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Février 2016 Le GITPA signale la publication du livre LA PRÉSENCE INDIENNE AUX ÉTATS - UNIS
Entretien du GITPA(Patrick Kulesza) avec les auteurs Nelcya Delanoë et Joëlle Rostkowski, Q1 - À travers cette Anthologie, qui retrace cinq siècles d’histoire, se dessine l’évolution de la politique fédérale à l’égard des Indiens. Est-il possible de dresser un « palmarès » de l’action des Présidents américains à leur égard ? Avec cette anthologie, nous avons voulu intégrer l’histoire des Indiens à celle des États-Unis, en donnant un accès facile et direct à nombre de documents primaires, cités en anglais, que nous replaçons en français dans une perspective historique. Cette démarche nous a conduit à analyser les différentes phases et courants de la politique fédérale à l’égard des Indiens, à définir leur statut, à retracer l’histoire de la Conquête et de leur résistance. Il est bien difficile de dresser un « palmarès » de l’action des Présidents américains à l’issue d’un tel travail mais leurs profils - et surtout l’action menée à l’égard des Indiens pendant les différents mandats présidentiels - se dessinent assez clairement à travers les textes que nous analysons. En 2012, lors du Presidents’ Day, un article est paru, intitulé : We Highlight The Best Presidents for Indian Country (1) dans l’un des journaux indiens les plus connus- Indian Country Today- dont le large lectorat atteste du dynamisme de la presse autochtone qui s’est développée au cours des cinquante dernières années. Cet article distingue le Président Franklin Roosevelt qui, avec son Commissaire aux Affaires indiennes, John Collier, surnommé « celui qui aimait les Indiens » (Indian Lover), a opéré un véritable retournement de la politique fédérale. En effet John Collier a affirmé qu’il fallait préserver leurs terres, leurs cultures et leurs valeurs. Certes l’Indian Reorganization Act (IRA) qui a conduit à la mise en place au sein des communautés indiennes d’un système de gouvernements électifs sur le modèle étatsunien, a été fortement contesté dans les décennies qui ont suivi. Cette contestation émanait des traditionalistes, notamment de nombreuses délégations venues à l’ONU, à Genève, dès la fin des années 1970, pour dénoncer ces gouvernements tribaux élus comme des « gouvernements fantoches » et réclamer le retour aux systèmes traditionnels de gouvernements par consensus. C’est au cours des années 1930, pendant l’Administration Roosevelt que, pour la première fois, on a pris à contre-pied le thème du « Vanishing American », ressassé tout au long du dix-neuvième siècle (comme le montrent nos chapitres III, IV et V). L’opinion selon laquelle les Indiens étaient appelés à disparaître a en effet prévalu jusqu’au début du vingtième siècle. Rappelons qu’à la fin du dix-neuvième siècle il n’y avait plus que quelque 250.000 Indiens recensés aux États-Unis. Pour le vingtième siècle, cet article d’Indian Country Today rend aussi hommage à Richard Nixon qui - en dépit de sa très mauvaise réputation à d’autres égards- a mis fermement un terme à la « Termination Policy »(2) des années 1950 et encouragé l’auto-détermination. Au cours de son mandat ont été restituées des terres sacrées comme le Blue Lake des Indiens Taos du Nouveau-Mexique. En tête du « palmarès présidentiel » dressé par ce journal indien se situent aussi en bonne place Bill Clinton et Barack Obama. Il y est rappelé que Bill Clinton a nommé beaucoup d’Amérindiens à des postes importants, a initié des rencontres régulières avec leurs leaders et réaffirmé la relation de « gouvernement à gouvernement » à l’égard des nations indiennes. Pour les deux mandats de Barack Obama, il y a beaucoup à dire. C’est une question que nous traitons amplement dans notre livre au Chapitre IX. Nous y reviendrons dans cet entretien. En fait, nous essayons de démontrer dans notre ouvrage que l’évolution de la condition indienne aux États-Unis s’est faite au fil des gouvernements successifs, mais aussi sous l’impulsion même des Premiers américains, en raison de la constance de leur résistance, militaire puis politique. À l’issue des guerres indiennes et après le massacre de Wounded Knee, en 1890, qui a marqué la fin de leur résistance armée, ils sont demeurés très réactifs et ont su déployer, individuellement et collectivement, une extraordinaire résilience, en utilisant les divers rouages du système politique américain pour affirmer leur présence. C’est la pérennité de leur présence et le défi à l’oubli que constitue leur affirmation identitaire actuelle que nous mettons en lumière. Tout au long de cet ouvrage nous leur donnons la parole, à travers leurs discours - y compris les plus anciens, dont les présidents américains saluaient l’éloquence - leurs écrits et leurs journaux. Et, allant au delà du politique, nous évoquons le rôle de leurs artistes, leurs écrivains, leurs musées. Pour ponctuer les chapitres, nous accordons aussi une large place à la poésie, qui est dans la droite ligne de la tradition orale. La résilience indienne