Janvier 2018
Le Président D.Trump s'attaque à deux Monuments nationaux américains
Cinq tribus concernées et les écologistes ont décidé de s’allier pour former des groupes de pression à Washington.
Les États-Unis comptent 129 «Monuments nationaux »répartis dans 31 États. On les confond souvent avec les « Parcs nationaux », mais leur statut est différent. Si une loi votée par le Congrès est nécessaire pour créer un Parc national, il faut une décision du président des États-Unis pour créer un Monument national, en vertu de l’American Antiquities Act, la loi sur les antiquités américaines de 1906, signée par Théodore Roosevelt. La loi garantit une protection des valeurs intrinsèques des régions désignées, comme la beauté de la nature, la protection des espèces menacées et le patrimoine culturel et spirituel des tribus locales.
Or Donald Trump a promulgué un décret exprimant sa volonté de reconsidérer des décisions présidentielles antérieures.
Dès le mois d’avril 2017, il avait promis de "mettre fin à l’exercice outrancier du pouvoir du gouvernement et de réétudier le sort des monuments nationaux créés depuis 1990".
Il est question actuellement de deux monuments nationaux de l’Utah : le Grand Staircase-Escalante et Bears Ears.

Le Grand Staircase-Escalante National Monument couvre une superficie de plus de 7 600 km2, une zone presque vierge au sud de l’Utah, composée de trois sections : les canyons creusés par la rivière Escalante et ses affluents à l’Est, le plateau de Kaiparowit au centre, et une partie du Grand Staircase, constituée d’immenses plateaux qui « descendent » en escaliers (1 700 mètres de différence entre le fond du Grand Canyon et la crête de Bryce Canyon. La région, du sud de l’Utah à la limite de l’Arizona, est aussi connue pour ses nombreux fossiles de dinosaures et ses empreintes de pas de grands dinosaures. C’est un véritable livre de géologie à ciel ouvert, qui couvre quelque 200 millions d’années d’histoire de la terre. Au mois de septembre 1996, le président Bill Clinton usa de la loi sur les Antiquités pour créer le Monument national du Grand Staircase-Escalante.

Quant au Bears Ears National Monument , ses buttes jumelles se dressent au-dessus d’un vaste paysage désertique de 817 km2, vierge de toute présence humaine. Nous sommes au sud-est de l’Utah, sur le plateau du Colorado, où se succèdent falaises, mesas, buttes et canyons de grès rouge ou jaune. La virginité de ce paysage surnaturel est une illusion : il a fait l’objet d’une véritable guerre.
Une coalition de groupes de défense sans but lucratif a lutté pendant des années pour obtenir du gouvernement qu’il crée le Bears Ears National Monument. C’est le président Barack Obama qui en a pris la décision en décembre 2016, bien qu’il eût contre lui un ensemble de forces conservatrices, surtout des habitants, pour qui cela équivalait à une confiscation de terres. Le cœur du monument national est Cedar Mesa, un plateau entrecoupé de canyons, difficile d’accès, ce qui n’avait pas empêché les Mormons de venir s’y installer. Ce n’était pas les premiers occupants : les canyons recèlent des trésors d’art pariétal, de ruines et d’artefacts abandonnés par les « Anasazi », les habitants des falaises ; on y trouve paniers tressés, poteries décorées, outils, armes, ornements, de véritables œuvres d’art.
Dès leur découverte, des pillards de sont empressés de recueillir ces trésors et de les expédier par wagons entiers vers les villes de la côte Est ou vers l’Europe. Les panneaux d’art pariétal ont été vandalisés, les sépultures profanées. Il était grand temps de protéger ces sites.
Pourtant, le lundi 4 décembre 2017, Donald Trump, lors d'un déplacement à Salt Lake city, a annoncé la réduction des surfaces de Grand Staircase-Escalante de 45%, et de Bears Ears de 85 % .

