement, le message parvient aux bureaux des Nations Unies en Afrique. Les agences de l’O.N.U. commencent à consulter les pasteurs et les chasseurs sur leur intérêt pour le développement durable et la conservation de leur riche héritage culturel, intellectuel et linguistique. La naissance d’une nouvelle société civile autochtone ouvre la voie à un échange tripartite entre les autochtones, les gouvernements et les agences de l’O.N.U. Pour les Africains, la création du Forum permanent de l’O.N.U. sur les questions autochtones est une occasion formidable d’accélérer le dialogue et de pousser les agences à mettre à jour leurs programmes locaux afin de refléter les changements des approches globales du développement économique durable et de la diversité culturelle.

Ce n’est pas pure coïncidence que les forums des Nations Unies les plus marqués pour l’adoption de nouvelles déclarations politiques sur les peuples autochtones aient eu lieu en Afrique : le Congrès mondial contre le racisme, la xénophobie et toutes formes de discrimination (Durban, 2000) et le Sommet mondial sur le développement durable (Johannesburg 2002).

Comité de Coordination des Peuples Autochtones d’Afrique (en anglais IPACC, Indigenous Peoples of Africa Co-ordinating Committee).

 Au cours de la décennie des Nations Unies plusieurs peuples africains ont trouvé le chemin des forums à Genève. La plupart n’avaient jamais quitté le continent, certains n’avaient jamais pris l’avion, de plus en plus d’autochtones vinrent de communautés lointaines pour voir comment les instances de l’O.N.U. pouvaient apporter des réponses aux questions posées chez eux.

Le premier défi fut celui de la langue. L’Afrique est divisée entre ex-colonisés par la France et par la Grande-Bretagne qui utilisent le français ou l’anglais comme moyen de communication, et des lusophones, des hispanophones et des arabophones dans le nord. Il n’est pas étonnant que les premiers autochtones à se rendre à l’O.N.U. furent les mieux pourvus : les Imazighen d’Afrique du nord et les Masai du Kenya. Ce qui démarra comme une assemblée régionale devint un groupe plus structuré et plus cohérent qui se constitua en Comité africain de coordination pour les peuples autochtones en 1997.

La première fonction du Comité fut de trouver des dirigeants autochtones pour se rendre à l’O.N.U. et dans d’autres forums internationaux. De plus en plus il se préoccupe de la formation des porte-parole dans chaque région. Comme le Comité n’est pas la propriété d’un quelconque groupe ethnique, il a reçu mandat de l’assemblée générale de soutenir activement les groupes marginalisés et de veiller au caractère multi-ethnique et équilibré selon le sexe, de ses structures et de ses programmes.

 

Conclusion

 La décennie des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones du monde n’a sans doute pas réussi à créer pour eux des normes reconnues ; elle a échoué à faire avancer les Etats Unie et le Royaume uni vers une nouvelle approche du problème mais elle a, en vérité, changé la vie de nombreux peuples d’Afrique. Elle a ouvert un nouvel espace et une nouvelle prise de conscience et, surtout, a créé de nouvelles structures.

A la fin de la décennie, en 2004, les militants batwa et bambuti travaillent sur le génocide perpétré par les forces rebelles dans l’est de la République démocratique du Congo ; on continue à y violer les femmes et à tuer des familles pygmées. La différence avec ce qu’il s’est passé il y a dix ans, c’est que cela ne se fait plus dans le silence et l’ombre. Les peuples autochtones portent eux-mêmes le message au cœur des Nations Unies.

En septembre 2004 des !Xun, Khwe, +Khomani, Naama, Griqua et des dirigeants religieux Khoisan se rencontrèrent dans le petit village de pêcheurs de Port Nolloth, au Namaqualand, à 100 km. au sud de la frontière de Namibie. Ils y passèrent une semaine avec le Haut Commissariat des droits de l’homme et le Comité africain pour s’informer sur la façon dont le système international peut soutenir leur lutte pour la dignité et la survie. Dix ans auparavant il n’existait qu’un petit nombre d’organisations culturelles griqua.. A la fin de la décennie, les représentants légitimes des premiers peuples d’Afrique étaient capables d’écrire leurs propres lettres au Président Mbeki, à l’O.N.U. à l’O.I.T. et à la Commission des droits de l’homme d’Afrique du sud pour réclamer un projet politique et des actions réelles pour en finir avec la pauvreté et la marginalisation. La décennie a été un bon départ.