s’exprime en effet fortement dans le domaine culturel, littéraire et artistique. C’est aussi pourquoi nous avons choisi de mettre en couverture l’œuvre d’un artiste amérindien contemporain, le Chippewa David Bradley. Pour en revenir aux Présidents il faut ajouter que c’est au cours de l’Administration Kennedy qu’à la faveur du mouvement de défense des droits civiques les Indiens ont commencé à se faire entendre dans le cadre du « Red Power ». Le Red Power est largement analysé dans cette Anthologie, où nous citons notamment l’écrivain et polémiste Vine Deloria, l’un de ses maîtres à penser. Ce mouvement s’est forgé dans le sillage du « Black Power » tout en faisant entendre la spécificité des « Premiers Américains » qui se considèrent comme des « Américains absolus ». Le Président Johnson, face à la montée de la contestation indienne, les a surnommés les « Américains oubliés » l’année même ou se constituait l’American Indian Movement (AIM), un an avant l’occupation d’Alcatraz, en 1969, dans la baie de San Francisco, par un groupe de jeunes militants qui comparaient cette ancienne prison à une réserve indienne : sans ressources, isolée et dépourvue des commodités modernes. C’était le début des actions spectaculaires entreprises par tous les acteurs du Red Power au cours des années 1970 et 1980 et des démarches entreprises auprès de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies à Genève, qui ont abouti à la Déclaration sur les droits des peuples autochtones. En ce qui concerne les deux mandats d’Obama, certains lui reprochent aujourd’hui de ne pas en avoir fait assez. Toutefois, alors que se profile la fin de son deuxième mandat, nous en avons esquissé dans le livre un bilan provisoire, tout en rappelant que les pouvoirs pléniers du Congrès permettent de remettre en cause les acquis de chaque administration à l’égard des Indiens. Q2 - Comment pourriez-vous résumer le bilan des deux mandats d’Obama ? Obama a fait preuve de beaucoup de bonnes intentions à l’égard des Indiens. Se considérant lui-même comme un « outsider » dans la société américaine, il a exprimé une grande empathie envers eux. Le Président en exercice s’est rendu deux fois en terre indienne. Il était le premier à le faire depuis la visite de Bill Clinton dans la réserve de Pine Ridge, dans le Dakota du Sud, en 1999. Avant Bill Clinton, il faut remonter au Président Harding qui s’est rendu en Alaska en 1923 et au Président Coolidge, qui s’était rendu dans cette même réserve de Pine Ridge en 1927. Le Président Franklin Roosevelt avait fait une visite aux Cherokee de Caroline du Nord en 1936.
En 2008, lors de la campagne présidentielle, Barack Obama s’est rendu dans le Montana, où il a été adopté par les Indiens Crow et au sein de la famille de Black Eagle. En 2014 il est allé dans la réserve sioux de Standing Rock, visite symbolique mais au cours de laquelle il a réaffirmé la relation « de nation à nation » à l’égard des communautés indiennes. Il a pris position en faveur de la protection des femmes contre la violence et réitéré ses deux objectifs prioritaires à l’égard des Indiens : la santé (le Health Care Program est applicable à de nombreux Indiens) et l’éducation. Michelle Obama s’est jointe aux efforts déployés par son mari en promouvant son programme « Let’s Move in Indian Country », contre l’obésité, une meilleure nutrition et le développement des activités sportives. Aujourd’hui deux tiers des Indiens vivent dans les villes, même s’ils restent en contact avec leurs parents qui demeurent dans les réserves. Le chômage atteignant des pourcentages alarmants dans la plupart des réserves, l’urbanisation s’accélère. Mais la préservation des terres indiennes demeure une priorité. Certaines terres ancestrales ont pu être récupérées ou rachetées au cours de ces dernières années. En tout cas, la visite de réserves indiennes a incontestablement été déterminante dans la prise de conscience du Président Obama en faveur des Indiens. Quelques mois après mois sa visite à Standing Rock, le Président, frappé par les problèmes endémiques de la jeunesse indienne (faible accès à l’éducation supérieure, ressources insuffisantes des collèges tribaux, important taux d’abandon en cours d’études, chômage, problèmes d’alcoolisme et addictions diverses, suicide) a créé Generation Indigenous (Gen-I) et organisé le premier rassemblement de la jeunesse à la Maison Blanche (White House Youth Gathering). Ce rassemblement des jeunes à la Maison Blanche s’est intégré au programme de réunions annuelles de consultation des leaders indiens (White House Tribal Nations Conference), mené depuis le début de sa Présidence, au cours desquels les leaders indiens peuvent se faire entendre et rencontrer des membres de l’Administration. Ces réunions ont notamment pour objectif la consultation, la concertation et l’établissement de partenariats avec les nations indiennes. Obama a créé le White House Council on Native American Affairs pour faire en sorte que ces partenariats soient concrètement mis en œuvre à tous les niveaux du gouvernement fédéral.
