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PROCESSUS INTERNATIONAUX L'UNION EUROPEENNE L'APPROCHE COMMUNAUTAIRE - LA CONSULTATION ET LA PARTICIPATION SOUS-TENDENT LA POLITIQUE DE LA COMMISSION EUROPEENNE Source : Brigitte Fiering et Sylvie Prouveur Le courrier de l'UE n°173 janvier février 1999 |
Ayant directement participé à l'élaboration de la politique communautaire et de programmes d'assistance en faveur des Peuples Autochtones, les auteurs de cet article vont au-deà de la description des instruments et propositions de la CE pour montrer la volonté de la Commission d'impliquer des experts indigènes dans ce processus, et mettent en évidence les grandes préoccupations apparues dans ce contexte.
Les Peuples Autochtones bénéficient d'une attention accrue à l'heure où les donateurs prennent conscience du rôle déterminant qu'ils jouent dans la réalisation des grands objectifs de la coopération européenne au développement que sont la réduction de la pauvreté, le développement durable et le respect des droits de l'homme.
Le Traité de Maastricht définit en son Article 130 U les quatre priorités de la coopération: un dé veloppement économique et social durable des pays en développement, leur insertion harmonieuse et progressive dans l'économie mondiale, la lutte contre la pauvreté et la consolidation des droits de l'homme, de la démocratie et de l'Etat de droit. La reconnaissance de la vulné rabilité des peuples autochtones dans le processus de développement, et leur rôle dans la conservation de la diversité bilogique sont étroitement liés.
Plusieurs autres instruments touchent à ce domaine:
Les objectifs de la Commission
L'action proposée par la Commission européenne a pour objectif capacité à gérer leur propre dé veloppement social, économique et culturel.
Elle a pour but plus spécifique d'améliorer l'impact de la politique européenne de développement sur les peuples autochtones en veillant à faire de leurs attentes une préoccupation constante du processus d'autonomisation et de la coopération au développement. L'expérience montre en effet qu'une coopération qui néglige la situation particulière des peuples autochtones risque d'avoir une incidence négative se traduisant, par exemple, par une réinstallation forcée, par la disparition de langues vernaculaires ou par des violences ethniques.
Il n'est guère aisé pour les organismes de développement de travailler avec les populations autochtones car ils se heurtent à deux considérations apparemment contradictoires.
D'une part, ces populations sont pauvres et marginalisées, et leurs droits fondamentaux sont bafoués. D'autre part, elles affirment leur identité distincte et rejettent toute tentative visant à une insertion forcée dans le reste de la société. Le défi consiste donc à intégrer les peuples autochtones dans le processus de développement tout en respectant leurs visions et leurs priorités propres en la matière - une approche qui exige le respect fondamental de la diversité culturelle et la reconnaissance de la diversité même du concept de développement.
La méthodologie de mise en oeuvre
Un souci des peuples autochtones dans tous les aspects de la coopération européenne au développement est une approche qui demande à la fois du temps et des moyens dans la mesure où ce processus réclame, par exemple, la mise au point d'outils inte grés tels que des procédures pour l'évaluation de l'impact social.
La politique proposée recommande que des mesures soient prises au niveau national dans les domaines suivants:
- un renforcement des capacités des réseaux des peuples autochtones;
- l'intégration de la problématique des peuples autochtones dans le dialogue politique avec les pays partenaires. Ce dialogue devrait en effet porter sur la reconnaissance de ces populations et veiller aÁ répercuter leurs droits et leurs besoins au niveau de la législation et des institutions nationales;
- une meilleure protection des connaissances des peuples autochtones par l'instauration de droits de propriété intellectuelle et leur autonomisation en termes de gestion de leurs ressources génétiques;
- leur participation accrue aux né gociations relatives à l'environnement, en particulier lors de l'élaboration de stratégies nationales pour la protection de la biodiversité ;
- la prise en compte des peuples autochtones lors de l'évaluation des projets de développement.
En ce qui concerne les projets, un consensus général s'est forgé quant aux composantes indispensables à l'intégration des besoins des peuples autochtones:
- la consultation préalable de ces populations;
- leur participation active à tous les stades du cycle du projet;
- des moyens de communication culturellement adéquats;
- une acceptation dûment informée des activités envisagées;
- l'adaptation des activités aux notions indigènes de temps et de prise de décision.
La plupart des préoccupations concernant l'impact sur les populations autochtones ont été suscitées par des projets de développement spécifiques dont la portée est souvent limitée, et il convient, de toute évidence, d'accorder davantage d'importance au niveau «macro » dont les principaux instruments sont le dialogue politique avec les pays partenaires, les relations commerciales, les programmes d'ajustement structurel et les programmes sectoriels. Il s'avère donc impératif de se pencher sur l'incidence des interventions macroéconomiques sur les peuples autochtones, sur les moyens d'assurer leur participation à ces actions, et sur l'intégration de leurs exigences dans les programmes sectoriels.