Les régions concernées abritent plus de 100 000 sites archéologiques, y compris des oeuvres de l’art rupestre d’au moins 5 000 ans et des restes de 21 espèces de dinosaures jusqu’alors inconnues.
L’organisation « Friends of the Earth » (amis de la Terre) accuse Trump et ses alliés de piller un riche patrimoine et de profaner des lieux qui sont sacrés pour les Indiens.
Trump a justifié sa décision en expliquant qu’il s’agissait de restituer aux zones avoisinantes des terres détenues par le gouvernement et de supprimer la mainmise de Washington. En tout état de cause, cette initiative permettrait d’ouvrir la porte à l’exploration d’énergies fossiles ou à d’autres projets commerciaux. Ce serait un triomphe pour les industries productrices d’énergie fossile, les éleveurs et les Républicains. Elle soulève également des interrogations sur l’avenir d’autres zones de conservation du patrimoine, les « monuments nationaux » du Nevada, de Californie et de l’Oregon.
Cinq tribus concernées et les écologistes ont décidé de s’allier pour former des groupes de pression à Washington.
Quelles seront les conséquences si les décrets du président Trump entrent en vigueur ? Nul ne peut le dire, puisque le cas ne s’est jamais produit. Néanmoins, encouragés par les décrets de Trump, les mineurs d’uranium font pression pour développer leurs activités. Une reprise de la production intérieure ferait des États-Unis un acteur de premier plan sur le marché mondial et favoriserait l’indépendance énergétique nationale. Energy Fuel, producteur d’uranium canadien, est particulièrement intéressé et a fait pression pour la réduction de Bears Ears. Son argument, entre autres : « La création inappropriée d’un monument est un obstacle à l’obtention de l’indépendance énergétique. »
Ambitions renouvellées pour l'exploitation de l'uranium dans le Grand Canyon
À une dizaine de kilomètres de la rive Sud du Grand Canyon, les ambitions renouvelées de l’industrie de l’uranium s’étalent au grand jour. L’exploitation de gisements prometteurs rencontre déjà des problèmes. Dès les premiers forages, le principal puits de mine a été inondé. Les ouvriers pompent les eaux de ruissellement, déjà contaminées, pour les diriger dans des bassins à ciel ouvert, où des pulvérisateurs industriels sont utilisés pour accélérer l’évaporation. La National Miners Association conteste le moratoire sur l’exploitation des gisements dans le Grand Canyon. Des associations font pression sur l’Agence de protection de l’Environnement pour qu’elle rejette une proposition d’Obama qui visait à renforcer la protection de la nappe phréatique dans les mines d’uranium. Au contraire, elles préconisent une récupération in-situ, qui consiste à injecter une solution dans les eaux souterraines contenant de l’uranium et à les amener à la surface pour traitement, une méthode très dangereuse pour l’environnement et condamnée par les écologistes. Les villes, les comtés et les tribus ne renoncent pas à la lutte. Parmi les tribus, les Navajo se sentent particulièrement concernés, puisqu’ils subissent encore les effets de l’extraction d’uranium dans la réserve durant toute la période de la guerre froide, alors qu’aucune précaution n’était prise. Cancers et malformations à la naissance ont été nombreux. La ville navajo de Sanders, en Arizona a été alimentée en eau contaminée pendant des années, probablement depuis 1979, quand une brèche s’est produite dans un bassin de stabilisation à l’usine de concentration d’uranium de Church Rock, au Nouveau-Mexique. Des tests n’ont eu lieu qu’en 2003, mais l’information a été diffusée seulement en 2015.
Le 8 novembre 2017, la ville de Flagstaff a adopté une motion pour exprimer son soutien au moratoire de 20 ans de l’exploitation de l’uranium sur des terres fédérales dans le bassin hydrologique du Grand Canyon. Une nouvelle motion a été adoptée le 30 janvier dernier, grâce à une alliance sans précédent des autorités tribales, de la ville, du comté et de l’État, auxquelles se sont joints les éleveurs, les chasseurs, les écologistes et les citoyen, affirmant leur opposition aux demandes pressantes de la National Miners Association. Les différents « Attendus » mettent en avant la pollution et les nuisances environnementales et économiques pour la ville de Flagstaff, les menaces qui pèsent sur la tribu des Havasupai pour qui la pureté de l’eau et l’intégrité de la terre sont essentielles pour des raisons économiques, culturelles et spirituelles.
Le NCAI (Congrès national des Indiens d’Amérique) et le président hopi Herman Honanie s’inquiètent du projet de l’Administration Trump de lever l’interdiction de l’industrie de l’uranium dans la région du Grand Canyon. Ils font remarquer que les effets néfastes de l’exploitation de l’uranium sur la santé et l’environnement sont contraires au devoir du gouvernement fédéral de protéger et de préserver des lieux qui ont une importance culturelle, historique et religieuse pour les populations autochtones, et contraires au rôle de l’EPA (Agence pour la protection de l’environnement).
Source: New York Times 4/12/2017
Article transmis et traduit par Marie-Claude Strigler, membre du réseau des experts du GITPA
Lettre électronique du GITPA sur la protection du Grand Canyon du Colorado


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