En ce qui concerne les jeunes, la Maison Blanche a annoncé en 2015 un accroissement - certes limité mais notable - de l’aide accordée aux collèges tribaux (supplément de $995,000 attribué à 20 collèges et 1.45 million de dollars pour la création de nouvelles unités). De même il a pris des dispositions pour que soit organisé un deuxième sommet relatif à la revitalisation des langues indiennes. Sur le plan de l’environnement le Président a opposé son véto à la prolongation de l’oléoduc Keystone XL Pipe Line qui devait traverser les terres indiennes en reliant l’Alberta au Texas. Sur la scène internationale, on sait que les États-Unis ont été le dernier pays à adopter la Déclaration sur les droits des peuples autochtones, en décembre 2010. Le Président Obama s’est associé aux aspirations formulées dans ce document, tout en précisant, comme l’avait fait le Canada, qu’il s’agissait d’un document non contraignant (aspirational document). Il a annoncé des consultations et des initiatives pour assurer sa mise en œuvre au niveau national. Les dispositions de la Déclaration sont un cadre juridique précieux qui est une référence pour les juristes travaillant sur la défense des droits des Indiens. Pour ce qui est de la défense des sites sacrés, des conflits demeurent nombreux en raison des intérêts en cause. Plusieurs articles de la Déclaration concernent ces questions (Articles 11, 12, 25 en particulier). Un décret de 1996 (Administration Clinton) prévoyait déjà le droit de libre accès aux sites sacrés mais les zones de conflit (en raison notamment de la complexité du droit des Etats-membres face au droit fédéral) sont nombreuses. De même le principe du consentement préalable pour les projets de développement est souvent invoqué, même s’il n’est pas toujours respecté. Concernant les autres mesures prises par l’Administration Obama ou les autres importants règlements de conflits en cours intervenus pendant ses mandats, on peut citer deux points forts que nous analysons dans le livre : Q 3 - Alors que commencent les primaires aux États-Unis, que savons - nous des prises de position des différents candidats et des intentions de vote des Amérindiens ? Il est encore trop tôt pour le dire. Hillary Clinton a pris des positions assez favorables aux minorités, d’une façon générale, et elle a nommé au niveau local des personnes-relais pour sa campagne dans ce domaine. Mais sa position demeure ambiguë sur l’oléoduc Keystone XL. Bernie Sanders, quant à lui, a adopté une position affirmée en faveur de la défense des intérêts des Amérindiens. Il se place dans le sillage des mesures prises au cours de l’administration Obama, dont il dit admirer la politique indienne. Il déclare être fermement opposé à la prolongation de l’oléoduc. Du côté républicain, on est habituellement favorable à la diminution de l’aide fédérale en faveur des Indiens. Ces réductions de l’aide fédérale sont souvent habilement justifiées dans les discours politiques en invoquant la défense de la souveraineté indienne. On en saura plus lors des primaires dans des États de l’Ouest où le vote indien est plus significatif (Montana, Nevada, Nouveau Mexique, Arizona), qui suscitent d’ordinaire de la part des candidats des prises de position plus nettes concernant les Premiers Américains. Le vote indien se porte habituellement en majorité vers les Démocrates mais il y a aussi des Indiens qui se déclarent résolument Républicains, notamment dans les États riches en pétrole comme l’Alaska ou l’Oklahoma. (1) Rob Capriccioso, This Presidents ’Day, We Highlight the Best Presidents for Indian Country, Indian Country Today, 2/20/12.
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