Les actions déjà menées par la Commission La Commission soutient d'ores et déjà les peuples autochtones au travers d'un large éventail de programmes. Certains d'entre eux, en Amérique latine notamment, comportent un volet «indigène» spécifique tandis que d'autres touchent ou aident plus indirectement ces populations, sans tenir nécessairement compte de leur situation particulière. On peut citer dans ce contexte les instruments suivants:
- la ligne budgétaire consacrée aux actions en faveur des forêts tropicales (B7-6201), qui finance une large gamme de projets visant à la démarcation des territoires des peuples autochtones, à la conservation et la gestion des ressources par les collectivités locales, et au renforcement de leurs capacités;
-la ligne budgétaire consacrée à la coopération financière et technique avec l'Amérique latine (B7-310), qui soutient plusieurs projets nationaux et régionaux destinés à l'autonomisation des peuples autochtones ainsi qu'à la consolidation de leurs structures et de leurs organisations;
- la ligne budgétaire consacrée à l'environnement global (B7-8110), qui finance notamment des projets visant à promouvoir les droits des peuples autochtones en ce qui concerne leurs territoires, leurs pratiques traditionnelles de gestion forestière et l'insertion de ces aspects dans les Programmes nationaux de développement;
- la ligne budgétaire consacrée aux droits de l'homme et à la démocratie dans les pays en développement (B7- 7020), qui cite spécifiquement les peuples autochtones et qui finance des projets visant au renforcement de leurs capacités;
- la ligne budgétaire relative aux mesures de protection de l'environnement dans les pays en développement (B7-6200), qui soutient des actions pilotes innovatrices impliquant, dans certains cas les populations autochtones;
- il existe, enfin, toute une série de projets impliquant les populations indigènes qui sont financés au titre de la ligne budgétaire consacrée au cofinancement avec des ONG européennes (B7-6000).
Le processus d'élaboration de la politique communautaire
La Commission sait que la participation des peuples autochtones à l'élaboration de sa politique est désormais indispensable. Elle a donc résolu de les inviter à une concertation libre et ouverte qui s'est déroulée en deux temps, à savoir la diffusion d'un projet de document stratégique avec appel de commentaires, suivie d'un atelier avec des experts indigènes organisé à Bruxelles en mars 1998. Des ré seaux locaux d'organisations et de collectivités indigènes ont aidé la Commission au moment des débats et cette collaboration a permis d'enrichir le document stratégique de nombreux apports constructifs.
Un troisième aspect essentiel, parallèlement à la reconnaissance de leur vulnérabilité et leur rôle dans la conservation de la biodiversité, a été mis en évidence par les peuples autochtones eux-mêmes, et intégré au texte: il s'agit de la contribution inestimable et indispensable que représentent leurs cultures et identités pour la réalisation d'un développement durable.
L'atelier de Bruxelles sur les peuples autochtones et la coopération au développement a marqué une étape décisive dans le processus délaboration de la politique communautaire. Il était co-organisé , aux côtés de la Commission, par le Conseil Sami et la Conférence circumpolaire inuit, deux ONG indigènes dont les efforts ont permis de réunir une trentaine d'experts venus de différents pays en développement.
C'est la première fois que la Commission invitait des représentants de peuples autochtones à des discussions et échanges de vues en face à face, et l'expérience s'est avérée extrêmement concluante en tant que processus d'apprentissage s'appuyant sur une interaction directe.
Toute une série de points et de questions ont été soulevés, de manière aussi ouverte que conviviale, par les participants indigènes au cours de ces deux journées de travail commun. La plupart d'entre eux se sont inquiétés de problèmes de cohérence, que l'on pourrait résumer comme suit:
- la cohérence entre les divers instruments de coopération: l'exemple-type serait le soutien apporté à une communauté autochtone au titre d'une rubrique budgétaire donnée, d'une part, et, de l'autre, le financement au titre d'une autre rubrique d'une route susceptible de causer un préjudice à son territoire;
- la cohérence plus générale entre les politiques européennes et la coopération au développement: ainsi par exemple, des engagements sont pris dans le cadre d'accords bilatéraux de respecter la situation des peuples autochtones tandis qu'un soutien reste acquis aux multinationales dont les activités risquent de détruire les territoires de ces mêmes populations. Il a été suggéré d'accorder une attention particulière aux problèmes qui se posent «lorsque des multinationales obtiennent des brevets sur des connaissances et innovations indigènes». L'accent a été mis sur la demande croissante du monde industrialisé vis-à -vis des immenses ressources dont les territoires autochtones sont dotés; - la cohérence avec d'autres politiques (dans le domaine des relations commerciales, par exemple).
Les experts indigènes présents à la réunion ont également mis en évidence d'autres aspects de la politique macroéconomique et du processus de mondialisation qui revêtent pour eux une importance particulière. L'un d'eux a d'ailleurs fait une réflexion assez sarcastique à propos du document présenté lors de l'atelier: «Y fait-on la moindre mention des multinationales européennes qui exercent leurs activités sur nos territoires et bouleversent nos vies?», a-t-il demandé pour la forme en ajoutant que des entreprises avaient approché la CE pour faire approuver leurs codes de conduite alors «que ces mêmes entreprises déplacent mon peuple par des accords conclus avec le gouvernement, qu'elles déversent leurs déchets dans nos cours d'eau et qu'elles détruisent la forêt ombrophile».
Un Parlementaire européen, Richard Howitt (PSE-UK), a fait écho à ces préoccupations lors de son intervention dans le cadre du Groupe de travail des Nations Unies sur les peuples autochtones, réuni à Geneève en juillet dernier. «Nous devons tout d'abord admettre que l'UE doit se montrer plus responsable des activités de ses entreprises dans des pays tiers; qu'il y a davantage de multinationales qui ont leur siège en Europe qu'en Amérique du Nord ou au Japon; et que 80% des exportations de bois d'Afrique centrale sont destinés au marché européen, ce qui a des répercussions dramatiques sur les populations autochtones de ces pays. Face à cette situation, nous ne pouvons - et ne voulons - pas renier nos responsabilités».
Un participant indigène a évoqué, au cours de la même réunion, les effets de la mondialisation en laissant entendre que les entités politiques cédaient la place à des entités économiques, que les activités des multinationales n'étaient pas suffisamment suivies et que l'usage du pouvoir économique manquait de moralité et d'éthique. «Ce passage du pouvoir politique au pouvoir économique place les peuples autochtones dans une situation extrêmement difficile, car de nombreux gouvernements recherchent davantage le développement économique que le progrès social. La colonisation impliquait l'exploitation par des puissances étrangères. La mondialisation implique l'exploitation par les puissances économiques », a-t-il déclaré . Cette évolution va, selon lui, engendrer du chômage au sein de populations privées de leurs terres et de leurs ressources, ainsi qu'une discrimination à l'encontre des femmes et des jeunes.
«Nous devons, en ces circonstances, veiller à la défense de nos droits fondamentaux», dit-il.
Un autre expert indigène a affirmé que les organismes de développement devraient veiller à éviter les répercussions né gatives au niveau local. En proposant certains projets et aides non remboursables, «ils ont créé des scissions au sein des communautés et détruit leur spiritualité. Nous souffrons de voir à quel point l'argent peut diviser nos leaders et leur nuire». Il a même ajouté que le processus avait «mis en place des leaders artificiels qui n'ont plus les pieds sur terre».
L'étape suivante
A l'heure où nous écrivons ces lignes, le Conseil des ministres de la CE se prépare à adopter une résolution sur la question des peuples autochtones et de la coopération au développement. Ce texte devrait guider la Commission dans ses démarches futures, lesquelles resteront axé es sur la mise en úuvre de la politique existante. Nous tenons à remercier les peuples autochtones de leur participation au processus de concertation de la CE, de l'ouverture et de l'atmosphère extrêmement amicale des débats, et de leur contribution positive à l'élaboration de la politique communautaire.
Nos remerciements particuliers vont aux participants à l'atelier, et tout spécialement au délégué de Fidji qui a été des nôtres bien que l'invitation ait été adressée à Monsieur Bula Vinaka - ce qui signifie «bonjour» en fidjien! Il nous reste à espérer que les occasions d'interactions directes vont se multiplier au fur et à mesure de l'évolution du processus.
Brigitte Fiering : ancienne experte nationale auprès de la DGVIII, chargée du processus d'élaboration du document de la Commission sur les Peuples Autochtones
Sylvie Prouveur : fonctionnaire à la DGVIII /A /5, Commission Européenne
Contacts au sein de la Commission à Bruxelles
Politique vis-à -vis des populations autochtones Unité VIII/A/2 Sean Conlin
Tél: (32.2) 296.51.59
E-mail: [email protected]
Projets en faveur des droits de l'homme Unité VIII/A/5
Sylvie Prouveur
Tél: (32.2) 299.30.34
E-mail: [email protected]
Coordination internationale des droits de l'homme Unité IA/A/2
Marie-FrancËoise Santarelli
Tél: (32.2) 295.68.03
Documents concernant les populations autochtones Unité VIII/A/2
Anja Mattson
Tél: (32.2) 295.79.27.